La 26e promotion de l’École de métiers picarde a fêté le cinquantième anniversaire de la sortie d’études. L’occasion de rappeler l’esprit si particulier qui a animé les écoles d’EDF, où apprendre à devenir un homme était aussi important que devenir électricien.
Une invitée surprise est venue perturber le programme du cinquantième anniversaire de la sortie de la 26e promotion de l’École nationale de métiers EDF de Soissons-Cuffies (Aisne). Une pluie persistante, parfois mêlée de neige, s’est abattue sur Super-Besse (Puy-de-Dôme) et le centre de vacances de la CCAS, où les anciens de la promo Gutenberg avaient choisi de se retrouver du 10 au 14 mai.
Même sous les nuages, le massif du Sancy conserve sa magie ; les 26 anciens et leurs conjointes, une bonne humeur inaltérable. « On ne fera pas le tour du lac Pavin comme prévu, mais un match de water-polo dans la piscine. Il faut juste qu’on trouve un ballon ! Et demain, soirée dansante », lance Jean-Louis Bodin, l’organisateur.
Un programme bien rempli, au centre de Super-Besse comme avec la visite d’une fromagerie produisant du Saint-Nectaire et des Fontaines pétrifiantes de Saint-Nectaire. ©Sébastien Le Clézio/CCAS
Certains ne s’étaient jamais revus depuis la fin de leur scolarité
« J’ai passé dix-huit mois à tout mettre en place et à contacter les anciens. Il y en a cependant que je n’ai pas réussi à retrouver », ajoute-t-il, satisfait que la moitié de la promo soit réunie. Certains, qui n’avaient pas pu se rendre aux précédents rassemblements, pour les 30 ans puis les 40 ans de la sortie de promo, ne s’étaient jamais revus depuis leur scolarité.
« On a essayé de se reconnaître, mais on n’y est pas forcément arrivés », constate en s’amusant Marcel Nassoy, âgé de 68 ans, comme tous ses anciens compagnons. Il regarde des photos de l’époque que certains ont conservées et se souvient du coiffeur qui venait à l’école faire la même coupe un peu militaire à tous les élèves : « Deux doigts au-dessus des oreilles ! »
Le visionnage de photos d’époque, que chacun a rapporté, est l’occasion de faire remonter des souvenirs. En haut, la photo de famille de la 26e promotion en 1973. ©Sébastien Le Clézio/CCAS & Jean-Louis Bodin, archives personnelles.
Il n’y avait pas que le coiffeur à faire le déplacement à la rentrée scolaire. Le tailleur de la ville se rendait à l’école pour prendre les mensurations des élèves et leur confectionner des costumes sur mesure. Une couleur par promo. « Nous avions une veste bleu électrique avec un écusson sur lequel figurait un électron, un pantalon gris et l’obligation de les porter chaque fois que nous sortions. Les gars de la ville ne nous regardaient pas d’un bon œil, il faut dire qu’on en jetait avec nos costumes », se souvient Philippe Anglard.
À la séance de cinéma du dimanche après-midi, la salle se divisait en deux groupes colorés qui ne se mélangeaient pas : d’un côté, en kaki les militaires de la caserne, de l’autre, en bleu les futurs électriciens. Les gars de Soissons voyaient ceux de l’école d’EDF comme des rivaux, surtout quand ils allaient traîner devant l’école d’infirmières. Des bagarres éclataient parfois, – une fois des garçons furent même gravement blessés – et il était alors interdit d’aller en ville pendant un certain temps.
L’importance du sport dans l’école
Ancien de la 6e promotion, Bernard Gragnoux, 77 ans, devenu formateur aux gestes de base, est venu retrouver ses anciens élèves. Il sourit à l’évocation des filles de Soissons : « J’y ai rencontré mon épouse pendant ma formation, elles étaient toutes en émoi en nous voyant », lance-t-il en riant à sa femme, assise près de lui. L’ancien ceinture noire de judo confie qu’il est surtout venu pour revoir Jean-Louis Bodin, également judoka, qui fut champion de France et pratiquait déjà le judo de haut niveau quand il était à l’école.
« Le sport et le rugby avaient une place importante, l’école avait été créée en 1959 par des anciens de l’école de Gurcy-le-Châtel, qui étaient adeptes du rugby », précise Philippe Anglard. Sur les photos on peut voir les bâtiments ultramodernes pour l’époque, tous reliés par des souterrains, et des équipements sportifs dignes d’une ville de 20 000 habitants. »
« Nous étions en autogestion et en autodiscipline sans responsable adulte visible. »
Le visionnage de photos d’époque, que chacun a rapporté, est l’occasion de faire remonter des souvenirs. En haut, la photo de famille de la 26e promotion en 1973. ©Sébastien Le Clézio/CCAS & Jean-Louis Bodin, archives personnelles.
