Jean-Paul Laffontas, inactif de 65 ans, est visiteur de prison au centre pénitentiaire de Vivonne, près de Poitiers. Il milite pour un autre regard sur les détenus.
Jean-Paul Laffontas est de ceux qui n’aiment pas parler d’eux. Humilité oblige. Il dit que la prison a changé quelque chose en lui… puis lâche : « ce sont de belles personnes ». Il parle des détenus à qui il rend visite. Jean-Paul aurait pu passer sa retraite, prise en 2010, loin des longues attentes dans les couloirs du centre pénitentiaire de Vivonne (Vienne) et des six portes de sécurité qui séparent les prisonniers du reste du monde. Il aurait pu aussi éviter d’être confiné dans un espace de 1,50 mètre de large sur 2 mètres de long, face à un homme en attente de son procès ou condamné à une longue peine. Mais il s’est dit : « Pourquoi pas ? Ma mère a été visiteuse de prison pendant une dizaine d’années. Personnellement, je ne connaissais rien à l’univers carcéral. C’est très particulier. »
Du temps et de la confiance
L’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP) le renseigne, le forme et le met aussi en garde contre « la victimisation » des détenus dans laquelle tout visiteur est susceptible de tomber. L’administration carcérale lui communique l’identité et le numéro d’écrou du détenu, rien d’autre. Il ne connaît pas son casier judiciaire. Les langues se délieront plus tard. « Avec le temps et la confiance, le détenu se confie. » Le visiteur, lui, n’a pas besoin de savoir, il est là pour l’écoute, la présence. « Il m’est arrivé de faire comprendre que je n’étais pas d’accord lorsque l’un d’eux justifiait la violence », explique Jean-Paul.
« Les surveillants sont les maîtres du jeu, ils ont beaucoup de pouvoir. »
Aujourd’hui, les visites s’effectuent à raison d’une fois par semaine. Elles peuvent être aléatoires ou à jour et heures fixes. Parfois même, les visiteurs sont confrontés aux vicissitudes du milieu carcéral. « Si on sait à quelle heure on rentre dans le centre, on ne sait pas à quelle heure on en sortira. Un détenu jugé dangereux peut être déplacé et tout est bloqué. » Dans ce milieu clos aussi, raconte-t-il, « les surveillants sont les maîtres du jeu, ils ont beaucoup de pouvoir ». « Il y en a qui ne nous aiment pas beaucoup. Il est arrivé qu’ils ne préviennent pas les détenus de notre visite », poursuit-il.
« Un cadeau de la vie »
La lourdeur de la machine administrative n’a pourtant pas entamé l’humanité du grand-père, entré à EDF-GDF en 1979. Surtout, il sait que ces parloirs demeurent pour certains les seuls contacts avec l’extérieur. « Avec le temps, les compagnes ou la famille se sont lassées ou brisées. » Il évoque avec admiration le chemin d’un détenu en prison depuis vingt-deux ans. « Il a appris à lire et à écrire en cellule, a passé des examens, a un projet pour sa sortie, il veut devenir coach et nutritionniste. C’est beau, car c’est très dur de s’en sortir dans ce milieu. »
« Notre société juge ce qu’ils font mais pas d’où ils viennent. »
Ces rencontres, l’ancien cadre commercial les considère comme « un cadeau de la vie ». « On ne soupçonne pas la richesse qu’ils nous apportent », résume-t-il. Jean-Paul va plus loin : « Notre société juge ce qu’ils font mais pas d’où ils viennent. » Il donne des exemples de parcours traumatisants, de relations chaotiques avec la famille, conduisant parfois à l’irréparable. « Je milite vraiment aujourd’hui pour une meilleure image des détenus et surtout pour des projets de formation à leur sortie. » Et de citer les Pays-Bas qui investissent dans l’après-enfermement avec un taux de récidive de 15 %, contre 60 % en France.
« Je rêve que les visites deviennent un service obligatoire. »
Jean-Paul insiste : « Notre système comporte une part d’absurde : la société pense que les détenus sont dangereux, alors qu’ils sont d’abord un danger pour eux-mêmes. » Oui, quelque chose a changé chez Jean-Paul depuis qu’il a mis un pied en prison, peut-être sa vision de la société. Et, conclut-il en souriant, « je rêve que les visites deviennent un service obligatoire ».
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