Claire Millot (association Salam) : « La France a les moyens de mieux accueillir les migrants »

Image tirée du documentaire "Les Invisibles" de Pascal Crépin

Image extraite du documentaire « Invisibles » de Pascal Crépin (association Mine de rien).

Malgré certaines avancées, la politique du gouvernement à l’égard des migrants reste incohérente, estime Claire Millot, secrétaire générale de l’association Salam (1), dont les bénévoles apparaissent dans le film Invisibles réalisé par Pascal Crépin, un agent EDF retraité.

En quoi consiste l’action de Salam ?

D’abord, aider les migrants à vivre dans des conditions plus dignes. Nous leur donnons des tentes, des bâches pour protéger les tentes, des couvertures, des sacs de couchage (2). Nous travaillons en très grande majorité grâce à des dons en nature. Nous préparons aussi des repas chauds et nous distribuons des vivres secs, c’est-à-dire de quoi faire à manger : riz, pâtes, huile, conserves, thé, sucre…

Où intervenez-vous ?

Dans les deux grands camps situés sur le littoral : Calais et Grande-Synthe, à côté de Dunkerque.

Qui sont ces migrants que vous aidez ?

Il s’agit souvent d’hommes jeunes qui ont un métier qu’ils ont dû abandonner, ou bien qui veulent étudier et ne peuvent pas le faire dans leur pays. Ils ont souvent un savoir-faire et un potentiel intellectuel qui leur permettraient d’être utiles à la France.

Doit-on parler de migrants ou de réfugiés ?

Nous, nous avons toujours parlé de migrants. On appelle réfugiés ceux qui ont le statut de réfugiés politiques et qui ont donc une autorisation de séjour pour dix ans. Nous n’avons pas de raison d’opérer une distinction entre un migrant politique et un migrant économique. Ils sont tous les deux dans la boue, ils ont tous les deux faim et froid. A partir du moment où l’on quitte son pays dans des conditions affreuses, à pied, avec juste ce qu’on a sur le dos, on a droit à l’aide humanitaire.

Moins de 80 000 demandes d’asile ont été déposées en France en 2015 contre plus d’un million en Allemagne. La France n’intéresse plus les réfugiés ?

Les migrants pensent qu’en France ils n’ont pas beaucoup de chance d’être accueillis. La France, pour eux, c’est essentiellement un passage pour la Grande-Bretagne, même si un certain nombre d’entre eux, concentrés à Paris, veulent rester en France.

Les migrants ont-ils de bonnes raisons de penser qu’ils ont peu de chance d’être accueillis chez nous ?

Ils ont raison de le penser par rapport à un pays comme l’Allemagne qui les accueille beaucoup mieux et leur ouvre beaucoup plus les bras.

Mais l’Allemagne est seule en Europe à ouvrir ses frontières.

Oui, elle est très seule. Mais je pense que la France pourrait aussi absorber ces migrants. Quand on pense que les demandeurs d’asile ne représentent que 0,1 % de notre population… Il suffirait de mieux les répartir. Le problème actuellement, c’est qu’ils sont très nombreux à Dunkerque, très nombreux à Calais, très nombreux à Paris. Mais sur le reste du territoire, il n’y en a pas.

L’Etat ne commence-t-il pas à en prendre conscience?

L’Etat les pousse à aller dans les centres d’accueil et d’orientation, des endroits plus confortables où ils peuvent se reposer. Ce sont souvent des centres de loisirs, des villages vacances : il y a des chambres, des douches, des toilettes, des cuisines, des repas. Dans ces structures, ils sont loin des passeurs, ils peuvent se refaire un peu une santé et réfléchir à leur objectif : veulent-ils vraiment se rendre en Grande-Bretagne ou peuvent-ils envisager de rester en France ? Actuellement, l’Office français de l’immigration et de l’intégration effectue des maraudes pour essayer de convaincre les gens de rejoindre ces centres.

Mais la plupart des migrants n’ont qu’un but : gagner la Grande-Bretagne. Pourquoi ?

La langue, d’abord : en général, ils ne parlent ni français, ni allemand, ni italien. Ils savent aussi qu’en Grande-Bretagne ils pourront trouver du travail et un logement sans devoir présenter des papiers. C’est une motivation majeure. Et puis beaucoup cherchent à rejoindre des membres de leur famille.

Dans un récent éditorial, le journal « Libération » s’insurgeait : « La sixième puissance économique mondiale n’a que 60 douches à proposer aux milliers de réfugiés de Calais. » La France cherche-t-elle à décourager les migrants ?