Tandis qu’au bénéfice d’une éclaircie, le groupe des anciens part visiter les Fontaines pétrifiantes de Saint-Nectaire, où sont confectionnés des objets de décoration en calcaire, chacun évoque ce qu’il a ressenti en découvrant le fonctionnement atypique de l’école de Soissons-Cuffies. « Nous étions en autogestion et en autodiscipline sans responsable adulte visible », rappelle Marcel Nassoy. Chaque élève était parrainé par un autre plus âgé de six mois, qui faisait office de mentor. La promotion comptait 64 élèves, « huit équipes de huit, car il faut être huit pour porter un poteau », et était dirigée par la « Garde », un groupe de délégués choisis parmi les élèves qui assurait l’organisation et la discipline de cette petite communauté.
Avec une devise : « L’avenir est à toi et l’esprit Soissons sera toujours en toi. » « Nous étions élus sans nous être présentés, on ne se connaissait pas. Je crois qu’on m’a choisi parce que j’étais petit et qu’en général les plus petits sont les plus mordants », dit Jean-Louis Bézard en riant. Les élèves devaient se plier à un règlement strict pour éviter des sanctions, il fallait s’occuper du ménage, être présent à l’heure au rassemblement matinal « sans marcher sur les pelouses pour aller plus vite » ou encore éteindre la lumière le soir à 22 heures.
Le visionnage de photos d’époque, que chacun a rapporté, est l’occasion de faire remonter des souvenirs. En haut, le conseil des élèves de la 26e promotion en 1973. ©Sébastien Le Clézio/CCAS & Jean-Louis Bodin, archives personnelles.
Le moindre écart était puni par des tours de stade en pleine nuit ou des déambulations nocturnes dans les souterrains de l’école. Les plus jeunes devaient obéissance à leurs aînés arrivés six mois plus tôt à peine, ces derniers n’avaient qu’à donner un coup de broc sur la table quand il était vide pour que les « jeunes » aillent le remplir. Comme les entrées dans l’école se faisaient tous les semestres, six mois plus tard, ces mêmes jeunes allaient « éduquer » les bleus.
Le bizutage durait un mois : les arrivants étaient réveillés en pleine nuit, ils devaient participer à des tours de chant et recevaient des œufs et des tomates… Et il se finissait par le baptême : « Tous les nouveaux y passaient, même les directeurs ou les secrétaires. On te faisait tremper deux doigts dans de l’eau et on t’envoyait une petite décharge électrique ! C’était le baptême ! », poursuit Bernard Gragnoux. Tous en sont convaincus, aujourd’hui personne n’accepterait cette discipline ni les sanctions « ridicules, inutiles mais jamais méchantes », estime Philippe Anglard. « Avec le recul, on se rend compte qu’on y était très bien, ça nous a forgés », reconnaît Jean-Louis Bodin.
Un projet pédagogique de responsabilisation et d’émancipation des élèves
L’objectif éducatif était de responsabiliser les jeunes. Philippe Anglard a encore en mémoire le discours de M. Gédéon, l’un des responsables de l’école, à leur arrivée : « Ne vous emmerdez pas à faire le mur, la porte est ouverte, vous avez la liberté et la responsabilité de vos actes. » Dans un souci d’égalité, les élèves avaient tous le même vestiaire : une blouse pour le travail et les cours, une tenue de sport complète et le fameux costume.
Pendant la formation, mis à part pour Noël, Pâques et un mois en été, personne ne rentrait chez lui, même ceux qui habitaient près de Soissons. Là aussi par souci d’égalité avec ceux qui habitaient loin et d’émancipation par rapport à la famille. Le week-end était l’occasion de faire du sport, de proposer des sorties ou des rencontres, organisées par les élèves eux-mêmes. Des députés venaient présenter le fonctionnement de l’Assemblée nationale et des survivants des camps de la mort témoigner des horreurs qu’ils avaient vécues.
Environ 33 000 jeunes sont passés par l’une des écoles d’EDF, où l’on apprenait aussi le sens de la responsabilité et « un esprit de corps que l’on retrouvait dans le milieu professionnel », conclut Philippe Anglard.
Quelques-uns des participants de ces retrouvailles (de g. à dr) : Jean-Louis Bodin, organisateur de l’évènement, Jean-Louis Bezard, Michel Charlot, Jean-Luc Sanchez, Bernard Granoux, ancien élève puis professeur, Philippe Anglard. ©Sébastien Le Clézio/CCAS
Moments de complicité entre les anciens élèves qui pour certains ne s’étaient pas revus depuis 50 ans. ©Sébastien Le Clézio/CCAS
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