Chaque année, pour récolter des dons auprès de leurs collègues au profit du Téléthon, des électriciens et gaziers parcourent plusieurs milliers de kilomètres à vélo. À l’origine de cette idée folle, aujourd’hui baptisée le Fil de l’énergie, Jean-Pierre Samson, alors agent technique à Gaz de France.
Il a quelque chose du Père Noël avec son abondante chevelure immaculée, sa barbe foisonnante couleur neige, ses yeux rieurs et sa bonhomie. Jean-Pierre Samson ne distribue pas de cadeaux aux enfants mais leur apporte de l’espoir. Celui d’un avenir possible, la certitude que la recherche finira par vaincre les maladies génétiques. Et comme le dit la chanson, il y met tout son cœur, ses convictions et un bon coup de pédale. Pour lui, le Téléthon (adapté en France en 1987 par un hydraulicien d’EDF, Bernard Barataud), c’est l’assurance de changer la donne, de contrecarrer le destin et de permettre à ces enfants condamnés de se projeter dans le futur.
Envers et contre tous, ou presque
En 1990, à l’occasion d’une activité sportive organisée par la CMCAS Caen, Jean-Pierre croise trois enfants myopathes dans un institut spécialisé de La Ferté-Macé (Orne). Un choc ! « Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Je voulais leur offrir une seconde chance ; que ces gamins puissent marcher, courir, danser, taper dans un ballon… Avoir une vie normale quoi, comme tout le monde », enrage-t-il.
Lui, le père de trois filles et le grand-père de deux petits-enfants, le sportif accompli, adepte de semi-marathon, de handball, de foot et de vélo bien sûr, ne peut se résoudre à rester les bras croisés. Il ameute ses potes du Gazélec cycliste de Caen, leur propose de participer au Téléthon. Ces derniers déclinent l’invitation, trouvant l’idée saugrenue. Qu’à cela ne tienne, l’entêté partira seul tant l’idée de ne rien faire lui est insupportable.
L’agent GDF sollicite le parrainage de sa CMCAS, qui fait la sourde oreille, et celui de son chef d’agence, qui lui accorde son soutien. « On s’était souvent opposés dans le boulot. Je lui ai dit : ce n’est pas le délégué syndical mais l’homme qui t’interpelle. Il m’a parrainé à raison de 5 francs du kilomètre parcouru. J’ai récolté plus de 1 500 francs à l’époque ! », s’enorgueillit-il.
Il y a vingt-huit ans, Jean-Pierre s’est donc élancé en solitaire les 2, 3 et 4 décembre pour un tour du Calvados, soit 300 km environ, en trois étapes. Quelle ne fut pas sa surprise, sa joie même, lorsqu’au matin du dernier jour une cinquantaine de personnes – cyclistes, motards, coureurs et marcheurs – le rejoignent à Douvres-la-Délivrande (Calvados) pour effectuer avec lui la dernière étape. « C’est extraordinaire. Jean-Pierre a commencé tout seul. Ensuite, les copains l’ont suivi dans son combat contre les maladies infantiles », constate Patrick Condette, dit Pioupiou, 61 ans, un fidèle qui roule avec lui depuis vingt-six ans.
Les « bisonnades », cause collective et nationale
Jean-Pierre n’est pas peu fier d’avoir rallié ses amis à cette cause. Le collectif n’est pas un vain mot pour lui qui a milité toute sa vie pour défendre les droits des salariés. Une valeur intrinsèque à l’image de la solidarité qu’il s’évertue à propager. Fort de ce premier succès, Jean-Pierre n’a de cesse de perpétuer le mouvement et surtout de l’amplifier. À partir de 1992, les initiatives se focalisent autour d’un défi sportif, prémices de ce qui deviendra, en 2000, le Fil de l’énergie.
Jean-Pierre bat la campagne, incitant la grande famille des électriciens et gaziers à s’investir dans l’aventure du Téléthon. C’est à cette époque, après la boutade d’un de ses camarades, que Jean-Pierre est affectueusement surnommé le Bison, et les virées cyclistes solidaires des « bisonnades ».
« Par l’intermédiaire du Téléthon, moi, le gazier, j’ai contacté les électriciens et suis entré dans les centrales nucléaires et hydrauliques. Et même si l’on appartenait à la même famille, il y a des distinctions », rigole Jean-Pierre. Le périmètre d’action s’élargit et ses frères d’armes du gaz et de l’électricité sont toujours plus nombreux à se mobiliser, « bénévolement et sur leurs congés », insiste-t-il. « Le Fil de l’énergie, c’est-à-dire l’engagement des électriciens et gaziers pour vaincre les maladies génétiques rares, revient à faire vivre les différences sans indifférence », clame Jean-Pierre. Au service de l’intérêt des enfants, le Bison porte haut et fort le slogan, semble capable de déplacer des montagnes.
