Dans « Énergies insulaires. Histoire de l’électricité en Guadeloupe « , Pierre Dahomay, ancien cadre à EDF Guadeloupe, raconte l’extraordinaire épopée de l’électricité dans l’archipel, de la fin du XIXe siècle à nos jours. Son documentaire sera diffusé sur Canal+ Antilles ce mercredi 9 septembre à 20 heures et accessible dans l’Hexagone sur Canal+ à la demande. Entretien.
« Énergies insulaires. Histoire de l’électricité en Guadeloupe »
2020, coréalisé par Pierre Dahomay et Pascal Garel, produit par Pascal Garel.
Pourquoi avez-vous souhaité réaliser ce film ?
Parce que j’ai été un témoin privilégié de l’arrivée de l’électricité aux Antilles, et des contraintes qui y sont liées. Je suis né en 1957 et je suis entré à EDF Guadeloupe en 1978. Le film fait le parallèle entre l’arrivée de l’électricité et mon parcours personnel. Quand j’étais enfant, on avait encore des lampes à pétrole et ma grand-mère allait encore laver le linge à la rivière. Ensuite, j’ai assisté à l’explosion de la consommation.
Y a-t-il un document, une photo qui vous a particulièrement marqué au cours de vos recherches ?
Il y a une photo qui m’a vraiment interpellé. C’est la plus ancienne de toutes les archives que j’ai pu consulter. On y voit Auguste Charnot, l’entrepreneur à l’origine des premiers éclairages publics. Il pose à côté d’un moteur diesel avec son chapeau colonial au-dessous d’une longue courroie qui entraîne une dynamo. C’est lui qui a fait construire, en 1913, la première centrale – hydroélectrique – de la Guadeloupe (300 kW), afin d’alimenter l’hôtel thermal et la chocolaterie tenus par ses frères.
En quoi l’année 1946 est-elle une année charnière en Guadeloupe ?
C’est à la fois l’année de la transformation des colonies d’outre-mer en départements [loi du 19 mars 1946, ndlr] et la nationalisation de l’électricité dans l’Hexagone [loi du 8 avril, ndlr]. Quand EDF-GDF voit le jour, l’outre-mer est bien loin des standards de vie européens. La départementalisation est censée lui permettre de rattraper ce retard. Dès 1946, le député de Guadeloupe Paul Valentino demande la nationalisation de l’électricité en outre-mer. Mais il faudra attendre près de trente ans pour qu’en 1975 l’électricité soit nationalisée en outre-mer et que soit créée EDF Guadeloupe.
Vous avez recueilli de nombreux témoignages d’agents retraités, notamment un certain Guy Magdeleine…
Oui, c’est un personnage haut en couleur. Il a travaillé à la centrale à bois de Baie-Mahaut dès les années 1940 et il raconte qu’à l’époque les alentours de Pointe-à-Pitre étaient de véritables taudis, régulièrement emportés par les inondations et les cyclones. Ou détruits par les incendies provoqués par les bougies qui représentaient souvent, pour la majorité de la population, la seule source de lumière une fois la nuit tombée. Les anciennes sources d’énergie comme les lampes à pétrole ont longtemps cohabité avec l’électricité qui s’est étendue rapidement sur l’île à partir des années 1960.
Vous donnez également la parole à Gérard Col qui témoigne de la dureté du travail mais aussi de la « formidable ambiance familiale » qui régnait sur les chantiers.
Gérard Col fait partie des pionniers qui avaient vraiment envie de développer le pays. Il raconte comment lui et ses collègues portaient les poteaux électriques sur leurs épaules. Cela montre le chemin parcouru dans les techniques et l’atmosphère très particulière qui régnait dans les équipes à l’époque. Un esprit de solidarité qui s’est un peu effrité avec le développement des moyens modernes.
Que dire de Gabriel Moustache, cet électricien qui sillonnait à vélo les ruelles de Pointe-à-Pitre, un chapeau de paille sur la tête ?
