Le débat sur l’exil et l’accueil des réfugiés, qui s’est tenu le 28 septembre à la fête de la CMCAS Toulouse, a été riche d’échanges et de témoignages, éclairés par la présence lumineuse de Magyd Cherfi, parolier du groupe toulousain Zebda, et auteur en 2016 du livre « Ma part de Gaulois ».
Osman Suleman cherche ses mots. Il aurait aimé mieux décrire la guerre, l’exil et son arrivée en France. « La France, j’avais toujours rêvé de la visiter, commence-t-il en souriant, mais pas comme un réfugié. » C’est par le témoignage de ce Kurde irakien au visage émacié, artiste peintre diplômé des Beaux-Arts, professeur à Souleimaniye jusqu’en 2000, et qui trime ici sur des chantiers, que s’ouvre le débat sur l’exil et l’accueil des réfugiés, organisé par la CMCAS Toulouse le 28 septembre dernier.
Quatre des cinq intervenant.es, avec, de g. à dr. : Jean Cousty, retraité des IEG, Jean-Marie Selva, du réseau Éducation sans frontières, Myriam Merlant, du réseau Ritimo, et Osman Suleman, artiste peintre Kurde irakien.
Parmi les intervenants, Jean Cousty, ancien membre du bureau de la CMCAS et bénévole à la Cimade, retrace les 80 ans d’engagement de l’association en faveur des étrangers. À ses côtés, Jean-Marie Selva, du réseau Éducation sans frontières (RESF), engagé comme lui au sein de l’association montalbanaise Pas sans toit, décrit comment cette dernière parvient à insérer des déboutés du droit d’asile. « Sur les sept appartements où nous hébergeons ces personnes, précise-t-il, deux sont financés par le conseil départemental. » Une prouesse, quand on sait que les déboutés du droit d’asile sont dans l’illégalité s’ils restent sur le territoire.
L’association les aide à trouver du travail et, au bout de quelques années, parce qu’ils peuvent prouver qu’ils travaillent et que leurs enfants sont scolarisés, ils parviennent enfin à obtenir des papiers. Un « arrangement » avec la loi qui risque de devenir plus difficile, voire impossible, si le gouvernement durcit sa législation envers les étrangers comme le débat parlementaire sur l’immigration demandé par Emmanuel Macron le laisse craindre.
« Ce débat que nous avons aujourd’hui est indispensable. Tous les témoignages que nous avons entendus font qu’on en ressortira différents, enrichis. »
Benoît Castel, président de la CMCAS Toulouse
À l’autre bout de l’estrade, Myriam Merlant, auteure du « Petit guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations » publié par Ritimo, réseau d’organismes engagés pour la solidarité internationale et œuvrant pour changer la vision misérabiliste que nous avons des pays du Sud, déconstruit les trois préjugés les plus courants sur les migrations. C’est son intervention qui suscitera le plus de réactions dans la salle. Voulant montrer que la France ne compte pas autant d’étrangers que certains le prétendent, elle compare les 9 % d’immigrés en France avec les 88 % d’immigrés dans les Émirats Arabes.
Un parallèle qui a choqué certaines personnes dans l’assistance, qui estimaient que les travailleurs immigrés dans les Émirats arabes, comme à Dubaï, notamment ceux qui travaillent sur les chantiers ou les employées de maison, ont souvent des conditions de travail proches de l’esclavage. « Dans notre permanence à la Cimade, se souvient Jean Cousty, nous avons reçu une Pakistanaise qui a bossé toute sa vie aux Émirats dans des conditions abominables, et qui aujourd’hui est complètement démunie. »
Retour sur « le bruit et l’odeur »
L’humiliation des immigrés en France, parfois par les plus hauts représentants de l’État, a fait l’objet d’un échange avec Magyd Cherfi, ancien parolier et chanteur du groupe toulousain Zebda, aujourd’hui chanteur solo et écrivain. En cause, les propos tenus en 1991 par un certain Jacques Chirac, dont le décès récent a fait ressurgir le caractère raciste de cette intervention devant un RPR hilare : « Le travailleur français […] qui avec sa femme gagne environ 15 000 francs [3 380 euros, ndlr], et qui voit, sur le palier de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses, qui touche 50 000 francs [11 290 euros, ndlr] de prestations sociales… sans naturellement travailler… Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur… Eh bien, le travailleur français devient fou. »
L’auteur de la chanson « le Bruit et l’Odeur » se souvient : « Dans les quartiers, personne ne voulait y croire. Même Jean-Marie Le Pen n’avait pas été aussi loin dans un discours » commente encore Magyd Cherfi, évoquant également le polémiste Éric Zemmour, plusieurs fois condamné pour provocation à la haine raciale et religieuse, qui, dans une émission télévisée, s’en était pris à la mère de la chroniqueuse Hapsatou Sy pour le choix du prénom de sa fille, absent du calendrier chrétien.
« C’est dégueulasse qu’il le dise, réagit Magyd Cherfi, mais il y a tant de gens qui le pensent, s’indigne-t-il. Et à la limite, elle s’appellerait réellement Corinne que ça ne marcherait pas ! J’ai eu des copains maghrébins qui se sont appelés Jean ou Michel et, dans la rue, les gens se disent : « C’est un Arabe, ça se voit ! » »
Il réagit quand il entend parler de la culture que les immigrés apporteraient à la France. « L’immense majorité n’a rien apporté, ils n’ont fait que souffrir, ils n’ont pas vécu eux-mêmes. Mon père, qui était berger puis manœuvre, qu’est-ce qu’il a apporté à la culture française ? Rien. Il n’y a pas de double culture pour l’immense majorité d’entre nous. Notre histoire, ce sont les Mérovingiens, les Carolingiens… Il y a eu une période arabe magnifique, les Abbassides, les Omeyyades… de ces dynasties, mon père ne m’en a jamais parlé. Quand je me tourne vers l’école républicaine, je vois les rois fainéants. Eux, ils me parlent. »
Pour aller plus loin
« Petit guide pour répondre aux préjugés sur les migrations »
Ritimo, 2016, 64 p., 6 €.
« Ma part de Gaulois », de Magyd Cherfi
Actes Sud, 2016, 272 p., 19,80 €.