À l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Martin Luther King, auquel il a consacré une biographie, l’essayiste et philosophe Alain Foix revient sur la permanence du racisme.
Les injustices et les violences racistes agitent toujours les États-Unis. Les années de lutte non violente pour les droits civils ont-elles servi à quelque chose ?
Oui certainement, elles ont servi à faire aboutir les demandes de droits civiques, notamment le droit de vote. Mais bien que le combat de Martin Luther King ait conduit à l’arrêt des discriminations raciales et de la ségrégation, celui-ci avait perçu que le problème n’était pas seulement politique ou juridique, mais était aussi économique. Les ghettos créaient une discrimination spatiale générant violence et racisme. Et ce problème demeure. La solution n’a pas été trouvée pour créer une véritable mixité sociale et une égalité réelle. C’est la même chose en France : les droits sont les mêmes pour tous, mais certains vivent en banlieue dans des ghettos et d’autres dans le 7e arrondissement de Paris.
Dans notre histoire commune, il y a celle de l’esclavage. Doit-on continuer à en parler ?
Oui, car nous vivons encore sous les coups transmis par l’esclavage, mais toute la question est de savoir comment. Pour justifier l’esclavage, il a fallu créer une image déshumanisée du noir : grosso modo, celle d’un maillon entre l’homme et le singe. L’iconographie développée à cette époque reste très ancrée dans certaines mémoires. Une ministre à qui l’on tend une banane, c’est la suite de tout cela. Il est donc important d’expliquer les causes réelles de l’esclavage (dont l’histoire est aussi celle du capitalisme), et que l’on n’est pas esclave par essence, le mot « esclave » vient d’ailleurs du mot « slave », les Slaves étant autrefois « esclaves ». De plus, la France n’est pas que l’Hexagone. Elle doit intégrer sa propre histoire, notamment celle d’Haïti. On oublie trop souvent tous les apports ethniques et nationaux qui l’ont constituée et qui, d’une manière ou d’une autre, sont reliés à l’histoire de l’esclavage.
« Français avec une majuscule, oui, mais il n’y a pas de nation noire ni de nation blanche. »
Dans votre essai « Noir, de Toussaint Louverture à Barack Obama », vous interrogez le fait que l’on qualifie encore le « noir », alors même que les termes de « jaune » et « rouge » ont été abandonnés…
À l’encontre des règles du code typographique, je ne mets jamais de majuscule à noir ou blanc. La majuscule renvoie à quelque chose d’essentiel, à la nature de la personne. Pourquoi mettre une majuscule à un qualificatif qui ne touche pas à quelque chose d’essentiel ? Noir, blanc ou roux ou blond est une qualité particulière, visible, d’un corps. On peut avoir la peau noire et ne pas se considérer comme noir. Français avec une majuscule, oui, mais il n’y a pas de nation noire ni de nation blanche. Alors à quoi cela correspond-il ? Un Indien peut avoir la peau aussi noire qu’un noir et pourtant on ne qualifie pas de noirs les Indiens. Noir signifie-t-il africain ? Cette essentialisation pose un problème.
Qu’entendez-vous par « solder l’impôt de la couleur et en finir avec la négritude » ?
La couleur de peau est un stigmate, une construction historique, iconographique. On marquait les esclaves d’un fer, aujourd’hui on nous marque d’une couleur. Lorsque l’on parle des banlieues, on imagine immédiatement les noirs ou les Arabes. Il y a une dépréciation de fait par la couleur de peau. Noir signifie beaucoup de choses et notamment un état social d’infériorité. Cet impôt, on le paie lorsque l’on cherche un travail, etc. Mais si l’on reprend sa couleur de peau pour la porter en drapeau, on se relie à cette dimension, on accepte cette donnée. Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire ont pensé la négritude comme concept opératoire pour valoriser la civilisation noire. Mais le concept doit être dépassé. Sinon, on en fait un essentialisme. Continuer à défendre la négritude, c’est trahir Césaire. Et s’enfermer dans la couleur.
Vous avez écrit les biographies de Toussaint Louverture, de Che Guevara et de Martin Luther King. Quel est le point commun de ces trois personnages ?
Ce sont des personnalités quasi christiques vouées à une cause historique jusqu’à la mort. Ils sont américains. S’il ne prônait pas le même type de lutte, Che Guevara connaissait très bien la pensée de Toussaint Louverture et s’est servi de ses théories pour sa propre réforme agraire. Fidel Castro et Che Guevara avaient d’ailleurs pour ambition de réunifier Haïti avec l’ensemble des Caraïbes. Che Guevara a découvert la question noire tardivement, en arrivant en Haïti, puis s’y est beaucoup intéressé, notamment à travers Frantz Fanon. Tout le travail qu’il a fait au Congo et en Algérie est lié à cette compréhension de la lutte des noirs dans le monde.
Vos questions
Kévin Theys, 24 ans, agent EDF au CNPE de Belleville-sur-Loire, CMCAS Berry-Nivernais
« Peut-on lutter contre le racisme individuellement ? »
Alain Foix : Le racisme n’est pas une question personnelle, il est plutôt politique, social et économique. Le raciste se trompe de combat. Il est utilisé par les politiques contre ceux-là mêmes qui souffrent. La première arme contre le racisme est donc la mixité. Il ne sert à rien d’appeler à la diversité sans favoriser la mixité. À l’école, tous les enfants doivent pouvoir se croiser. Ensuite, il faut recréer une identité nationale qui prend en compte la diversité, au lieu de sous-entendre, sans jamais le dire, que l’identité nationale est blanche. J’insiste encore sur l’enseignement de l’histoire : celle d’Haïti par exemple n’a pas toujours été une histoire de pauvreté. Elle a longtemps été le pays de cocagne de la France… mais cela arrange beaucoup de monde de ne pas le raconter.
Pour aller plus loin
« Martin Luther King », Gallimard, 2012, 320 p., 8,90 euros (ebook : 8,49 euros).
« Noir de Toussaint Louverture à Barack Obama », Galaade éditions, 2009, 96 p., 10 euros.