Jusqu’à présent réservée aux femmes en couple avec un homme, la procréation médicalement assistée (PMA) pourrait être étendue à toutes les femmes avec le projet de loi bioéthique, que le gouvernement espère voir entrer en vigueur l’été prochain. Engagées contre toute forme de discrimination, les Activités Sociales donnent la parole à Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit des familles et des homosexuel·les.
Vous être reconnue comme une avocate militante pour les droits des personnes homosexuelles, comment vous est venu cet engagement ?
J’ai prêté serment en 1991, et me suis orientée vers le droit pénal et le droit des étrangers. En 1996, un homme gay marié à une femme par convention, et père de trois enfants conçus par PMA avec son épouse, m’a demandé d’assurer sa défense lors de son divorce. À l’époque, les décisions judiciaires refusaient quasi systématiquement la garde des enfants, voire le droit de visite à un parent homosexuel… Ce cas a été un déclic qui m’a conduit à m’interroger sur la manière dont le droit français appréhende l’homosexualité, et à écrire un livre sur ce sujet (« Droit et homosexualité », Dalloz, 2000).
Suite à cela, des personnes homosexuelles m’ont sollicitée pour que je les défende ou que je protège leur famille en trouvant des solutions qui n’étaient pas prévues dans le code civil. J’ai ainsi pu obtenir la première adoption de trois enfants par la compagne de leur génitrice en 2001.
Choisissez-vous délibérément de plaider dans des affaires pouvant faire évoluer la jurisprudence, notamment en ce qui concerne les droits des personnes homosexuelles ?
Non, j’exerce mon métier d’abord avec le souci qu’une décision du juge change positivement la vie des personnes. Mais j’ai aussi une conscience politique. Aucun droit n’est neutre. Chaque changement législatif est le fruit d’un choix politique et les lois peuvent être interprétées de manière différente. C’est ce que nous avions voulu montrer lors du mariage de deux hommes par Noël Mamère, alors maire de Bègles, en 2004. Nous savions qu’il serait annulé, mais célébrer cette union était une manière de poser publiquement la question du droit au mariage pour tous.
De quoi parle-t-on exactement avec la PMA, actuellement au cœur des débats ?
En l’état actuel du droit français, régi par la loi bioéthique de 1994, la PMA désigne l’ensemble des techniques médicales qui permettent aux couples infertiles d’avoir un enfant. Il peut être question de l’insémination artificielle avec donneur anonyme, de la fécondation in vitro (FIV)… Dans ce dernier cas, le « bébé-éprouvette » implanté dans l’utérus de la femme qui va le porter et lui donner naissance peut être issu des gamètes du père et de la mère, de la mère et d’un donneur, du père et d’une donneuse ou de deux donneurs via le don d’embryon. Aujourd’hui, ces techniques sont réservées aux seuls couples hétérosexuels, mariés ou non, souffrant d’infertilité pathologique ou présentant un risque de transmission d’une maladie génétique grave.
Ces techniques de PMA sont connues depuis près d’un demi-siècle et sont actuellement prises en charge par la solidarité nationale via l’assurance maladie. Ce qui est logique, à mon sens, car un enfant est une richesse pour la société dans laquelle il vient au monde.
Que va changer le projet de loi voté à l’Assemblée nationale, et débattu par les sénateurs à partir du mois de janvier 2020 ?
Les techniques médicales comme la fécondation in vitro et le don d’embryon vont être accessibles à toutes les femmes, sans distinction de leur orientation sexuelle ou du fait qu’elles vivent ou non en couple avec un homme. La condition d’infertilité disparaît. C’est finalement assez logique puisque ces techniques permettent aux couples d’avoir des enfants, mais ne soignent pas l’infertilité.
Le sens politique de cette loi est de reconnaître qu’il n’y a pas qu’une seule manière de « faire famille », même si cela ne représente qu’une part très marginale des naissances. Actuellement en France, 25 000 enfants naissent par PMA avec ou sans donneur, dont 1 400 grâce à un don de sperme ou d’ovocyte.
Quelles limites sont posées à la PMA dans cette loi bioéthique ?
La PMA post mortem reste interdite en France : une femme ne pourra pas utiliser le sperme congelé de son mari défunt pour concevoir un enfant. À mon avis, sur le plan de la jurisprudence, cela ne tiendra pas, puisque qu’en 2016 une veuve a été autorisée à importer d’Espagne le sperme de son mari décédé pour concevoir un enfant en France.
De même, dans ce projet de loi, le diagnostic préimplantatoire sur les embryons est interdit. Cela part d’une bonne intention : ne pas sélectionner les embryons afin de ne pas risquer de tendre vers l’eugénisme. Mais selon les médecins qui pratiquent des FIV régulièrement, cette sélection permettrait de limiter les risques de fausses couches, car on saurait avant de les implanter si les embryons ont des chances ou non de se développer correctement. Pour les professionnels au contact de la réalité, ce diagnostic pourrait donc diminuer le taux d’échec, en plus bien sûr de repérer certaines maladies génétiques. Mais tel n’a pas été le choix du législateur.
