Elle a été la seule femme membre du CCOS (l’ancêtre de la CCAS) et on ignore tout de son histoire : qui était Renée Lemanissier, dactylo et syndicaliste CGT ? Pourquoi n’y a-t-il aucune trace d’elle dans les archives ? Quelques éléments de réponse avec Christian Langeois, ancien président de la CAS de Caen, qui conduit à présent des recherches en histoire sociale.
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Pourquoi Renée Lemanissier est-elle élue au CCOS en janvier 1947, lors des premières élections de l’organisme ?
On l’ignore ! Tout comme on ignore quelle fut son action au sein du CCOS. Elle est la seule femme candidate sur la liste CGT, emmenée par Marcel Paul. Elle y est présentée comme employée de l’ex-société Gaz et Eau de Saint-Aubin-sur-Mer, dans le Calvados (nationalisée et intégrée au sein de GDF), et secrétaire adjointe de l’intersyndicale de cette entreprise.
Y avait-il une politique syndicale délibérée de promotion des femmes syndicalistes ? A-t-elle été poussée par Auguste Loubet, figure syndicale du gaz de Caen et proche de Marcel Paul ? De fait, elle ne se représente pas aux élections de 1949, mais une autre femme est élue sur la liste CFTC : Marcelle Cage.
« Elle apparaît vraiment avec son élection au CCOS de 1947 […]. Puis on perd à nouveau largement sa trace jusqu’à son décès en 1986. »
Que sait-on de son parcours syndical ?
Pas grand-chose, là encore. Elle est née en 1909 dans un milieu agricole très simple du Maine-et-Loire. Son père et son oncle sont tués à la guerre. Grâce à son statut de pupille de la Nation, elle accède à une formation de sténo-dactylo. À la fin des années 1920, elle entre à la société Gaz et Eau de Saint-Aubin-sur-Mer. Et elle épouse Maurice Lemanissier, un maçon, natif de Courseulles-sur-Mer, un village voisin. Ils auront ensemble deux filles.
On ignore tout de son éventuelle activité syndicale pendant l’entre-deux-guerres et l’Occupation, durant laquelle Saint-Aubin-sur-Mer était dans la zone interdite, extrêmement contrôlée par les Allemands. Elle apparaît vraiment avec son élection au CCOS de 1947, puis à la CAS de Caen de 1949 à 1955. Puis on perd à nouveau largement sa trace, jusqu’à son décès en 1986.
Pourquoi sait-on si peu de choses sur Renée Lemanissier ?
Parce qu’elle est absente des sources que nous utilisons habituellement pour rédiger les notices biographiques du mouvement ouvrier. Il n’y a rien sur elle dans la presse syndicale, ni dans les archives de la CGT ou de la CAS de Caen. Il n’y a rien non plus dans les archives de surveillance policière. Et elle ne se présente pas à des élections politiques.
Côté archives privées, il n’y a presque rien non plus : ses deux filles sont décédées, et le gendre que j’ai retrouvé m’a rapporté quelques souvenirs (c’était « une femme de tête », par exemple) mais il n’avait pas d’archives.
« Comme historien du mouvement ouvrier, ce n’est pas la première fois que je constate que des femmes ayant joué un rôle important tombent dans l’oubli. »
Comment expliquez-vous que cette figure soit tombée dans un oubli presque total ?
Comme historien du mouvement ouvrier, ce n’est pas la première fois que je constate que des femmes ayant joué un rôle important tombent dans l’oubli. Le plus souvent, il y a des raisons politiques sous-jacentes. J’en avance une à propos de Renée Lemanissier, qui n’est à ce stade qu’une hypothèse.
En 1955, la famille Lemanissier part vivre en région parisienne, sans doute parce que Renée est devenue la secrétaire de l’ingénieur Roger Courbey, qui était depuis la nationalisation directeur régional d’EDF-GDF pour la Normandie. Celui-ci est nommé en 1954 directeur général du gaz de Paris, et Renée Lemanissier va le rejoindre. Or, Courbey est très proche des milieux socialistes. On peut imaginer que, dans le contexte politique très tendu de la Guerre froide, Renée Lemanissier se soit ainsi éloignée de la CGT, ce qui expliquerait que sa mémoire n’ait pas été entretenue.
Renée Lemanissier est-elle représentative des femmes de la génération qui a participé à la création des Activités Sociales ?
Il y a seulement quatre femmes – Renée Lemanissier et Adrienne Selb dans la délégation CGT, Alice Blanc et Marcelle Cage dans la délégation CFTC – parmi les 69 administrateurs titulaires et suppléants de la période 1947-1950. Difficile donc de dire si elles sont représentatives…
Certes, la corporation des électriciens et gaziers est fortement masculine. Pour autant, si chaque délégation syndicale tient à affirmer la place des siens dans la Résistance, nous savons aujourd’hui que celle des femmes fut largement sous-estimée. Parmi les quatre femmes administratrices, sous réserve de nouvelles recherches, seule Marcelle Cage fut engagée dans le réseau lyonnais résistant « Témoignage chrétien ».
Pour revenir à la question de la représentativité des femmes dans les Activités Sociales, nous pouvons émettre l’hypothèse que les différentes délégations syndicales ont eu alors comme premier souci une représentation géographique et de « métiers », image de leur volonté d’efficacité. Il est toutefois important de repositionner cette question à la lumière des usages et réflexions de l’époque qui n’étaient pas celles d’aujourd’hui.
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