Maîtresse internationale et première joueuse d’Iran à seulement 21 ans, Sarasadat Khademalsharieh a obtenu le meilleur classement (5e) féminin du grand prix de CapÉchecs 2018. De ses débuts à son statut de championne, en passant par la vie dans son pays, la jeune femme revient sans fard sur une vie consacrée au noble jeu.
C’est la première fois que vous participez à CapÉchecs. Pourquoi ce choix ?
Au départ, j’ai été invitée pour concourir dans le trophée Karpov, finalement annulé. Du coup, j’ai quand même souhaité jouer ici pour augmenter mon niveau, et glaner des Elo [système de classement des joueurs, ndlr]. Et puis, des amis iraniens qui sont venus l’année dernière m’ont conseillé ce tournoi. Et même si je me sens un peu seule sans eux, j’ai revu d’autres joueurs croisés sur différentes compétitions et échangé avec tout le monde finalement.
Les échecs et vous, c’est une histoire de fulgurance ?
(Rires) Oui. J’ai débuté à l’âge de 8 ans. Et c’est vrai que j’ai enchaîné les performances… Puisque, après une année de pratique, j’ai obtenu le titre de championne d’Iran dans ma catégorie, ainsi que mon premier podium dans la foulée au Championnat d’Asie des moins de 10 ans. Mais le moment crucial dans ma carrière se situe à l’âge de 12 ans, lorsque j’ai fini deuxième des championnats d’Iran, en étant le dernier Elo, ce qui m’a permis, avec les points recueillis, d’entrer dans l’équipe nationale. Et là, j’ai véritablement changé de dimension.
La Perse est le berceau des échecs modernes, existe-t-il en Iran une véritable culture pour ce jeu ?
Dans certaines écoles, les échecs, sans être une matière à part entière, sont enseignés. Par contre, il y a beaucoup de clubs et une génération de jeunes garçons, notamment, qui est très prometteuse. Je pense que dans un futur proche ils entreront dans le top 10 mondial.
En tant qu’ »ambassadrice » sportive de votre pays, ressentez-vous une certaine pression en venant en Europe, seule de surcroît ?
Certes je suis loin de chez moi. Mais si proche finalement avec les réseaux sociaux et le Net… D’ailleurs, tous mes amis suivent mes résultats, m’envoient des messages de félicitations. Après, la pression est inhérente à tous les joueurs professionnels quels qu’ils soient. Lorsqu’on représente une nation, les attentes sont grandes, mais pas plus en Iran qu’ailleurs. Et si l’année dernière, ce « poids » a influencé mon jeu dans les différents tournois auxquels j’ai pris part, cette année je me sens plus libre.
En 2017, deux joueuses (l’une américaine et l’autre ukrainienne) ont boycotté les championnats du monde à Téhéran pour protester contre le port du voile obligatoire. Que pensez-vous de ce geste ?
C’est leur choix et je le respecte. Cependant, je ne crois pas qu’une telle attitude fasse bouger les choses, bien au contraire. D’ailleurs, leur annonce et leur attitude ont entraîné pas mal de réactions et de discussions sur place. Si leur intention visait à être solidaires du combat mené par certaines femmes iraniennes, je pense que participer en nombre à ce tournoi reste la réponse la plus adéquate…
Quel regard portez-vous sur la condition des femmes dans votre pays ?
Il est évident qu’il y a d’autres pays plus respectueux des droits de la femme et de l’homme. Mais il y a aussi pire, non ? En Iran, les femmes peuvent se battre, et elles le font, pour améliorer leurs conditions de vie. C’est déjà ça !
Votre statut de championne vous protège-t-il ou au contraire vous interdit-il toute velléité de subversion ?
Il m’ouvre indéniablement des portes. J’ai la liberté de voyager grâce aux tournois et de rencontrer, comme ici, d’autres joueurs et d’autres cultures. Et de m’enrichir ainsi. D’ailleurs (rires), par parenthèses, j’adore la langue française, même si je ne saisis rien ! Et la gastronomie… Cela dit, pour revenir au sujet, en tant que membre de l’équipe nationale, on se sent bien sûr plus investie… avec certaines responsabilités.
Site Internet des Rencontres nationales et internationales d’échecs du Cap d’Agde : www.capechecs.com
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