Connaissez-vous le « cordel », cette littérature brésilienne autoéditée en livrets ? Sous la conduite de Sophie Foray, le personnel et les bénéficiaires présents à Aussois fin mars ont fabriqué une dizaine de fascicules dans l’esprit de cette tradition populaire bien vivante. Grâce à la créatrice, qui était en résidence au centre de vacances dans le cadre du Mois de la poésie, leurs petits livres poétiques seront exposés au Brésil cet été.
À 1 500 m d’altitude, l’heure est à l’imagination. Au cours de trois ateliers de deux heures, Sophie Foray accompagne les participants pour qu’ils découvrent chacun le poète qui sommeille en eux. Sur les tables, elle a disposé du matériel et des dizaines de magazines prédécoupés. Photos, mots, phrases, ciseaux, bâtons de colle, stylos. Autant d’outils qui vont faire surgir l’inspiration personnelle lors d’un travail littéraire en trois dimensions : la création de fanzines colorés de 8 pages.
« Le cordel, c’est une littérature populaire brésilienne, artistique ou militante, très répandue dans la région du Nordeste. Là-bas, les gens écrivent des textes qu’ils vont déclamer sur les places publiques et vendent sous forme de petits feuillets », explique Sophie, qui enseigne le portugais, et est tombée passionnément amoureuse du plus grand pays d’Amérique du Sud. Elle a construit un projet d’échange entre la France et le Brésil autour de l’idée de « l’autopublication, en se réappropriant des expressions du quotidien, en racontant son univers et sa réalité ».
Création originale et recyclage
Présentée à Clarisse Hello par un saisonnier du centre, Sophie Foray a débarqué à Aussois avec ses bacs remplis de magazines en tout genre. « Le projet était intéressant, tant par l’originalité du travail de création que par l’échange culturel avec un autre pays, reconnaît la responsable principale d’Aussois. Avec Sophie, on découvre la poésie autrement. »
Une poésie à la portée de tous puisque l’intervenante a imaginé de la faire émerger à partir d’un matériel simple : le papier glacé des magazines et des prospectus. Voués à être jetés à la poubelle, ces papiers sont recyclés et réappropriés pour une expression particulière. Depuis sept ans qu’elle dirige le club alpin, Clarisse Hello s’est particulièrement intéressée à proposer des activités culturelles originales. Cette fois, elle est « sous le charme ».
À la suite de ces ateliers, les oeuvres des participants seront traduites et envoyées au Brésil, et seront intégrées au recueil bilingue final de ce projet, qui sera publié en 2025. ©Étienne Mehr/CCAS
Bercés par des musiques du monde, bénéficiaires et personnel CCAS se mélangent dans l’atelier. Il y a les inspirés, les torturés, ceux qui veulent tout remplir d’images et de mots, ceux qui préfèrent la respiration des espaces vierges. « Il faut trouver des adjectifs pour donner du liant et du sens », conseille Sophie Foray. « J’écrivais des lettres d’amour comme ça quand j’étais petite », lâche Leïla, l’une des animatrices.
La recherche de mots devient frénétique. Les uns sont assis, les autres debout autour de la table. Le travail se fait en groupe ou en solitaire. « Quelqu’un a-t-il vu le mot ‘montagne’ quelque part ? » questionne Kathy Fronty, la responsable adjointe. « J’ai l’impression d’écrire une lettre anonyme », s’esclaffe Clarisse, la responsable du centre, qui s’est imposé de venir à l’atelier « pour partager un moment d’imaginaire et de calme » : « Ça permet de réfléchir différemment, de voir aussi à quoi pensent les autres, comment ils créent. » Et d’ajouter : « L’activité est aussi adaptée pour les enfants, seuls ou accompagnés de leurs parents. Ce sont de beaux moments de partage en famille. »
L’art pour tous et par tous
Gardant un œil sur le travail de chacun, Sophie guide le groupe dans la construction littéraire, puis dans la conception du fanzine. Découpage, collage, photocopie couleur, pliage et, comme par magie, naissance d’un magazine de poche unique. Après l’atelier, elle va traduire en portugais le « cordel » de chaque participant et elle offrira dans un second temps un itinéraire extraordinaire aux poèmes nés à Aussois. En contact avec des structures brésiliennes, elle ira les exposer à Salvador de Bahia et à Recife dans quelques mois. « On va créer d’autres ponts, permettre de faire dialoguer nos réalités », jubile-t-elle.
