Bâtisseurs, bâtisseuses

Céline Maschinot, conseillère clientèle à EDF Lyon et bâtisseuse du stand de la CMCAS Bourg-en-Bresse. © M.-B. Seillant/CCAS

À droite, Céline Maschinot, conseillère clientèle à EDF Lyon et seule bâtisseuse du stand de la CMCAS Bourg-en-Bresse. © M.-B. Seillant/CCAS

Voulue lors de la préparation du 15e festival d’Énergies, la participation de 30% de bâtisseuses a été diversement atteinte dans les faits. Le pourcentage est proportionnel à la présence des femmes dans les Industries électrique et gazière. Mais le recrutement des bâtisseuses va au-delà des chiffres, et questionne les préjugés autant que la sociologie de la branche. 

« Si je vois une fille porter une planche, je vais l’aider par galanterie. On est égaux, mais quand tu bâtis un stand, il faut des bras : c’est plus facile avec huit hommes que huit femmes. » C’est le genre de propos qu’on peut entendre çà et là lorsqu’on aborde la question des bâtisseuses au festival d’Énergies. Bâtir Soulac, un truc de mec ? De fait, sur les cinq cent bâtisseurs du festival, moins de 15% sont des femmes. Transport et déchargement des matériaux, montage des charpentes et électrification des stands constituent une partie importante de la construction matérielle du festival. Autant de raisons de trier a priori les candidats ? « C’est clair qu’on ne va pas faire un branchement électrique ! s’amuse Francine Bienvenu, technicienne clientèle à Cayenne et bâtisseuse du stand de la CMCAS Guyane. Ce n’est pas inné, mais on a plus de savoir-faire dans le relationnel. Généralement quand il y a des femmes derrière le bar, il y a du monde… » Répartition des tâches oblige, aux femmes le bar et la décoration, aux hommes le déchargement des camions ?

« Si tu es trop princesse, ici, ça ne les attire pas »

« C’est dur d’attirer les femmes pour être bâtisseur, concède Aziliz Dubourdieu, agent technique expert à Enedis (ex-ERDF) Agen (Lot-et-Garonne) et seule bâtisseuse du stand de la CMCAS Agen. Il y a quand même le mot « bâtir » dedans… qui peut faire peur. » Au total, une quinzaine de CMCAS ne comptent qu’une bâtisseuse, sur un total de huit agents à dix agents. En minorité, les bâtisseuses doivent composer avec l’ambiance joyeuse et parfois potache d’une bande de « bonhommes ». « C’est aussi à soi de faire sa place », conseille Serena Mattei, seule femme et plus jeune bâtisseuse du stand de l’Union territoriale Corse, sur lequel elle est responsable. Gestionnaire transformateurs et moyens de réalimentation à EDF, elle est habituée des milieux masculins. « Je suis quelqu’un qui aime bien charrier et se faire charrier. Ça passe mieux avec les mecs, qui sont déconneurs. Mais ça reste bon enfant. » Même son de cloche chez Camille Tassot, chargée d’affaire dans le bâtiment au CNPE de Civaux (Vienne) : « Les gars sont un peu raides parfois, ils sont contents qu’on soit là, ils nous taquinent. Du coup parfois il faut les remettre d’équerre. » Bâtisseuse du stand de la région Poitou Charente, elle admet faire un « job de mec » : sur le stand, elle endosse les mêmes travaux, loin de la déco.

Serena Mattéi, bâtisseuse du stand de l’Union territoriale Corse, entourée des bâtisseurs Corses © M.-B. Seillant/CCAS

Sur le stand de l’Union territoriale Corse, Serena Mattéi est responsable bâtisseuse au sein d’une équipe intergénérationnelle © M.-B. Seillant/CCAS

Familles de métier

La difficulté de recruter des bâtisseuses est aussi le reflet de la disparité de recrutement dans les différents secteurs de l’énergie. « Au début les gars qui tombaient sur moi au téléphone pensaient qu’ils se trompaient de numéro, raconte Stéphanie Marle, technicienne de conduite chez Enedis (ex ERDF) à Saint-Martin-Boulogne (Pas-de-Calais). Mon chef aurait pu faire une communication, pour qu’ils ne soient pas surpris… » Comme beaucoup de bâtisseuses rencontrées au festival, Stéphanie est la seule femme de son équipe. Selon les derniers chiffres sur l’égalité professionnelle dans les IEG, alors que la commercialisation et les fonctions supports employaient respectivement 58% et 45% de femmes en 2012, le pourcentage tombe à 14% dans la distribution, et 8% dans le transport électrique. Soit une répartition inversement proportionnelle aux secteurs dont sont historiquement issus les bâtisseurs du festival. Près de 40% des stands de CMCAS sont donc bâtis par des agents. C’est le cas du stand de la CMCAS Pays de Savoie, lieu d’inauguration du festival le 14 mai dernier. « On a déjà atteint l’objectif de la mixité d’entreprise et de territoires sur le stand » se félicite Steve Cremerieux, président de la commission jeunes agents. Mais la branche commerce reste très inaccessible pour nous. »

