Invités, à l’occasion des 75 ans des Activités Sociales, à créer un spectacle de danse aérienne au village vacances de Pleaux du 18 au 25 juillet, le danseur Hartmut Reichel et le musicien Christian Vasseur ont placé leur résidence artistique sous le signe de la découverte, du partage et de la rencontre avec les bénéficiaires.
« Vous cherchez l’artiste ? Vous le trouverez sous son arbre ! », nous lance le responsable adjoint du village vacances de Pleaux (Cantal) en tendant le bras vers l’immense Séquoia qui trône à gauche du restaurant du centre. Au pied du géant, dont le tronc mesure plusieurs mètres de circonférence, Hartmut Reichel est en plein entraînement en vue du spectacle qu’il donnera, à cet endroit même, à l’issue de sa semaine de résidence artistique. Au sol, le danseur dénoue avec grâce chacun de ses muscles, semble prendre la mesure de l’espace, apprivoiser l’arbre centenaire qui va le porter. Après avoir attaché le mousqueton de son baudrier à la corde qu’il a lui-même fixée sur l’une des premières branches, à plus de cinq mètres, il s’élance, d’abord à travers des mouvements de balanciers chorégraphiés au ras du sol, puis prenant de la hauteur. Les figures de plus en plus acrobatiques, voire périlleuses, s’enchaînent dans un ballet où l’homme suspendu au fil tendu devient presque animal quand il rencontre le végétal, s’y agrippe, faisant corps avec l’écorce tel un lézard blond, souple et agile.
Cet été, le village vacances de Pleaux a accueilli le danseur-chorégraphe Hartmut Reichel, accompagné de son musicien Christian Vasseur, pour une représentation en plein air. ©Pierre Charriau/CCAS
Casquette vissée sur la tête un homme est venu s’asseoir sur les marches qui surplombe l’arbre et observe attentivement le travail d’Hartmut. Il s’agit de son partenaire, le musicien et compositeur Christian Vasseur. « Cela fait plusieurs années que nous travaillons ensemble au sein de la compagnie Empreinte, mais j’ai besoin de m’imprégner de son rythme afin de créer les morceaux inédits qui accompagneront sa prestation, explique-t-il. Je prépare quelque chose d’assez planant, avant des boucles samplées et aussi des moments d’improvisation à la guitare. » Passionné de poésie, Christian intégrera aussi à la bande-son du spectacle des Haïkus écrits par les vacanciers lors d’ateliers menés avec eux les jours précédents. « On a travaillé des formes simples sur les éléments naturels de leur environnement immédiat, ensuite je les ai enregistrés et je suis en train de faire le travail de montage… », précise-t-il.
Tandis que le soleil décline, et que les cris des enfants qui s’ébattaient dans la piscine s’apaisent progressivement, le danseur range son matériel et nous rejoints. Lorsqu’il dansait, son port altier et son visage concentré lui donnaient un air un peu sévère, impressionnant. Mais dès que la conversation s’engage autour de son parcours, c’est un homme au regard pétillant et à l’humour ravageur qui raconte, dans un français parfait teinté d’un charmant accent allemand, sa rencontre il y a quatre ans avec la danse aérienne, après trente-huit ans de carrière internationale en tant que danseur classique et néoclassique. « Je suis Allemand mais je vis en France depuis une quinzaine d’années, basé à Lille où j’ai fondé la compagnie Empreinte. Je collabore aussi avec d’autres compagnies, notamment des Circassiens. Aujourd’hui, mon activité principale est de réaliser des spectacles de danse aérienne en milieu naturel. »
Forêts, montagnes ou falaises sont ainsi les décors de ses prestations, toujours crées in situ en lien avec l’environnement. Depuis qu’il a découvert la danse aérienne, cette discipline peu connue est devenue pour Hartmut une passion qu’il souhaite faire partager. « Quand la programmatrice de la CCAS m’a appelé après avoir entendu parler de mon travail par l’association « Travail et Culture » j’étais ravi : des amis à moi avaient déjà tourné avec la CCAS et en gardaient un très bon souvenir, je savais que tout se ferait en liens étroits avec les vacanciers, que j’aurais du temps pour leur faire connaître les ressorts de mon travail… J’ai proposé de les associer à travers des ateliers d’initiation à la danse aérienne. Ils se déroulent juste à côté du point rencontre, sous les grands pins. Hier, une douzaine de personnes, majoritairement des enfants, ont participé. On recommence demain à 9 h 30, vous venez ? Il faut juste mettre un pantalon pour protéger vos cuisses du frottement des sangles du baudrier ! »
Le lendemain matin, une douzaine d’enfants sont au rendez-vous, certains accompagnés de leurs parents ou grands-parents. Mélanie, 35 ans, seule adulte du groupe, a confié la garde de ses jeunes enfants à ses parents. Hartmut accueille chaleureusement les participants dont il a retenu tous les prénoms. Avant de rejoindre les arbres auxquels il a fixé des cordes, un passage obligé : les étirements… « aie, ouille, ça craque… c’est trop dur ! », tempêtent les garçons qui, pourtant, se prêtent de bonne grâce aux exercices dans la perspective de pourvoir bientôt grimper dans les arbres. Du côté des filles, on souffre en silence. Sauf la petite Romane, 8 ans, à qui tout semble facile et qui épate tout le monde avec son grand écart parfait, digne d’une future gymnaste. Enfin, le moment tant attendu arrive : les participants enfilent un baudrier, écoutent avec attention les consignes de sécurité… Les plus