Les jeunes réfugiées et réfugiés accueillis à Arès et à Hostens, les bénévoles, les associations et les animateurs des Activités Sociales du département se sont retrouvés, tous ensemble, le 28 décembre dernier, pour un après-midi festif à la colo CCAS d’Andernos-les-Bains, sur le bassin d’Arcachon.
Ils sont arrivés en Gironde il y a deux mois en provenance de Calais. Les jeunes filles au centre de vacances CCAS d’Arès, les garçons au centre départemental d’Hostens. « Avec leurs encadrants de France Horizon et les collectifs de bénévoles, on s’est dit qu’il fallait marquer cette période des fêtes avec les jeunes réfugiés accueillis dans le département, explique Emmanuel Tosas, président de la CMCAS Gironde. Alors on a ouvert exceptionnellement la salle d’activités de la colo d’Andernos pour organiser une petite fête qui réunirait tout le monde. » Comment se situe la CMCAS dans le « protocole » de l’accueil des jeunes migrants ? « Nous avons été intégré dans la boucle préfectorale, dit Emmanuel Tosas. Nous avons eu d’excellents contacts avec le service de la cohésion sociale et nous partageons des valeurs communes avec France Horizon, en charge de l’encadrement des réfugiés, et plus largement avec tous les bénévoles engagés aux côtés des jeunes. Tout cela forme une chaîne solidaire dans laquelle nous sommes très fiers de jouer notre rôle. Ce sont de belles rencontres. »
Trouver refuge
Il n’aura fallu qu’une petite heure pour qu’une joyeuse ambiance s’installe – bruyamment – dans la grande salle de la colo d’Andernos. Un « courant » venu des cuisines, où sous la direction de l’infatigable Caroline, coordinatrice de France Horizon, les jeunes réfugiés d’Hostens étaient à fond sur la préparation du buffet. Côté filles, les migrantes d’Arès étaient sagement, prudemment, restées sur leur quant-à-soi, jusqu’à ce que les bénévoles d’Arès et d’Hostens montrent leurs visages amis, et que Joseph, notre photographe, improvise, avec leur complicité, un joyeux studio photo.
Elsa enlace fort ses deux copines. Dans quelques heures, elles qui séjournent depuis le 2 novembre au centre de vacances d’Arès se quitteront. Elsa embarquera pour la Grande-Bretagne. Des 27 jeunes filles accueillies depuis le 2 novembre dans le centre d’Arès, dix ont pu gagner la Grande-Bretagne après que les services britanniques ont donné leur aval. Elsa pourrait d’ailleurs être la dernière à franchir la Manche. En effet, les autorités britanniques ont fait savoir au début du mois de décembre dernier qu’elles mettraient bientôt un terme à l’accueil des jeunes mineurs réfugiés, filles et garçons. Tout le monde le sait ici. À Arès, les filles ont repris quelque force, de la confiance. La route de leur exil, sur laquelle elles ont tout risqué et jusqu’à leur existence même, les a conduites des frontières de l’Érythrée, du Soudan ou de l’Éthiopie, à travers l’enfer libyen, jusque dans la folle et meurtrière traversée de la Méditerranée.
Ils ont traversé l’enfer
À la frontière éthiopienne, les menaces de guerre couvent qui poussent le régime érythréen à transformer le pays en une vaste caserne. Dès la fin de leur scolarité, garçons et filles y sont enrôlés pour un service militaire à durée indéterminée, généralement d’une dizaine d’années… Cette route, que nous n’oserons pas évoquer avec ces jeunes, entre les gâteaux et les bouteilles de soda, on l’imagine. Ce que chacun d’entre eux a payé, y a laissé, se lit dans un regard lourd et profond qui, par moments, se perd dans la pinède et revient encore buter sur les grilles de Calais et celles, non moins redoutables, de l’administration.
Mineurs ou pas, elles et ils semblent pourtant bien jeunes pour être abandonnés à leur sort. Les garçons font… les garçons. Les écouteurs autour du cou, ils fanfaronnent gentiment : « Ils ont traversé l’enfer, nous confie un encadrant. Certains d’entre eux ont été marqués au visage à la lame de rasoir ou par le feu. Ils sont tous très attachants. »
Forces solidaires
Le temps d’une séance de selfies avec la petite Annabelle, Bellaï n’y pense plus. Avec son look de Tracy Chapman, elle serre dans ses bras sa petite sœur de cœur âgée de 5 ans, la cadette des quatre filles d’Agnès, une figure d’Arès, dont la porte de la maison est facile à franchir : « Ben, elle est jamais fermée… », rigole Agnès. À l’annonce de l’accueil de réfugiés venus de Calais dans le centre de vacances de la CCAS, la mairie fait connaître son opposition ; une manifestation a lieu devant le centre. Quelques jours plus tard, un début d’incendie endommage les équipements du centre. L’enquête est toujours en cours.
Qu’est-ce qui a conduit Agnès à rejoindre le collectif Accueil solidaire d’Arès qui se crée aussitôt après ces incidents ? « C’est simple, dit-elle calmement, je me suis fâchée ! » Elle qui s’occupe peu de la vie publique, accaparée par les soins à son enfant malade, s’est énervée : « Arès était soudain comme coupé en deux par la question des réfugiés. Des proches, opposés à l’accueil, m’apparaissaient sous un jour nouveau. Terrible. C’est la peur qui dominait, raconte-t-elle. Une peur qui met tes proches hors de portée de toute raison. »
Les consciences s’éveillent
Coline est la « community manager » du collectif Accueil solidaire qui réunit quelque 270 bénévoles : « Ça se calme, assure-t-elle. Il y a eu beaucoup de dons de vêtements par exemple. Ce qui prouve que les consciences s’éveillent. Moi, c’est la première fois que je m’engage dans une action. » Le maire d’Arès a tenu à venir à la colo d’Andernos ce soir-là, pour saluer le travail accompli.
En pleine discussion avec Stéphane Gabarra, le président de la SLVie du bassin, agent chez Enedis, on rencontre Bérengère, compagne d’un collègue, qui vit du côté de Lège-Cap-Ferret. Avec Rebecca, qui habite à Biganos, au sud du bassin, Bérengère donne des cours d’anglais : « Un tiers seulement d’entre elles se débrouille, indique-t-elle. On reste discrètes sur leur situation. » Ce qui la frappe dans tout ça ? « C’est la mobilisation solidaire, le nombre de gens qui sortent du silence pour venir aider ces jeunes et qui prennent la parole. »
La fête s’éteint. On range les tam-tams ; on débarrasse les tables. Pour Elsa, la nuit sera longue, entre derniers préparatifs et adieux à ses compagnes d’infortune et d’espoir, pour qui demain aussi sera un autre jour, une nouvelle croisée des destins. Dans cette vie à qui perd-gagne, au moins ont-elles trouvé des alliés précieux, qui, de leur côté, n’oublieront pas ce que leur humanité rassemblée doit à leur présence. C’est déjà bien.
Merci pour ce bel article sur la fête à Andernos.
Juste une petite précision : sur les 18 jeunes filles au CAOMI d’Arès, une seule (et non dix comme indiqué dans l’article) à pu partir au Royaume-Uni, et 6 ont accepté de faire une demande d’asile en France. Toutes les autres sont parties par leur propres moyens pour rejoindre leur eldorado.
Depuis, le centre d’Arès est fermé et celui d’Hostens le sera aussi prochainement..
Mais les bénévoles continuent à être auprès de celles et ceux qui ont choisi de rester dans la région.
Cordialement,
Rebecca (Biganos, bénévole au CAOMI d’Arès)