« Culture = nourriture essentielle ». Voilà le slogan brandi devant la façade du théâtre de l’Odéon (Paris 6e), occupé depuis dix jours par les professionnels de la culture. Ils s’insurgent contre l’abandon du secteur par l’Etat, qui préfère temporiser depuis le début de la crise sanitaire. Et le mouvement, dont la CCAS est solidaire, s’étend.
« Occupons ! Occupons ! Ailleurs qu’à l’Odéon ! » : l’appel au combat emplit toute la place de l’Odéon, houle tempétueuse roulant de bouche en bouche. Depuis le 4 mars, une cinquantaine d’intermittents du spectacle, artistes et techniciens, occupent nuit et jour le Théâtre National de l’Odéon à Paris pour protester contre l’abandon du secteur culturel par les autorités durant la crise sanitaire. Un petit air de Mai 68, au cours duquel l’endroit avait également été pris d’assaut par les étudiants en lutte.
La petite pluie fine n’a pas découragé la foule compacte et masquée, rassemblée ce samedi 14 mars devant ce haut lieu de la culture parisienne. Les flonflons d’un orchestre, qui résonnent jusqu’au boulevard Saint Germain à 300 mètres de là, interpellent les passants qui viennent grossir les rangs des manifestants.
Les banderoles et affiches ont fleuri un peu partout : « Culture sacrifiée », ou « Rends l’art, Jean ! », peut-on y lire. Les drapeaux rouges de la CGT Spectacle ont fleuri aux côtés des drapeaux européens sur le toit de l’établissement, ces derniers mis en berne pour signifier le profond désespoir du secteur culturel.
Des actions « inutiles et dangereuses » selon la ministre
« Le gouvernement n’en a rien à foutre de nous ! », s’exaspère Fanny, jeune costumière d’une vingtaine d’années, blouson sombre et regard noir, venue avec quelques amis. « Roselyne Bachelot ne sert à rien, ils l’ont mise là comme ils auraient pu mettre n’importe qui d’autre ! ». Les récentes déclarations de la ministre de la Culture, qui trouve « inutile et dangereux » d’occuper les lieux de culture, ont eu le don d’échauffer les esprits. « Nous travaillons à la réouverture des salles pour le second semestre 2021 » avait-elle assuré quelques jours auparavant.
On a bien rouvert les lieux de culte, on pourrait parfaitement rouvrir les salles de spectacle en respectant les gestes barrière !
Ce qui n’a visiblement convaincu personne. « Elle ne sait pas de quoi elle parle et n’a aucun sens des réalités ! » gronde Pierre, trompettiste et compositeur du groupe Surnatural Orchestra, dont la sortie du dernier album a sans cesse été reportée depuis le printemps 2020. « On a bien rouvert les lieux de culte, on pourrait parfaitement rouvrir les salles de spectacle en respectant les gestes barrière ! ». Il évoque également la réforme de l’assurance chômage, qui doit être mise en œuvre durant les prochains mois, et qui plongera encore un peu plus les artistes dans la précarité.
Si les intermittents ont bénéficié d’une « année blanche » (prolongation des droits aux allocations chômage jusqu’au 31 août 2021, sans tenir compte du nombre d’heures travaillées effectif, ndlr), d’autres professions ne rentrent pas dans ce cadre et sont pourtant empêchées de travailler (contrats courts du tourisme et de l’événementiel notamment). Cette réforme de l’assurance chômage risque de les affecter encore plus durement.
Un autre modèle de société
Lucie, étudiante de 22 ans en Sciences Humaines à l’université Paris 8, est elle aussi venue apporter son soutien. « J’ai entendu parler de ce qui s’était passé aux Césars, et j’ai eu envie de venir me rendre compte sur place de ce qu’il en était ».
La Cérémonie des Césars 2021, émaillée par de nombreuses interventions en faveur du mouvement, a en effet fait couler autant d’encre venimeuse que suscité de réactions outragées sur les réseaux sociaux, notamment en raison de la mise à nu revendicative de l’actrice Corinne Masiero (marraine du festival Visions Sociales en 2015 et rendue célèbre par son rôle de Capitaine Marleau), dont le corps était couvert de slogans, à la manière des activistes Femen.
« Le gouvernement cherche à nous humilier en permanence, poursuit Lucie. Il méprise le monde de la culture, mais insulte aussi celui de la recherche, et de l’éducation ! ». Propos qui font sans doute référence aux multiples déclarations de Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer (respectivement ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et de l’Éducation nationale), estimant notamment que « l’université est gangrenée par l’islamo-gauchisme de certains chercheurs », et réclamant un rapport au CNRS sur la question.
« Ça suffit ! tranche Lucie. Tout cela nous pousse à réfléchir au modèle de société que nous voulons. Nous ne sommes pas là que pour travailler et produire des post-its toute la journée ! ». Elle aspire « à une convergence des luttes cette fois », rejoignant ainsi l’appel lancé au micro pour la manifestation du 20 mars, rassemblant la Marche des Solidarités, la Marche contre les violences policières, et la manifestation pour le retrait de la réforme de l’assurance chômage.
Un mouvement qui fait tache d’huile
La mobilisation est loin d’être un phénomène uniquement parisien. Ce sont actuellement plus de trente lieux (opéras, scènes nationales, théâtres municipaux…) qui ont rejoint le mouvement, de Lyon à Pau, en passant par Rennes, Laon, Montpellier, ou Strasbourg. « Je viens d’apprendre que le Centre national d’art dramatique de l’Océan indien à La Réunion est occupé ! » lance une oratrice sur la scène dédiée aux prises de parole, suscitant un déchaînement d’applaudissements.
Cindy, élève comédienne de 24 ans, ne donnera pas le nom de son école « pour ne pas personnaliser ce combat, et porter la parole du plus grand nombre d’élèves possible ». Membre du collectif « Ouverture essentielle », elle se relaie avec une trentaine d’autres camarades de différentes écoles pour occuper le lieu sans trêve et organiser des assemblées générales.
« Nous nous situons clairement dans la continuité du mouvement initié à l’Odéon, et nous souhaitons l’élargir aux étudiants d’autres disciplines, dont beaucoup sont actuellement précaires. Nous souhaitons mobiliser toute la jeunesse ». Mais l’occupation d’un théâtre fermé au public n’est-elle pas un peu absurde ? « C’est une occupation symbolique, pour nous réapproprier les lieux, montrer que nous en avons besoin et que nous pouvons les investir dans le parfait respect des règles sanitaires. C’est notre cri de détresse ».
À la station de métro Gambetta toute proche, entre des publicités pour une agence de voyage et celles de spectacles qui n’ont jamais pu être joués, on tombe sur une affiche du Théâtre du Châtelet qui proclame : « Offrez des lendemains qui chantent ».
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