Camille Tassot, bâtisseuse du stand de la région Poitou Charente, et Julie Sépé, à la régulation, travaillent toutes les deux à la centrale de Civeaux (CMCAS Poitiers). Elles font partie des huit danseurs au milieu de la foule pendant la Holi, grande fête de couleurs. © J. Marando/cca

Julie Sépé, régulatrice du festival, et Camille Tassot, bâtisseuse du stand de la région Poitou Charente, travaillent toutes deux à la centrale de Civaux (CMCAS Poitiers). Elles faisaient partie des huit danseurs au milieu de la foule pendant la Holi, grande fête des couleurs. © J. Marando/CCAS

Préjugés ou réalités sociologiques ?

Plus présentes dans les métiers du tertiaire, les femmes cumuleraient en fait plusieurs handicaps : moins de compétences métier, moins d’habitude du terrain, moins de sensibilisation aux Activités Sociales, et l’appréhension de s’intégrer durant une semaine à une équipe masculine, pour bâtir un stand de ses mains. Conseillère clientèle à Lyon et permanente syndicale de la région Rhône Alpes, Céline Maschinot est venue prouver sur le stand de la CMCAS Bourg-en-Bresse qu’il était possible de trouver sa place au milieu des bâtisseurs. Pour elle, c’est en haut d’une échelle ou une ponceuse à la main : « J’y suis allée pour le côté manuel. Je n’avais jamais touché une tronçonneuse, et les gars ont pris le temps de m’apprendre. Je voulais montrer qu’une femme pouvait le faire. »

Les liens puissants qui se tissent durant la semaine de montage du festival renvoient aussi aux liens de proximité tissés en amont. Au cœur de cette proximité : les commissions jeunes agents. Récemment élue vice-présidente de la CMCAS La Rochelle, à 26 ans Mathilde Canivet est l’une des trois salariées du plateau clientèle d’EDF La Rochelle – qui en comptent une centaine, dont une majorité de femmes – à s’engager dans les Activités Sociales. « En tant que jeune femme, on a parfois plus de mal à faire entendre nos choix. L’ancien président de la CMCAS nous a accompagnées pour qu’on monte en responsabilité, et qu’on prenne confiance en nous. Des femmes dans un collectif, c’est quelque chose de positif. » À l’inverse, explique la jeune femme, « sur les plateaux clientèle, on est chacun de notre côté. Du fait d’être entrée dans les Activités Sociales, j’ai un autre rapport avec mes collègues. »

Aziliz Dubourdieu, agent technique expert à ERDF Agen, au milieu des bâtisseurs du stand de la CMCAS Agen : « J’ai joué de la perceuse, d’autant que c’était la mienne ! » © M.-B. Seillant/CCAS

Aziliz Dubourdieu, agent technique expert à Enedis (ex-ERDF) Agen, au milieu des bâtisseurs du stand de la CMCAS Agen : « J’ai joué de la perceuse, d’autant que c’était la mienne ! » © M.-B. Seillant/CCAS

Seules cinq CMCAS ont dépassé les 30% de bâtisseuses. Parmi elles, la CMCAS Saint-Pierre-et-Miquelon, qui applique la parité. Pour son président, Gino Bonnieul, c’est la conséquence d’une proximité due au petit nombre d’agents sur les deux îles – ils et elles sont cinquante – et à la gestion du secteur de l’énergie par EDF SEI, qui unit les entreprises. « On a cinq actives sur la CMCAS, dont quatre sont au conseil d’administration. Les femmes sont le noyau dur de l’entreprise puisqu’elles sont au siège, et qu’elles ont des rapports avec tous les services. »


Noémie Bickel, membre du conseil d'administration ©J.Marando/ccas

Noémie Bickel ©J.Marando/CCAS

Des inégalités structurelles 

Pour Noémie Bickel, membre du conseil d’administration de la CCAS, la participation des bâtisseuses dépasse la question du secteur de l’énergie, et interroge l’organisation encore sexiste des responsabilités familiales.

« Les femmes sont encore trop souvent freinées par la garde des enfants, qui leur incombe en majorité. Il faut changer les pratiques et donner les moyens aux femmes de s’engager. L’objectif des 30% n’a pas été atteint, puisqu’on est à moins de 15 % de bâtisseuses sur le festival. Mais le fait d’avoir posé cet objectif politique a eu le mérite de soulever la question de l’égalité femmes-hommes, qui a été débattue dans les commissions jeunes agents. De nombreux bâtisseurs du groupe de suivi ont tenu à signaler qu’ils avaient entamé des démarches en ce sens. Mais il reste beaucoup de travail à accomplir. »

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