C’est un anniversaire passé malheureusement inaperçu : il y a soixante ans, les premiers kilowattheures d’origine nucléaire étaient injectés dans le réseau électrique français. Ils provenaient du réacteur de Marcoule, dans la vallée du Rhône, à mi-chemin entre Montélimar et Avignon, site industriel sorti de terre en à peine dix-huit mois.
La IVe République est aujourd’hui souvent critiquée pour son instabilité et ses incessants changements de gouvernement. Force est cependant de reconnaître qu’elle sut, avec constance, conduire une politique industrielle menant la France à la maîtrise d’une vaste panoplie de technologies en matière de nucléaire. Avant la Seconde Guerre mondiale, le pays était, grâce aux travaux de Frédéric Joliot-Curie, en pointe, au niveau mondial, quant à la maîtrise de l’énergie de l’atome. Les années d’Occupation et les destructions qui les accompagnèrent retardèrent cet essor, mais la décennie qui suit la fin de la guerre est marquée par une spectaculaire résurrection de la recherche nucléaire française. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), alors dirigé par Frédéric Joliot-Curie, construit dès 1948 la première pile atomique, Zoé, au fort de Châtillon. Tout est prêt pour passer à l’échelle industrielle. Il reviendra au site de Marcoule de convertir ces avancées de la recherche en technologies opérationnelles.
Retracer l’histoire du site de Marcoule nécessite quelques rappels des enjeux technologiques de l’époque. Maîtriser la réaction en chaîne nécessite d’une part un combustible, d’autre part un modérateur capable de la maîtriser. Le choix français se porte sur la filière graphite-gaz, en guise respectivement de modérateur (le graphite absorbant les neutrons dégagés par la réaction en chaîne) et de refroidisseur (le gaz carbonique surchauffé entraînant la turbine). Autre choix technologique : celui l’uranium naturel (à l’époque extrait des mines du Limousin, dans un souci d’indépendance nationale) et non de l’uranium enrichi utilisé aujourd’hui. Le réacteur assemblé à Marcoule est baptisé G1, du fait de son utilisation du graphite (1200 tonnes en sont rassemblées sur le site, pour 100 tonnes d’uranium) comme modérateur.
Exercices de « gymnastique nucléaire »
Le 7 janvier 1956, le réacteur connaît sa première réaction en chaîne, en présence de Pierre Guillaumat, qui dirige alors le CEA, et du physicien Francis Perrin, qui en est la tête pensante. Le 28 septembre de la même année, l’installation entre en phase de production industrielle, en envoyant ses premiers kilowattheures dans le réseau électrique. La puissance est encore modeste – quelques dizaines de mégawatts – mais une étape est franchie. La France maîtrise les technologies du nucléaire, que ce soit dans ses usages civil ou militaire, Marcoule produisant aussi du plutonium indispensable à la fabrication des bombes atomiques.
Le réacteur G1 de Marcoule, galop d’essai des technologies françaises du nucléaire, est arrêté depuis octobre 1968 et son démantèlement est toujours en cours. Mais il a servi de banc d’essai pour les premières centrales du parc électronucléaire français de Saint-Laurent-des-Eaux et de Chinon. Comme le dit Marcel Boiteux, ancien président d’EDF, les travaux menés à Marcoule ont permis à la France de faire ses exercices de « gymnastique nucléaire », permettant au pays de construire dans les années 1970 et 1980 les réacteurs qui lui valent aujourd’hui une certaine indépendance énergétique, de surcroît, même si la question n’était pas dans les préoccupations de l’époque, très faible émettrice de gaz à effet de serre.
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