Entretien avec Michel Dreyfus, directeur de recherches honoraire au CNRS, spécialiste de l’histoire du mouvement ouvrier, notamment du syndicalisme et de la mutualité.
Parmi les réalisations issues du programme du Conseil national de la Résistance figure la création de la Sécurité sociale. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de sa mise en place ?
Le programme du Conseil national de la Résistance a été adopté en mars 1944, avant la Libération, par toutes les forces de la Résistance. Il prévoyait entres autres « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer avec gestion appartenant aux représentants des intéressés ». Ce programme innove donc sur trois points. Tout d’abord, il a préparé la couverture de toute la population. Ensuite la sécurité sociale a regroupé les quatre grands risques : maladie, accidents du travail, retraites et famille. Enfin, sa gestion a été initialement assurée en majorité par les syndicats : ils ont obtenu en effet une majorité de deux tiers dans les caisses de Sécurité sociale.
A l’origine, les salariés désignaient des représentants au conseil d’administration de la Sécurité Sociale ? Pouvez-vous nous expliquer comment le pouvoir gaulliste a mis un terme à cet aspect de la démocratie sociale ?
En aôut 1967, les “ Ordonnances Jeannneney ” du nom du ministre du travail du gouvernement de Charles de Gaulle décrètent une majoration des cotisations allant de pair avec la réduction des prestations, afin de « rééquilibrer » financièrement le système. Elles procèdent au démantèlement du régime général de la Sécurité sociale qui reposait jusqu’alors sur l’autonomie accordée à chaque caisse : maladie, allocations familiales, vieillesse ; chacune devra désormais assurer à elle seule une gestion équilibrée. Enfin, la gestion de la Sécurité sociale est réaménagée. La répartition des sièges entre syndicats et patronat était depuis sa création respectivement de 75% et de 25% ; désormais, c’est le paritarisme qui est de règle : 9 sièges pour le CNPF, autant pour les syndicats. Le poids du syndicalisme s’en trouve donc diminué et d’abord celui de la CGT. De plus, les élections à la Sécurité sociale sont supprimées : les 9 représentants des salariés seront désormais désignés par les organisations syndicales les plus représentatives. Ces mesures, qui concluent la première période de l’histoire de la Sécurité sociale, provoquent la mobilisation des syndicalistes. Mais Mai 68 ne s’intéresse guère aux problèmes de protection sociale, même si les Accords de Grenelle réduisent de 30 à 25% le ticket modérateur : le plus grand mouvement social de l’histoire de notre pays n’a pu remettre en cause la réorganisation de la Sécurité sociale définie un an plus tôt.
Parmi les ministres ayant contribué à la transformation du paysage économique et sociale, on trouve deux syndicalistes : Ambroise Croizat et Marcel Paul. Pouvez-nous dire quelle est la singularité de leur action dans les gouvernements qui suivent la Libération de la France ?
Ambroise Croizat a été ministre du Travail de novembre 1945 à mai 1947. Il faut le comparer à un autre dirigeant communiste, également ministre, Marcel Paul. Obligé de travailler très jeune, communiste depuis cette époque, Ambroise Croizat symbolise à la perfection le militant issu d’un milieu populaire. Marcel Paul a du également travailler très tôt et s’est formé aussi grâce au syndicalisme et au Parti communiste. Les deux hommes se caractérisent par leur énergie militante et leur investissement personnel dans les dossiers très lourds dont ils ont la charge.
Tout porte à croire que ces deux militants exceptionnels s’appréciaient beaucoup. Tous deux étaient bien conscient du fait que le temps jouait contre eux ; l’instauration de la Sécurité sociale, comme du CCOS, ont été menées à bien dans des délais très courts. Ils devaient profiter d’un contexte exceptionnel et ils savaient. Ambroise Croizat et Marcel Paul ont travaillé dans l’urgence car en bons politiques, ils savaient qu’ils devaient se dépêcher. Enfin, ils se sont caractérisés par une ouverture et une indépendance d’esprit certaine vis à vis du PCF, même si leur accord avec son orientation a été indiscutable.
super… enfin de l’histoire sur la Sécu… Il serait temps d’en rediscuter, de transmettre, articles dans les journaux CCAS et CMCAS, toutes infos envers les nouveaux actifs…. avec des exemples précis qui parlent à leur porte-monnaie….merci