Les impasses de la gestion patronale

Photo groupe d'enfants et moniteur en noir et blanc. Colo CCOS à Peyrat-le-Chateau, 1954 ©DR

Colo CCOS à Peyrat-le-Château, 1954 ©DR

Signée par le ministre de l’Industrie Louvel lorsqu’il prend le décret du 17 février 1951, la dissolution du CCOS d’EDF-GDF (le Conseil central des œuvres sociales, dont la gestion était assurée par les élus) est actée le 20 février 1951 par l’intervention de la police dans les locaux de l’instance. S’ouvre alors une période d’instabilité à la fois juridique et concrète. Sur le plan du droit, les Caisses mutualistes complémentaires d’action Sociale (CAS)1, qui assurent au quotidien les prestations médicales et sociales des électriciens et gaziers, continuent d’exister, avec leurs conseils d’administration élus, où la CGT est presque partout majoritaire. Mais tout ce qui relève d’une action nationale, comme les colonies pour enfants ou les vacances pour adultes, est à présent sous la direction d’un administrateur, au statut juridique incertain, désigné par les directions d’EDF et GDF. Sur le plan pratique, la gestion patronale des œuvres sociales met de fait de côté les militants syndicaux, qui les avaient bâties depuis 1947: ceux-ci se demandent dès lors quelle conduite tenir.

La CGT, qui a échoué à impulser un mouvement massif des électriciens et gaziers contre la dissolution du CCOS, s’efforce de repartir de la base. Elle crée successivement un comité de coordination des CAS, puis une Union des CAS, toujours sous la présidence de Marcel Paul. Les deux structures se heurtent au refus catégorique du gouvernement d’en reconnaître la représentativité. À la base aussi, on s’interroge sur le nouveau CCOS patronal, comme le montre le registre de la CAS de Saint-Dizier. Dans le compte rendu de l’assemblée générale du 1er décembre 1951, il est indiqué: «Au début de l’année, nous ne voulions pas reconnaître le CCOS mis en place par la Direction générale. Les rapports se faisaient par l’intermédiaire de la direction: nous avons adopté une position de combat dans l’espoir d’amener le gouvernement à céder. Hélas! Fin mai, nous avions un problème très important à résoudre! Celui des départs en colonie de vacances. Il ne pouvait être question de priver nos enfants de vacances […]. C’est ce problème crucial des colonies de vacances qui a motivé de la part de notre conseil d’administration un revirement de notre politique initiale.»

PAS DE CONVERGENCE DES SYNDICATS AVANT 1954

Les enfants des électriciens et gaziers partent donc en colo durant les étés 1951 et 1952 dans la plus joyeuse insouciance, et les militants syndicaux organisent le convoyage, même si c’est à reculons pour ceux de la CGT. Dans les mFilieux syndicaux, la question des œuvres sociales reste un sujet d’affrontement. Toutes les organisations représentatives ont condamné la dissolution du CCOS. Mais leur position face au coup de force varie: FO soutient qu’il faut s’en accommoder, l’UNCM se désintéresse de la question, tandis que la CFTC hésite. La CGT, qui représente plus de 60 % du personnel, se refuse à tout compromis avec la direction provisoire du CCOS patronal qu’elle appelle «les imposteurs».

L’année 1953 est un tournant. La déstalinisation qui s’engage en URSS mène la CGT à sortir de son isolement. En 1954, un accord est conclu avec la CFTC pour proposer une reprise commune des Activités Sociales des électriciens et gaziers. Du côté gouvernemental, la détente est aussi à l’ordre du jour. Une des dernières décisions du gouvernement de centre gauche de Pierre Mendès-France est de rendre, par le décret du 3 février 1955, la gestion des œuvres sociales aux salariés des Industries électriques et gazières. Le texte crée en particulier une Caisse centrale des Activités Sociales (CCAS), chargée d’organiser toutes les activités de dimension nationale, et un Comité de coordination des œuvres sociales, formé de représentants du personnel, chargé de répartir entre la CCAS et les CAS l’équivalent de 1% du chiffre d’affaires des Industries électriques et gazières, comme l’avait prévu la loi de nationalisation de 1946.

Est-ce le retour à la gestion ouvrière des activités sociales? En partie, mais pas suffisamment, estime la CGT pour qui le décret de 1955, même s’il marque un pas en avant, n’est pas satisfaisant sur le plan démocratique: les administrateurs de la CCAS seront nommés par le gouvernement sur proposition des syndicats et non élus, un point de tension qui deviendra vite crucial.

UNE GESTION QUI DONNE DE PIÈTRES RÉSULTATS

Les querelles syndicales sont loin d’être réglées en cette année 1955. La CGT et la CFTC reprochent à l’administration provisoire du CCOS l’absence de transparence des comptes et ses piètres résultats en matière de développement des activités sociales: 6 nouveaux camps de toile seulement ont été ouverts trois ans après la dissolution du CCOS élu, alors que celui-ci en avait créé 13 durant la seule année 1951; 28 000 enfants d’électriciens et gaziers étaient partis en vacances en 1951, ils ne sont plus que 21nbsp;972 à le faire en 1954. Et si en 1951 les enfants profitaient de 35 jours de vacances, en 1956 ils ne partent plus que 29 jours.

L’affaiblissement des activités sociales des électriciens et gaziers ne fait cependant que commencer. La guerre d’Algérie, qui entraîne la mobilisation des jeunes gens de plusieurs classes d’âge, contribue à assécher le vivier de moniteurs de colonie. Le mouvement syndical, presque unanime, s’oppose à la guerre. Le CCOS d’Électricité et gaz d’Algérie, entreprise homologue d’EDF dans les trois départements algériens, est à son tour dissous en 1956, accusé de soutenir les indépendantistes. En ce milieu des années 1950, les conditions légales pour la reprise de la gestion des œuvres sociales par les salariés sont réunies, mais les conditions politiques ne sont pas au rendez-vous.

1 Ce sont les ancêtres des CMCAS.
Couverture du numéro 55 du journal Force, avril 1955. La Victoire CGT-GNC

Numéro 55 du journal Force, avril 1955. La Victoire CGT-GNC

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