Pour les Activités Sociales, la corporation des électriciens et gaziers, et plus tard la Fondation EDF, il devient monsieur Téléthon. En 1999, Jean-Pierre a « la chance de rencontrer François Roussely », alors PDG d’EDF [de 1998 à 2004, ndlr], « un grand monsieur », qui l’assure de son soutien et gratifie l’Association française contre les myopathies (AFM) de gros chèques. « L’aventure du Téléthon, c’est une affaire d’hommes et de femmes convaincus qui n’ont pas forcément les mêmes idées. Mais tout le monde est le bienvenu », déclare le Bison. Quoi qu’il en soit, cet hurluberlu a réussi le tour de force d’impulser une dynamique et de transformer une initiative individuelle locale en une aventure humaine, collective et nationale.
Courir, envers et contre tout
Des anecdotes, Jean-Pierre en a à la pelle… Durant les grandes grèves de 1995, par exemple, contre le « plan Juppé » portant sur les retraites et la Sécurité sociale. Du 24 novembre au 15 décembre, la France est paralysée. « Dans nos unités, nous étions en grève pendant les trois semaines. Malgré tout, nous avons participé au Téléthon sur nos congés », se rappelle-t-il. Durant leur tournée à vélo, il force avec ses équipiers un barrage de routiers grévistes qui refusent de les laisser passer. On frôle l’échauffourée. Au retour, le responsable de la CFDT lui remet une collecte effectuée auprès de routiers grévistes…
En 1997, il interpelle Jean Lavielle, le tout nouveau président de la CCAS [qui le restera jusqu’en 2004, ndlr], qui, malgré les réticences du conseil d’administration et les hésitations des organisations syndicales représentatives, accepte de lui ouvrir les portes de l’organisme. « Plutôt que de payer l’hôtel, nous étions nourris et logés dans les centres CCAS. Ça vaut tout l’or du monde !, sourit Jean-Pierre. Il ne nous restait plus qu’à pédaler. »
Mais son plus beau souvenir reste à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) en 2001. « À la fin de l’étape, nous devions visiter un centre pour jeunes handicapés. Les enfants nous attendaient. Une fanfare nous a accueillis. Je me suis mis à chanter, à danser, à faire le pitre. Pourtant j’étais crevé ; j’avais fait plus de 100 bornes, raconte Jean-Pierre, un brin ému. Les enfants ont éclaté de rire. Ma plus belle récompense ! C’est ça, le Téléthon », s’émerveille-t-il. Pour son pote Patrick Condette, « c’est certain, nous ne pédalons pas dans le vide ! C’est réconfortant de voir tous les progrès médicaux réalisés ».
« Ces enfants ont la mort aux trousses, martèle Jean-Pierre, même si l’espérance de vie a augmenté grâce à la recherche. » Pour lui, pas question de lâcher l’affaire ! Il faut toujours et encore trouver de l’argent pour aider l’AFM à financer la recherche et les nouvelles thérapies. Les querelles de clocher n’intéressent pas Jean-Pierre. Aux sceptiques, il oppose les avancées médicales du Généthon, premier établissement pharmaceutique à but non lucratif créé par l’AFM, progrès qui profitent à l’ensemble de la médecine, et demain peut-être à ces frileux. Et de citer Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM : « On peut changer le monde en vendant des crêpes et des ballons. »
Continuer de décrocher la lune
Un million de crêpes vendues, tel est le défi de l’AFM-Téléthon cette année. Pour changer le monde, peut-être pas, mais sûrement pour infléchir le sort de ces enfants condamnés en vainquant les maladies. En tout cas, celui qui, le 15 septembre dernier, a reçu de l’AFM la médaille Duchenne de Boulogne pour honorer son engagement bénévole – récompense exceptionnellement accordée à Jean-Pierrre Samson et Didier Janoska, agent EDF à l’origine du don d’heures, car habituellement réservée aux chercheurs – en est persuadé.
Sa solidarité envers les enfants malades est infaillible ! S’il n’enfourche plus son vélo à cause d’une maladie des yeux, c’est à pied avec des potes que Jean-Pierre marchera cette année pour le Téléthon. « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir », affirmait Jean Jaurès en son temps.
Faire un don au Téléthon
Site Internet de l’AFM-Téléthon : www.afm-telethon.fr/
Tags: Engagement Fondation EDF Handicap Téléthon