De l’intolérance sociale grandissante aux violences sexuelles, à l’attrait pour le congé paternité, les droits des femmes avancent, estime Marie-France Benoit, membre de la Marche mondiale des femmes (MMF) au Québec.
Co-autrice d’un ouvrage sur les 20 ans de ce mouvement féministe international, co-financé par la CCAS, cette ancienne militante syndicale continue d’exhorter à combattre le capitalisme, facteur principal des inégalités.
Bio express
Marie-France Benoit est membre de la Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF) et fut conseillère à la condition féminine de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) pendant plus de vingt ans
Photo : ©Joane Mc Dermott
Pour les vingt ans de la MMF vous avez réalisé un livre qui présente beaucoup des photos de rassemblements. Que vous évoquent ces images ?
Marie-France Benoit – Cela m’évoque la diversité des femmes qui résistent partout sur la planète. Elles se tiennent debout et osent bouleverser des systèmes opprimants en développant des systèmes de solidarité incroyables. L’idée était d’avoir beaucoup de photos dans le livre, pour rendre hommage à ces femmes que j’ai côtoyées lors des rencontres internationales de la Marche mondiale des femmes.
Comment a germé l’idée de la première MMF ?
M.-F. Benoit – La première marche a été organisée en 1995, pour dénoncer la pauvreté des femmes au Québec. J’y ai participé en tant que représentante de la Confédération des syndicats nationaux, pour proposer des comptes-rendus quotidiens de ce mouvement.
Sur ce parcours de 200 km de la marche qui a duré 10 jours, il y avait parmi nous, des femmes venues d’Afrique et d’Amérique latine ; et comme l’an 2000 arrivait, nous avons eu envie d’organiser quelque chose d’ouvert à toutes les femmes du monde. D’où l’idée de lancer cette grande marche mondiale, qui était aussi la première action féministe mondiale. Ce livre célèbre l’anniversaire de toutes nos luttes.
« Marche mondiale des femmes : 20 ans de solidarité féministe »
Marie-France Benoit et Joane McDermott, photographe professionnelle et militante de la MMF, ont documenté plusieurs rencontres de la MMF, et publient un ouvrage sur l’histoire de cette marche contre la pauvreté et pour l’élimination des violences, qui s’est élancée pour la première fois en 1995 au Québec.
Le livre, largement illustré de photographies, est co-financé par la CCAS. Si les conditions sanitaires le permettent, il sera présenté par Marie-France Benoit cet été dans les villages vacances CCAS, et sera disponible dans les bibliothèques.
Vous racontez comment les premiers débats de la MMF ont été tendus, notamment sur la question du droit à l’avortement et la reconnaissance des droits des lesbiennes. Comment êtes-vous parvenues à une unité avec de telles disparités selon les pays ?
M.-F. Benoit – Les débats ont en effet été particulièrement tendus lors de la première rencontre internationale de Montréal en 1998. Ces disparités sont dues à des positions historiques et à des niveaux de développement économiques différents, mais aussi au poids de la religion, aux préjugés et aux traditions.
Alors, tout en organisant des comités de travail favorisant les discussions, nous nous sommes données du temps, notamment sur la question des droits des minorités et des lesbiennes. Après plusieurs années, nous sommes arrivées à parler du contrôle du corps des femmes et de leur vie, et donc du contrôle de la maternité.
Mais les échanges étaient parfois violents entre femmes européennes et femmes du Moyen-Orient ou d’Afrique. En 2003, lors de la rencontre internationale de la MMF, à New Dehli, des femmes lesbiennes qui vivaient dans la clandestinité sont venues expliquer pourquoi il était important pour elles de vivre comme elles le souhaitaient. Ce genre de discussion permettait une réelle évolution, un cheminement. Tout n’est pas réglé, mais on avance !
Pérou, 2006. À g. : une militante de la Marche des fiertés LGBT+ tient un panneau « Ma famille, c’est ma mère et sa femme ». À dr. : les mères péruviennes réclament du lait pour leur enfants. ©Joane Mc Dermott
La question des violences et du respect du corps des femmes prend de l’ampleur. Comment accueillez-vous cette vague qui n’en finit pas de déferler, on l’a vu récemment en France, avec #Metoo inceste ?
M.-F. Benoit – Ce mouvement a notamment interrogé l’organisation du système judiciaire, qui pouvait nuire aux femmes victimes d’agressions. Sans parler du fait que les hommes accusés ont souvent les moyens d’organiser leur défense avec de très bons avocats, très cher payés.
En France, l’irruption de la question de l’inceste dans toutes les strates sociales constitue une remise en cause du patriarcat. Lever le voile sur un interdit qui, jusqu’ici protégeait les hommes ayant du pouvoir, est important : c’est un soutien pour tou·te·s celles et ceux – les femmes bien sûr mais aussi beaucoup d’hommes – qui veulent dénoncer le machisme de nos sociétés.