aguerris, comme Noa, 10 ans qui pratique l’escalade, montrent aux nouveaux comment passer la corde dans le grigri (descendeur-assureur qui permet de descendre en rappel) et fixer le mousqueton. Après avoir vérifié que tous les équipements étaient bien installés, Hartmut invite ses élèves se repartir en groupe de deux et à choisir l’arbre qui va les porter. Chacun goûte alors au plaisir de se balancer à quelques mètres du sol et de tenter quelques figures en prenant appui ou élan sur le tronc. Beaucoup moins simple qu’il ne paraissait la veille en regardant le professionnel évoluer en toute légèreté…. D’abord, il faut se propulser à la force des bras pour gagner en hauteur, puis penser à mesurer son élan pour ne pas être violemment projeté contre l’écorce… certains en seront quittes pour quelques égratignures. N’est pas lézard qui veut ! Mais après des débuts un peu chaotiques, les enfants commencent à s’amuser : Mathis le plus petit, parvient à se hisser à quelques mètres du sol, aidé par Mélanie. Le sourire de l’enfant témoigne de sa fierté. Lucile, 13 ans, a grimpé aussi haut que possible et prend un plaisir non dissimulé à regarder le groupe d’en haut avant d’entamer une descente parfaitement maîtrisée. « Le but n’est pas de monter le plus haut possible, mais de tenter de vous balancer, de faire des figure, de danser avec l’arbre », précise le chorégraphe, tout en aidant une participante à se placer le long de la corde, la tête en bas, à la verticale. Romane, la petite prodige parviendra même à effectuer une roulade autour de la corde à plusieurs mètres de hauteur, sous l’œil admiratif de ses camarades. « Elle a des capacités, on l’a inscrite à la gymnastique depuis un an et c’est devenu sa passion », témoignent ses parents.
Après plus de trois d’heures d’exercices, il est temps de ranger le matériel… et d’échanger ses impressions. « C’était plus facile qu’hier », lance Noa, enthousiaste. « Normal, plus on pratique, plus on s’amuse », lui répond le professeur. Toutes et tous ont « a-do-ré ». « C’était génial, j’adore évoluer en hauteur. J’aimerais continuer quand je rentrerai chez moi dans le Nord », déclare Lucile, conquise. Hartmut lui promet de lui donner des adresses, heureux d’avoir fait des émules. « Ce que j’aime avec la CCAS, c’est cette possibilité de transmettre, d’ouvrir l’esprit des petits et des grands à des choses vers lesquelles ils ne seraient pas allés spontanément », confie le danseur, sûr que ceux qui ont participé à l’atelier n’apprécieront que davantage le spectacle auquel il leur a donné rendez-vous le lendemain soir.
Ce que j’aime avec la CCAS, c’est cette possibilité de transmettre, d’ouvrir l’esprit des petits et des grands à des choses vers lesquelles ils ne seraient pas allés spontanément
Le mot est passé. Dès 20h15, les bénéficiaires affluent vers le Sequoia géant au pied duquel se tiennent Hartmut et Christian. Petits et grands prennent place, assis sur les marches. On apporte des bancs pour les derniers arrivés. « Il y a même des gens du village de Pleaux qui ont fait le déplacement », se félicite Alexandre le responsable du centre. Le soleil, confiné derrière les nuages durant ce samedi maussade daigne même faire une apparition… c’est le signe que le spectacle peut commencer.
Assis au pied de l’arbre, dos collé au tronc, jambes repliées contre la poitrine, la tête enfouie entre ses bras croisés sur les genoux, la position du danseur, immobile, rappelle la chrysalide de la chorégraphe Caroline Carlson. Des voix montent du haut-parleur : « marchant sur le chemin, les pieds dans l’eau… une balle un cochonnet, un point… une petite feuille dans un bocal… » : ce sont les mots vacanciers, qui ont enregistré leurs poèmes, savamment orchestrés par Christian, qui, archet en main, les accompagne du son de sa guitare qu’il prend pour un violoncelle. L’air devient électrique et le danseur se met en mouvement. Tout en ondulations, il déplie ses membres un à un, puis c’est tout le corps qui se déploie. « Il prend son envol », chuchote ma voisine. Lentement, puis de plus en plus vite, il s’élève, tantôt oiseau quand il effectue des figures périlleuses, corde tendue en balancier autour de l’arbre, tantôt félin quand il enserre le tronc et s’y arrête, comme à l’affût du prochain mouvement de la prochaine figure. Toujours parfaitement maîtrisée, la musique l’accompagne, le porte.
Pendant une quarantaine de minutes, le public est tenu en haleine. Les enfants, ébahis par la maîtrise des gestes techniques dont ils ont appris les rudiments, ne cachent pas leur admiration… Les voix reviennent pour clore le spectacle : « coucher de soleil orange, bruit des vagues, il disparaît… il disparaît » Le silence se fait et c’est l’heure du salut pour les deux artistes, immédiatement suivi d’applaudissements nourris. Les enfants courent féliciter leur prof et la discussion s’engage avec les bénéficiaires, aussi conquis que curieux. La plante des pieds et le tee-shirt portant encore la trace de l’écorce rouge et spongieuse du Séquoia, Hartmut répond aux questions et accueille les impressions du public. « C’est la première fois que je vois de la danse aérienne, s’exclame Josiane, retraitée d’EDF en vacances avec ses trois petits enfants. Il nous a fait voyager, c’est magique. » Un moment suspendu, hors du temps, qui aura donné un goût unique à leurs vacances.
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