Au nom de l’égalité entre les parents homosexuels, ce texte ouvre-t-il la voie à la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d’hommes ?
La question de l’égalité des droits implique qu’il y ait « une égalité des situations de fait ». Or, un couple d’hommes et un couple de femmes ou un couple hétérosexuel ne sont, de fait, pas dans la même situation. La GPA est interdite en France à tous les couples. Rien dans le projet de loi de bioéthique n’ouvre la voie à sa légalisation. Chez nos voisins espagnols par exemple, où la PMA est accessible à toutes les femmes depuis plus longtemps, la GPA reste interdite. C’est bien la preuve que l’une n’implique pas l’autre.
Notons qu’en France il y a eu une radicalisation autour de la GPA. Dans les années 1980, des médecins avaient créé des associations pour que les couples hétérosexuels infertiles qui désiraient un enfant puissent rencontrer des femmes acceptant de le porter pour eux. À l’époque, il n’existait pas de cadre législatif à ce sujet : la mère porteuse accouchait sous X, le père reconnaissait l’enfant et ensuite sa femme déposait une requête pour adopter l’enfant. Cette démarche était alors bordée par un contrat de droit privé de gestation pour autrui. Les juridictions ont ainsi validé des adoptions, jusqu’à ce que la Cour de cassation mette un coup d’arrêt à cette pratique en 1989, puis en 1991, avant que la loi bioéthique n’interdise formellement la GPA en 1994. Aujourd’hui en France, toute convention de GPA est réputée nulle et ne protège pas du tout le couple qui ferait appel à une mère porteuse.
Les enfants issus de dons de gamètes auront-ils de nouveaux droits ?
Les enfants issus d’un don pourront demander, à leur majorité, d’avoir accès à l’identité du donneur et à des informations non identifiantes le concernant, comme par exemple son état de santé, sa profession, etc. C’est un progrès pour ces enfants. Aujourd’hui nombre de jeunes adultes nés par PMA se regroupent dans des associations pour réclamer l’accès à leurs origines, car ils souffrent du secret de leur conception.
Concernant les donneurs, les informations qui seront communiquées lèvent donc partiellement leur anonymat [la loi n’étant pas rétroactive, ndlr], mais n’en font en aucun cas un parent. La filiation est une construction sociale, c’est un lien établi par le droit : les parents sont ceux qui s’engagent à élever un enfant.
Comment est établie la filiation dans le projet de loi bioéthique ?
Si la nouvelle loi est votée en l’état, rien ne changera pour les couples hétérosexuels. Que l’enfant ait été conçu par PMA ou non, l’homme qui est marié à la femme qui accouche est automatiquement reconnu comme le père ; si le couple n’est pas marié, l’homme qui reconnaît l’enfant devient son père aux yeux de la société.
Par contre, les couples de femmes devront effectuer chez un notaire une reconnaissance conjointe anticipée de filiation (RCA). Il s’agit d’un document qui les engage irrévocablement dans le projet parental si elles le mènent à bien. Au moment de la naissance de leur enfant, les couples de lesbiennes présenteront leur RCA à l’officier d’état civil qui rédigera l’acte de naissance sur cette base. Avec ce mode d’établissement de la filiation, l’enfant d’un couple de femmes a accès à son histoire indépendamment de la volonté de ses deux mères.
En revanche, les enfants de couples hétérosexuels peuvent être maintenus dans le secret et être écartés de la vérité de leur histoire si c’est la volonté de leurs parents. Cela peut être perturbant pour eux, c’est pour cela que j’affirme que cette nouvelle loi discrimine les enfants de couples hétérosexuels nés grâce à un don. À mon avis, le gouvernement aurait dû imposer la RCA à tous les couples. Ne pas le faire est une façon de continuer à considérer que l’infertilité est quelque chose que l’on cache, une honte, comme c’est le cas dans toutes les sociétés depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, le don de gamètes ne devrait pas être un tabou, mais, au contraire, une fierté.
Pour aller plus loin
À parcourir, le dossier législatif sur la loi bioéthique sur le site de l’Assemblée nationale et sur le site du Sénat
À lire
« PMA et GPA : des clés pour comprendre », de Caroline Mecary
PUF, coll. « Que sais-je ? », 2019.
Tags: À la une Droits LGBT Inégalités
Le projet de loi a-t-il été adopté en personne et ce projet de loi a-t-il été appliqué dans les pays asiatiques? C’est ce qui nous intéresse quand j’étais natif d’Asie