Alors que sa dernière mine de houille vient à peine de fermer, l’Allemagne se prépare à sortir du lignite. Quel avenir pour les quelque 70 000 travailleurs concernés ? Reportage.
Le vin chaud coule à flots sur le marché de Noël de Bottrop en ce dernier mercredi de novembre. Mais cette année, il a une saveur un peu particulière. Les 120 000 habitants de cette ville de la Ruhr (Allemagne) s’apprêtent à faire leurs adieux à Prosper-Haniel, la mine qui les a fait vivre pendant cent cinquante ans. Le 21 décembre, il n’y aura officiellement plus aucune mine de houille en activité en Allemagne. Une page de l’histoire du pays se tourne.
Avec ses mines, qui employèrent plus de 500 000 personnes, ainsi que ses aciéries, la Ruhr fut longtemps le coeur battant de la première puissance économique européenne. L’épilogue était inexorable : depuis les années 1960, l’extraction de charbon n’était plus compétitive. Elle n’avait pu se poursuivre jusqu’à maintenant que grâce aux subventions de l’État. Désormais, ce sont les énergies renouvelables qui en bénéficient. Tandis que Bottrop tente, sans trop de dommage (seulement 6,3 % de chômage), de s’inventer un autre avenir, la tension monte, un peu plus au sud, près de Cologne.
L’étau se resserre
Assis dans sa cabine, devant l’écran de contrôle, Janus actionne l’immense roue dentelée (22 m de diamètre) qui permet d’extraire le sable et le lignite de la falaise où se cache le précieux combustible. Vingt-six ans déjà qu’il conduit cet engin qu’on croirait tout droit sorti d’un film de science-fiction : 220 m de long, 96 de haut, 13 500 tonnes. Un monstre d’efficacité. La mine à ciel ouvert de Garzweiler est pourtant en sursis. Son permis d’exploitation expire en principe en 2045, mais il pourrait bien être écourté de quelques années. Car l’étau se resserre tout autour. À quelques kilomètres de là, la mine de Hambach est devenue le symbole de la lutte contre les énergies fossiles. Et un lieu de convergence pour les militants écologistes de toute l’Europe : ils veulent que le pays renonce définitivement au charbon avant 2030.
Après avoir mis en place un plan express de sortie du nucléaire (2011-2023), l’exécutif doit décider, d’ici à début février, du calendrier de mise à l’arrêt des différents sites de lignite. Mais plus que le calendrier, c’est l’avenir des salariés qui inquiète. En Allemagne, plus de 20 000 personnes travaillent dans les mines et les centrales à lignite. Si l’on y ajoute les sous-traitants et les partenaires, le chiffre monte à 70 000. « Quelles mesures va-t-on prendre pour conserver ces emplois, et comment va-t-on financer tout cela ? » interroge Uwe Maassen, directeur de Debriv, association des employeurs du lignite. Pour répondre à ces questions, le gouvernement a créé, en juin dernier, une commission réunissant patronat, syndicats et ONG. Le gouvernement souhaiterait se débarrasser en priorité des centrales les plus polluantes. Mais Uwe Maassen prévient : « L’activité des centrales à lignite et celle des mines sont intimement liées. Quand on ferme une centrale, on retire en même temps leur travail aux hommes qui extraient le minerai. »
Transition « soutenable » ?
Et la mine de Garzweiler, quand sera-t-elle arrêtée ? Aux commandes de son mastodonte d’acier, Janus reste perplexe. À 53 ans, il a encore des années à cotiser avant de pouvoir toucher sa retraite. « J’aime beaucoup mon travail, assure-t-il. Cette fermeture, c’est du gâchis. J’espère que ça arrivera le plus tard possible. » Par quoi va-t-on remplacer les emplois perdus ? « Ici, à Garzweiler, les gens sont très bien payés. Mieux qu’ailleurs », affirme Claus Kuhnke, directeur de l’école des mines de Bergheim. « Le lignite est une énergie sûre et bon marché. On ne peut pas le remplacer par de l’éolien et du solaire », proteste-t-il.
Dans l’industrie du lignite, la moitié des salariés ont plus de 50 ans. Si la chancelière Angela Merkel opte pour un scénario de fermeture « doux », les plus âgés auront le temps de finir leur carrière. Mais il restera tous les autres : les jeunes et les sous-traitants. Au syndicat IG-BCE (mines, chimie et énergie), la colère est palpable. Le 24 octobre dernier, 30 000 personnes ont battu le pavé, à Bergheim, non loin de Garzweiler. Avec cette adresse au gouvernement : « La transition, d’accord, mais seulement si elle est socialement soutenable ! »
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