En vacances avec son compagnon, Éléonore, versée dans la poésie depuis longtemps, a découvert un autre mode d’expression. « Les mots qu’on a sous les yeux et qu’on associe façon puzzle facilitent la créativité », assure-t-elle. « Vivre dans la nature ? C’était le thème ? Je ne savais pas qu’il y avait un [rires]. J’ai parlé d’amour. Il y a toujours de l’amour, même dans la nature, non ? »
Éléonore Guebin, en vacances à Aussois, s’exerce à la création d’un poème à partir de collages, lors de l’atelier proposé par Sophie Foray. ©Étienne Mehr/CCAS
Sophie explique qu’il est important de s’exprimer pour exister autrement, loin des schémas classiques du monde artistique contemporain : « À la brésilienne ! » Chez les Auriverdes, « les arts populaires ont une place à part entière et il n’y a pas besoin d’avoir fait de grandes écoles d’art pour pratiquer, échanger et créer ». Ils le font en toute humilité.
Après trois soirées, l’heure est au bilan. « C’est vraiment une belle réussite. J’ai vu des publics de générations différentes, tous très impliqués », s’enthousiasme Sophie Foray. Tous les participants l’ont vivement remerciée pour cette autre façon de faire culture, de faire société, de pratiquer l’art. C’est bien tout cela le cordel : il mêle les traditions de l’oralité, de la musique et l’esthétique de la gravure. Les petits feuillets pluri-artistiques n’ont pas fini d’enchanter les oreilles et les yeux.
C’est vous qui le dites !
« Il y a beaucoup d’interactions entre les participants »
Kathy Fronty, responsable adjointe du centre d’Aussois
Kathy Fronty, responsable adjointe du centre d’Aussois, s’est laissée séduire par l’atelier créatif de Sophie Foray. ©Étienne Mehr/CCAS
Elle a lâché son ordinateur et ses dossiers pour venir s’asseoir à la table de l’atelier. En silence, alors qu’elle se dit pourtant « très bavarde », Kathy Fronty, la responsable adjointe du centre, a « fabriqué » deux fanzines en deux jours.
Émue presque aux larmes de voir sa création « prendre vie », elle a confié ne pas trop savoir où elle allait en collant tous ces mots mais, au bout du compte, une fois la feuille A4 pliée et découpée, elle admet que « c’est très beau ».
Avouant qu’elle écrit « des petits poèmes » à ses heures perdues, Kathy a trouvé « fabuleux » que les « cordels » d’Aussois voyagent bientôt jusqu’au Brésil. Comme elle a apprécié ce moment d’échange. « Il y a beaucoup d’interactions, on demande de l’aide, on surprend des discussions, on entend des lectures à voix haute. Et puis, Sophie est une merveilleuse animatrice, qui sait faire surgir des histoires de notre imagination. Je me ferai une joie de parler d’elle ! » C’est fait.
« Noa a pu créer une petite histoire tout seul, nous sommes très fiers ! »
Adriana, Fabien et leur fils Noa, bénéficiaires en vacances à Aussois
« C’était vraiment chouette pour Noa, il a pu créer une petite histoire tout seul, nous sommes très fiers ! » Fabien Neveux, agent Enedis en région parisienne, et Adriana confient avoir rarement vu leur jeune fils de 5 ans « aussi impliqué dans une activité ».
Porteur d’un léger trouble autistique, Noa a su rester concentré un long moment pour choisir ses images, ses mots et construire avec l’aide de ses parents son petit livre. À la recherche d’activités manuelles « pour développer la motricité [de Noa] », Adriana est sous le charme des cordels.
D’origine portugaise, elle n’en connaissait pas l’existence. Quant à Noa, qui ne saurait placer le Brésil sur une carte, il s’est dit lui aussi « très content que [son] livre parte dans un autre pays très loin ».
L’initiative a fortement plu à la famille, qui découvrait les activités culturelles en centre. « Le ski, c’est chouette et intense. Et le soir, c’est agréable d’avoir un moment de détente comme celui-ci. Et promis, à la maison, on ne jettera plus nos vieux magazines ! »
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