C’est compliqué… Le 15 janvier dernier, l’Etat a enfin pris ses responsabilités en décidant d’ouvrir le centre d’accueil de jour Jules-Ferry, situé à côté de la « jungle » de Calais. Cela faisait dix ans qu’on lui demandait de reconnaître l’existence de ces migrants. L’Etat a donc poussé les migrants à s’installer à côté de ce centre en leur disant : « Vous pourrez avoir un repas chaud quotidien, des douches, des toilettes, des prises de courant pour recharger les téléphones, des bacs pour la lessive, etc. » Et on leur a promis qu’on ne les chasserait pas, qu’ils pourraient y rester tant qu’ils voudraient. Mais cette promesse n’a pas été tenue. C’est malhonnête de la part du gouvernement !

L’Etat a finalement évacué une bonne partie de la « jungle » de Calais en cherchant à disperser les migrants. Dans quel but ? 

Pour eux, les migrants doivent disparaître. C’est un peu la politique de Sarkozy quand il a fait détruire le centre de Sangatte (en 2002, nldr). Il y a trop de migrants à Calais ? Détruisons la moitié de la « jungle », répond le gouvernement, et redirigeons-les vers des centres d’accueil et d’orientation ou des centres d’accueil provisoire.

Image tirée du documentaire "Les Invisibles" de Pascal Crépin

Image extraite du documentaire « Invisibles » de Pascal Crépin (association Mine de rien).

La France aurait-elle les moyens d’accueillir plus de migrants ?

Bien sûr. On est un pays riche. Dans la situation actuelle, on a peu de demandeurs d’asile et même peu de migrants de passage. On pourrait les absorber, les répartir sur le territoire en leur offrant un vrai asile, un vrai statut de réfugié. La France a les moyens de mieux accueillir les migrants.

A quoi pourrait ressembler une politique alternative d’accueil des migrants ?

Il faudrait étudier les demandes d’asile avec bienveillance. La plupart des demandeurs ne sont pas des tricheurs. Or, aujourd’hui, il y a toujours une suspicion à leur égard. Et puis, l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) a des chiffres à atteindre : il faut éliminer des demandeurs.

Une autre proposition ?

Il faudrait aussi les aider à apprendre le français et à trouver du travail.

Cela relève-t-il de la responsabilité des associations ou de celle de l’Etat ?

Au départ, le rôle des associations est important, mais ensuite il faut que l’Etat prenne le relais. C’est un travail que l’Etat doit assumer.

Doit-il, par exemple, mettre à disposition des professeurs de français langue étrangère ?

Oui. Une école vient d’être ouverte dans le centre d’accueil de jour Jules-Ferry pour les enfants avec des enseignants de l’Education nationale. Le gouvernement semble faire un pas dans la bonne direction. Quant à la construction du bâtiment et à la gestion du matériel scolaire, elles sont censées être prises en charge par de grosses associations.

(1) L’acronyme « Salam » signifie « Soutenons, aidons, luttons, agissons pour les migrants et les pays en difficulté. »

(2) Le 3 avril, l’association Per a Pace (Pour la paix), créée et présidée par un agent EDF corse, acheminera à Grande-Synthe 80 matelas ainsi que des couvertures pour les migrants.

 

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1 Commentaire
  1. MICHEL BARCOUDA 9 ans Il y a

    Désolé de ne pas partager votre approche du problème des migrants, mais il est utopique d’affirmer que nous avons les moyens d’accueillir, de nourrir, de former et de trouver du boulot a toutes ces personnes alors que nous ne sommes mêmes pas capables d’absorber le flux de nos propres jeunes à la sortie de leur scolarité quelle quelle soit. Je ne parle même pas des seniors qui sont exclus de la société du travail prématurément. Je sais bien qu e ce discours sera interprété de façon extrême de la part des deux bords, mais les faits sont têtus. Quant à penser et a se référer à l’Allemagne en tant qu’exemple ou modèle, c’est plutôt comique et triste car c’est certainement la plus grosse bêtise d’Angela d’avoir créé cet appel d’air aujourd’hui les allemands sont proches de l’asphyxie. Enfin côté Manche, les anglais ne montrent pas l’exemple et nous ont délégués le rôle de garde frontières, de leurs frontières, je partage de ce point de vue avec ferveur l’analyse de JL Mélenchon qui dit « laissons passer ceux qui veulent se rendre en Angleterre et laissons les anglais gérer la situation ». En effet on ne peut pas d’une part reprocher à la Macédoine et pays limitrophes de la Grèce d’ ériger des clôtures pour freiner le flux de migrants et d’autre part en construire sur notre propre sol pour protéger les anglais de ce même flux. Où est la logique, d’autant plus que nous donnons des leçons à ces pays au nom des droits de l’homme.

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