Premier Français à avoir obtenu le titre de grand maître international aux échecs, en 1989, Bachar Kouatly consacre sa vie au noble jeu depuis son adolescence. En stratège pragmatique, l’ancien pensionnaire de Sciences Po, diplômé en économie de l’énergie, a toujours réfuté l’immobilisme, lui préférant le mouvement et la création.
Quel a été le déclic pour entrer dans la ronde des échecs ?
Le match qui a opposé Spassky (URSS) et Fischer (Etats-Unis) durant le Championnat du monde 1972 ! À l’époque j’avais 14 ans et la guerre froide était à son paroxysme. Ces deux joueurs cristallisaient cette rivalité entre les deux blocs. Dans l’histoire, les parties d’échecs ont parfois symbolisé des changements dans le monde, comme les affrontements Kasparov-Karpov. Cela dit, c’est plus par la magie du jeu que le germe a pris.
Un virus fulgurant, puisque deux ans plus tard, vous devenez le plus jeune maître international, puis champion de France ?
Au début, je voulais simplement comprendre, découvrir, sans forcément me documenter sur les variantes, les coups possibles ou la technique. Mais c’était une erreur et j’y ai remédié. Alors j’ai travaillé. Et comme les progrès ont rapidement suivi… Lors de cette période, ce sont aussi les rencontres formidables, avec des gens de toutes nationalités, qui ont forgé mon état d’esprit. Étant moi-même un « produit » issu d’un mélange, avec un père syrien et une mère française, à travers ces déplacements, ces parties, l’exaltation de la jeunesse s’est révélée.
Au point de mettre la musique « en sourdine » ?
Oui, car petit à petit on est happé. C’est vrai que je faisais beaucoup de violon alto avant de me mettre aux échecs. J’ai toujours apprécié tout ce qui demande de la réflexion. Et le jeu d’échecs, tout comme la musique, stimule cette faculté.
Sans aucune limite ?
C’est un cheminement sans fin puisque c’est celui du cerveau ! Lequel a besoin de se nourrir sans cesse pour entretenir son insatiabilité. Car, plus on progresse, plus on comprend, et plus on voit la beauté, plus on a envie d’aller la chercher. Il faudrait d’ailleurs inculquer cela aux plus jeunes, immergés dans le consumérisme ambiant et en totale contradiction avec cette philosophie. C’est indéniablement une question d’éducation.
Qui passe, entre autres, par la « case échecs » ?
Quand on prend du plaisir à une activité, on ne sent pas le temps passer. Et le jeu d’échecs, pourvoyeur de ce plaisir, est sans fin. Il est à l’échelle d’une vie au cours de laquelle la notion de temporalité est évidente. Qu’est-ce qu’on fait du temps qui nous est dévolu ? Comment l’utilise-t-on ? C’est quelque chose qui est pratiquement intuitif chez moi. Le temps perdu, on ne le récupère pas. Je m’efforce toujours de faire des choses qui peuvent rentrer dans un cercle vertueux pour avancer.
« Qu’est-ce qu’on fait du temps qui nous est dévolu ? Comment on l’utilise ? C’est quelque chose qui est pratiquement intuitif chez moi. Car la perte de temps, on ne la récupère pas. »
C’est avec cette mentalité que vous avez su « dire stop », arrêter votre carrière de joueur pour partir vers d’autres horizons ?
Mais dans ma vie je n’ai été joueur d’échecs professionnel que durant quatre ans ! J’ai la chance d’être quelqu’un de pragmatique. J’ai des rêves mais je connais la réalité de la société. J’appréhende ses mutations autant que mes capacités. C’est pourquoi j’ai laissé tomber le jeu d’échecs avant qu’il ne me laisse tomber…
Cette appétence pour la connaissance, la progression, n’est-ce pas aussi le meilleur moyen d’anticiper ? D’avoir un « coup » d’avance?
Lorsque j’ai pris la direction d’ »Europe Échecs » en 1997, au moment du passage du journal papier aux nouvelles technologies, nous avons opté pour le Net, car j’ai perçu que c’était quelque chose de neuf. Et la suite ne m’a pas donné tort. Notamment, à travers les belles rencontres avec la CCAS, le développement du jeu dans les centres de vacances avec le fil rouge, où nous avons démontré qu’il n’y a pas que les échecs de compétition. Tant le loisir cartonne !
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Vous êtes candidat à la présidence de la Fédération française d’échecs, qui statuera le 10 décembre. Cela réduit votre marge de manœuvre ou cela ouvre le champ des possibles ?
Quand on entre en politique, on perd forcément une partie de sa liberté. Maintenant, lorsqu’on voit l’état de la fédération, avec ses 60 000 licenciés, et l’affluence exponentielle sur les centres de vacances CCAS, Campéole ou encore Touristra, etc., qui proposent une initiation aux échecs, on ne peut que rester dubitatif ! Dans les écoles, dans les villes, ça fonctionne.
Il y a donc, à la tête de la fédération, des gens qui ne se remettent pas en question, ce qui est le propre d’un joueur d’échecs, et qui restent dans un monde endogène. Or, il faut s’ouvrir, aller vers d’autres horizons. Je ne suis pas un théoricien et j’ai vu ça de manière empirique. Le jeu d’échecs, ce n’est pas un effet de mode. Il faut cultiver la bonne image qu’il propage… Et pour ça, il faut savoir fédérer.
En scrutant l’avenir, est-ce que vous imaginez un jour vous éloigner des « cases » ?
Oui. Quand je serai six pieds sous terre !