Quatre ans après l’installation des CSE, « les taux de ‘presque accidents’ s’envolent »

La soudure sur métal "en charge", ici réalisée par des techniciens gaz chez GRDF à Chalon-sur-Saône, exige une formation très pointue.

La soudure sur métal « en charge », ici réalisée par des techniciens gaz chez GRDF à Chalon-sur-Saône, exige une formation très pointue. ©Charles Crié/CCAS

Les représentants des fédérations syndicales de l’énergie dressent un bilan très sévère des ordonnances Macron qui ont substitué aux anciennes institutions représentatives du personnel une instance unique, le comité social et économique.

« C’est un énorme recul social. » Le secrétaire du CSE central d’EDF SA, Gwénaël Plagne (CGT), n’a pas d’autres mots pour qualifier l’impact social des ordonnances Macron du 22 septembre 2017. Entrées en application en 2019 dans les Industries électriques et gazières (IEG), ces ordonnances ont mis fin aux trois anciennes institutions représentatives du personnel (IRP).

Exit les délégués du personnel (DP), créés en 1936 sous le Front populaire, les comités d’entreprise (CE), inspirés du Conseil national de la Résistance, ainsi que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mis en place par les lois Auroux de 1982 (voir encadré). Désormais, une instance unique est censée remplir les missions des anciennes IRP : le comité social et économique (CSE), flanqué d’une commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT), dépourvue de pouvoir de décision.

Infographie illustrant l'installation des CSE dans les entreprises en 2020. ©Agence Faubourg

Infographie illustrant l’installation des CSE dans les entreprises en 2020. ©Agence Faubourg

La liquidation des CHSCT, danger pour la sécurité

À l’issue de la première mandature du CSE (2019-2023), les fédérations syndicales de la branche sont unanimes : le plus grave avec ce détricotage du droit social – initié en 1992 par la loi Balladur et poursuivi en 2015 par la loi Rebsamen –, c’est la liquidation des CHSCT. « Les nouvelles commissions CSSCT ne peuvent pas actionner directement le droit d’alerte que pouvaient actionner les CHSCT, notamment en cas de danger grave et imminent. Cela permettait de faire remonter des problèmes avant qu’ils ne se transforment en accidents ou en presque accidents », précise Gwénaël Plagne.

En matière de sécurité, l’inquiétude grandit au sein des IEG. « À GRDF, on constate une recrudescence des accidents du travail, déplore Thomas Dutel (CGT), secrétaire du CSE central. À la direction régionale Nord-Ouest, on avait 48 élus, répartis sur 4 CHSCT. Aujourd’hui, on n’en a plus que 16, répartis sur 4 CSSCT. »

« Les taux de presque accidents s’envolent. »
Sébastien Michel, secrétaire fédéral à la FCE-CFDT

Globalement, la réforme des IRP s’est traduite par une forte réduction des moyens dont disposent les élus : moins d’instances représentatives, moins d’heures de délégation, moins de représentants au contact des agents et à l’écoute de leurs souffrances liées à la dégradation de leurs conditions de travail. Avec des conséquences directes dans les nombreux sites sensibles que compte la branche.

Ainsi, dans les entreprises classées Seveso, « les taux de presque accidents s’envolent », affirme Sébastien Michel, secrétaire fédéral à la FCE-CFDT, en charge de la politique énergétique pour les branches IEG et pétrole. L’ancien gazier voit se multiplier les situations dangereuses, qui pourraient un jour causer des accidents graves : « Le gaz, ça se paie cash, prévient-il. Sur les sites GRT Gaz, quand une culasse cède au niveau d’une grosse canalisation… il vaut mieux qu’il n’y ait personne devant ! »

La réforme des IRP, ajoutée à une politique patronale de réduction des coûts et au recours massif à la sous-traitance, peut créer un cocktail explosif, estime le syndicaliste : « À force de trop tirer dessus, la corde va lâcher. »

Des enjeux cruciaux dans le nucléaire

Les ordonnances Macron, qui ont dépossédé les élus d’une partie de leurs prérogatives, sont arrivées dans un contexte de profonde mutation des métiers liée à la transition énergétique. À Enedis, la direction a voulu mettre en place au pas de charge, il y a quatre ans, des agences de surveillance des réseaux et de gestion des dépannages en ne tenant compte ni de l’avis négatif des organisations syndicales ni de leurs propositions (formation, accompagnement des salariés, etc.), raconte Frédéric Fransois (CFE Énergies), secrétaire du CSE central.

« Quatre ans plus tard, on en est encore à réaliser des ajustements » pour résoudre les problèmes humains créés par ce redéploiement. Malgré la réduction des moyens alloués aux élus, « il faut absolument garder le lien avec les salariés « , insiste Frédéric Fransois. S’ils n’ont plus d’échanges avec leurs représentants de proximité, certains peuvent être tentés de « s’autoorganiser », alerte-t-il. Un effet « gilets jaunes » que redoute aussi la CGT.

« Les enjeux autour de l’énergie sont cruciaux et le CSE doit jouer son rôle. »
Gwénaël Plagne, secrétaire du CSE central d’EDF SA (CGT)

Mais l’autre sujet à plus long terme, c’est le rythme et la pression qui pèsent sur les membres des CSE : réunions à n’en plus finir, complexité des sujets à maîtriser, manque de formation… Avant la réforme des IRP, explique Sébastien Michel, on pouvait rester DP pendant des années, ou bien rester membre de son CHSCT si on était passionné par les questions de santé. Aujourd’hui, « il faut être bon dans tous les domaines : le social, la santé, la sécurité, la négociation », regrette l’élu CFDT, qui constate une réelle réticence des salariés à s’investir dans ces instances.

La défense des agents des IEG est-elle devenue pour autant une cause perdue ? Certainement pas, rétorque Gwénaël Plagne : « Les enjeux autour de l’énergie sont cruciaux et le CSE doit jouer son rôle. Il y a l’avenir d’EDF comme entreprise intégrée, les questions tarifaires, le service public, le statut… Il faut aussi prolonger le parc existant, préparer le nouveau parc nucléaire, investir sur le réseau et dans toutes les énergies. Pour embaucher 10 000 agents par an dans la filière nucléaire, il faut aussi que l’entreprise soit attractive, avec un statut de haut niveau. » À GRDF, on compte remettre la pénibilité (exposition aux substances toxiques ou dangereuses, astreinte, etc.) au cœur des discussions afin d’obtenir le droit à une retraite anticipée pour les agents concernés. Du grain à moudre dans les mois à venir pour tous les représentants du personnel.



 

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