Il y a soixante-dix ans, le gouvernement envoyait sa police dissoudre le Conseil central des œuvres sociales (CCOS) d’EDF et GDF, alors présidé par Marcel Paul, son ministre fondateur et artisan du statut des Industries électriques et gazières. S’ensuivirent treize années de lutte avant que la gestion des œuvres sociales ne revienne aux représentants élus des salariés.
Le coup de force de la nuit du 20 février 1951, qui voit la police faire irruption dans les locaux du CCOS, 22, rue de Calais dans le IXe arrondissement de Paris, saisir les archives et s’emparer des lieux, est l’aboutissement de plusieurs mois de tension.
Présidé par Marcel Paul, le CCOS, dont la gestion est assurée par les salariés eux-mêmes (aux élections de 1949, la CGT obtient 68,9 % des voix, suivie de FO, 14,2 %, de la CFTC, 12,7 %, et de la CGC, 4,2 %), est l’un des symboles de la politique progressiste – inspirée du programme du Conseil national de la Résistance – menée entre 1944 et 1947 par l’alliance des communistes, des démocrates-chrétiens et des socialistes.
Mais avec la fin de ce tripartisme en 1947 et le début de la Guerre froide, « les divers gouvernements qui se succèdent jusqu’en 1951, dans un sens toujours plus modéré, n’ont de cesse de remettre en cause le CCOS, dont ils admettent de plus en plus difficilement l’existence », relève l’historien Hugues Pollastro dans « Les œuvres sociales à EDF-GDF dans la tourmente », étude publiée dans l’ouvrage collectif « La CGT des années 1950 » (sous la direction d’Élyane Bressol et al, Presses universitaires de Rennes, 2005).
Le décret du 16 février 1951
Le ministre de l’Industrie Jean-Marie Louvel, ancien dirigeant d’une entreprise électrique nationalisée, choisit l’affrontement avec son décret du 16 février 1951. Le CCOS se voit sommé de licencier 300 membres de son personnel, sous peine de dissolution. À l’unanimité, les administrateurs refusent cet ultimatum. Et le gouvernement passe en force en envoyant la police investir les locaux.
Un administrateur provisoire, Edmond Mage, adjoint au chef du service central de la distribution mixte, est nommé par le gouvernement.
Faute de CCOS, une union nationale des CAS
Sur le moment, l’événement ne suscite pas une forte réaction syndicale. Il est vrai que la parution du décret Louvel passe un peu inaperçue dans l’émotion générale suscitée par les obsèques, le même jour, du très populaire Ambroise Croizat, le père de la Sécurité sociale.
Après le 20 février 1951, débrayages et protestations se succèdent durant deux semaines. Une délégation d’électriciens et gaziers va même manifester devant le domicile du ministre Louvel au Vésinet. Mais, face à l’inflexibilité du gouvernement, la CGT soutenue par la CFTC change de stratégie. Le CCOS est certes dissous, mais pas les Caisses mutuelles complémentaires d’action sociale (CAS), versant décentralisé des œuvres sociales, toujours gérées par des représentants élus du personnel. Une union nationale des CAS, présidée par Marcel Paul, est constituée le 19 décembre 1952.
« Le gouvernement se trouve devant une situation antagonique et bloquée, un système ingérable au sein duquel “la tête”, le CCOS, émane de la direction de l’entreprise alors que la quasi-totalité des CAS, contrôlée par la CGT, lui est hostile », note encore Hugues Pollastro.
Naissance de la CCAS sous Mendès France
Conscient de l’impasse, le gouvernement de centre gauche de Pierre Mendès France propose en 1955 de recréer de facto le CCOS sous la forme d’une Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) à dimension nationale. Mais dont les administrateurs seront nommés sur proposition syndicale et non élus… Un veto est mis au nom de Marcel Paul. Le blocage persiste jusqu’en 1963. Marcel Paul a alors quitté la fédération CGT de l’énergie, et une nouvelle équipe élue, emmenée par René Le Guen, reprend la direction de la CCAS le 1er janvier 1964. Ce sera le début d’une période de développement tous azimuts des Activités Sociales des électriciens et gaziers.
Mais les années 1950 ne sont pas une période faste pour les Activités Sociales des électriciens et gaziers. Les tensions consécutives au coup de force de 1951 contribuent à ce marasme. Réuni le 31 mars 1951, le personnel d’encadrement des colonies et villages de vacances déclare « se refuser à toute collaboration avec le délégué du gouvernement ». L’essor des Activités Sociales, qui avait été très spectaculaire entre 1947 et 1950, s’en trouve ralenti.
Comme le notent les administrateurs de la CCAS au moment de sa reprise par les représentants élus du personnel en 1964, « la CCAS se trouve en présence d’un réseau de colonies insuffisant, mal adapté, d’un encadrement à renouveler, à renforcer, à perfectionner pour atteindre des objectifs pédagogiques à redéfinir et moderniser du tout au tout ».
Voir aussi
« L’arbre de vie », documentaire retraçant une période charnière de l’histoire des Activités Sociales de l’énergie, de leur création en 1946 à la reprise de leur gestion en 1964.
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