La mobilisation #Metoo capte tous les regards ; toutefois les femmes sont présentes ailleurs que sur la question des violences, sur d’autres scènes politiques, en Algérie ou en Biélorussie, par exemple.
M.-F. Benoit – Oui, il y a sur toute la planète des actions de femmes. Je pense notamment à l’Amérique latine. En Afrique aussi, beaucoup de femmes commencent à prendre leur place. Partout, les femmes sont dans un grand élan de résistance qui prend des couleurs différentes selon les continents et aussi selon les moyens dont elles disposent, car souvent les organisations féministes œuvrent bénévolement.
Le monde dans lequel nous vivons est dominé par la logique de la mondialisation patriarcale et néolibérale qui reproduit les inégalités, accentue les écarts entre pauvres et riches et engendre de plus en plus de d’exclusion, de haine, de racisme, d’intolérance, de conflits armés. Notre mouvement porte de nombreuses revendications économiques pour les femmes car la pauvreté est l’un des piliers des inégalités.
2013, Sao Paulo (Brésil) : manifestation pour la 9e rencontre internationale. À dr. : une militante équatorienne tient un panneau : « Nous marchons contre la violence envers les femmes en Amérique latine ». ©Joane Mc Dermott
En mettant en avant la place essentielle des femmes dans le travail, la pandémie aura-t-elle un rôle positif sur la reconnaissance des inégalités ?
M.-F. Benoit – Oui je le crois, parce qu’on a vu durant cette année, au grand jour, l’importance du rôle des femmes dans beaucoup de secteurs essentiels comme ceux de la santé ou de l’éducation. Nos gouvernements doivent dénoncer les inégalités salariales qu’elles subissent et les faire cesser.
Pensez-vous que l’ébranlement des logiques de domination peut poser les bases d’un mouvement d’émancipation englobant les hommes, qui sont eux-mêmes appelés à construire de nouveaux schémas de masculinité ?
M.-F. Benoit – Je le souhaite et j’observe que les mentalités commencent à changer. Je peux vous donner l’exemple du congé paternité au Québec, débat qui a duré longtemps. J’ai milité, avec une large coalition du mouvement féministe, pour l’adoption du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) car je crois que, dès l’arrivée de l’enfant, le père doit se sentir responsable, se lever la nuit, nourrir l’enfant, etc. Eh bien lors de sa mise en place, ce congé a eu tellement d’adeptes que le gouvernement a dû augmenter les cotisations. De nombreux pères ont voulu prendre ce congé !
Bien sûr, les changements nous paraissent lents mais ils portent des indices du changement profond des mentalités. Car les hommes aussi veulent que cela change, que l’on « défige » le poids des cultures. Dans ce domaine, il est probable que la situation de la France soit différente de celle du Québec, car la France doit faire avec le poids de son histoire, de ses traditions hiérarchiques, dans le monde du travail par exemple.
Avec les hommes comme alliés, les femmes doivent cependant continuer à assumer le leadership de ces mouvements de résistance. Les jeunes hommes appellent au changement –les plus âgés aussi bien sûr. Il faut déconstruire les schémas anciens, car on constate par exemple que la violence conjugale existe encore fréquemment chez les jeunes.
Si tout va bien cet été, vous participerez aux rencontres culturelles qui ont lieu dans les villages vacances de la CCAS. Qu’attendez-vous de ces échanges avec les agents et leur famille ?
M.-F. Benoit – J’ai hâte de voyager, de venir en France, de partager ce lien solidaire que la marche incarne. C’est le message que j’aime faire passer. Je pense que les témoignages publiés dans notre livre peuvent toucher, et peut-être donner du courage à celles qui n’osent pas trop encore.
Au niveau international, les femmes ont tout intérêt à être solidaires. En tant que pays limitrophe des États-Unis, où vient de s’achever cette présidence effrayante (du républicain Donald Trump, ndlr), nous avons, je crois, acquis une conscience très accrue des dangers qui peuvent menacer nos démocraties et de la nécessité d’être solidaires.
Pour aller plus loin
La Marche mondiale des femmes est une initiative féministe lancée par la Fédération des femmes du Québec pour organiser une marche contre la pauvreté et la violence faite aux femmes. Elle début traditionnellement le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes pour se terminer le 17 octobre, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté.
Depuis 20 ans, ce réseau d’actions mondial, rassemblant des groupes et des associations divers, poursuit la mobilisation en formulant des propositions et des revendications pour éliminer la pauvreté et la violence envers les femmes.
Connaître la Marche mondiale des femmes : marchemondiale.org
> Trouver une coordination locale de la MMF France
> Suivre les actions de la MMF France sur Twitter
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