Gabriel Moustache raconte comment, dans les quartiers pauvres de la périphérie de Pointe-à-Pitre, les gens se raccordaient eux-mêmes à l’électricité en montant dans les arbres et en tirant des câbles nus… Le vélo était le meilleur moyen pour Gabriel de se faufiler entre les « lakous », ces ruelles très étroites. Il les connaissait toutes par cœur ! Les gens de ces quartiers avaient quitté la campagne pour venir travailler dans les usines. À l’époque on transportait sa maison…
En décembre 1964, la télé arrive aux Antilles. « C’est le cadeau de Noël de la mère patrie », titre le journal local. Vous vous souvenez de ce Noël particulier ?
Je m’en souviens très bien. J’avais 7 ans. On était à Bordeaux car mon père avait droit à un congé d’un an en tant que fonctionnaire. C’est là qu’on a découvert la télé. On est rentrés en Guadeloupe avec une télé dans nos bagages. À ce moment-là, nous étions les seuls à posséder une télé dans le quartier. Mon père tenait à ce que toutes les portes et fenêtres soient ouvertes pour que tout le monde puisse en profiter.
Comment l’arrivée de l’électricité a-t-elle transformé la culture antillaise ?
Notre habitat, notre culture, tous nos gestes quotidiens ont été impactés. Avant, on n’avait pas grand-chose d’autre qu’un réchaud à gaz dans la maison. Aujourd’hui, même dans les familles modestes, il y a la climatisation. Les gens sont hyperconnectés mais communiquent moins entre eux. On a perdu quelque chose de nous-mêmes. Mais l’électricité nous a aussi permis d’avoir accès à la santé et aux technologies.
Quand vous entrez à EDF Guadeloupe, en 1978, l’entreprise a du mal à faire face à la hausse de la consommation. Racontez-nous.
En 1975, la nationalisation de l’électricité en Guadeloupe avait fait chuter les prix de 30 %, rendant le « fluide magique » accessible à beaucoup plus de monde. J’étais technicien de conduite et avec mes collègues on se demandait tous les soirs si on allait réussir à passer ce fameux pic qui ne cessait d’augmenter. On demandait parfois aux usines de se retirer du réseau en utilisant leurs groupes électrogènes le temps de passer le pic.
En 2018, la consommation a baissé de 3 %, une première dans l’histoire de la Guadeloupe. L’avenir sera-t-il plus sobre et plus vert ?
Aujourd’hui, environ 20 % de notre consommation est d’origine renouvelable : éoliennes, géothermie, bagasse [résidu de canne à sucre, ndlr], photovoltaïque et petit hydraulique. On progresse, même si on aurait pu aller plus vite.
Que souhaitez-vous transmettre à travers ce film ?
L’électricité est devenue banale et on ne se soucie plus de la manière dont on la fabrique. Je veux montrer que c’est pourtant un bien précieux qui a transformé notre quotidien. Nous devons apprendre à mieux l’utiliser.
L’électrification de la Guadeloupe en 9 dates
À g. : Un « tableautiste » dans la centrale à vapeur de Baie-Mahault, près de Pointe-à-Pitre, en 1935. À dr. : Premiers forages d’exploration de la future centrale géothermique de Bouillante, années 1960. Georges Marianne (de face) deviendra en 1975 le premier directeur d’EDF Guadeloupe. ©Archives EDF Archipel Guadeloupe.
1906 : début de l’éclairage public dans quelques communes.
1916 : la première centrale (300 kW) est hydroélectrique.
1938 : les plus aisés découvrent le réfrigérateur, le fer et la glacière électrique.
1946 : la colonie de la Guadeloupe devient un département français.
1954-1961 : déploiement du réseau de transport et de distribution.
1966 : la centrale au diesel de Jarry Sud devient le principal site de production (19 MW).
1975 : nationalisation de l’électricité en outre-mer et création d’EDF Guadeloupe.
2013 : mise en service à Jarry d’une nouvelle centrale diesel moins polluante.
2019 : mise en service d’un parc éolien à Sainte-Rose (16 MW).
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