EDF : nationalisation ou « étatisation » ?

Emmanuel Macron offrant EDF à Hercule, illustration de Jean-Luc Boiré pour la CCAS

Emmanuel Macron offrant EDF à Hercule, du nom du projet de réorganisation de l’opérateur public lancé pour la première fois en 2019, et considéré par les syndicats comme un « dépeçage » d’EDF. ©Jean-Luc Boiré/CCAS

L’OPA que mènera l’État cet automne pour détenir 100 % des actions d’EDF aurait dû satisfaire les tenants du service public de l’énergie. Mais, pour nombre d’entre eux, cette opération « extincteur » face à l’incendie financier dissimule – plutôt mal – une « vraie fausse bonne nouvelle ».

Ce ne fut pas la moindre des annonces et mesures adoptées par les deux assemblées dans ce mois de juillet politiquement crépitant : l’État jusqu’à présent actionnaire majoritaire d’EDF, avec 84 % des parts d’EDF SA, en deviendra l’actionnaire unique, en déboursant entre 5 et 7 milliards d’euros afin de racheter les 16 % de parts détenues par des salariés et des investisseurs institutionnels ou privés (les américains BlackRock et Vanguard, ou le néerlandais APG).

« La crise actuelle démontre que l’Europe, sans politique énergétique et avec uniquement un marché bidon, se retrouve dans une impasse totale », constate le secrétaire du Comité social et économique central (CSEC) d’EDF, Philippe Page Le Mérour. Les clients des « fournisseurs alternatifs » paient la note de l’envolée des prix.

Quand il s’agit de long terme, c’est l’investisseur public qui est le meilleur investisseur. (Bruno Lemaire)

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, n’a pas caché les intentions du gouvernement : par cette OPA, il vise à assurer au groupe public la garantie de l’État face à ses dettes (80 milliards d’euros), et à soutenir le plan d’investissement de 60 milliards d’euros pour le lancement de la construction de six nouveaux EPR d’ici à 2050. « Les investisseurs privés ne viendront pas financer les six nouveaux réacteurs », a indiqué le ministre. Et de préciser : « Quand il s’agit de long terme, c’est l’investisseur public qui est le meilleur investisseur. »

Une « étatisation d’EDF »

« Le terme de “nationalisation” est ici dévoyé », tempête Philippe Page Le Mérour, tout en s’étonnant que « le statut juridique de “société anonyme” [soit] conservé dans le projet : quel paradoxe pour un service public ! ».

Pour lui, il n’y a pas de doute : « Le gouvernement souhaite en réalité procéder à une “étatisation” d’EDF afin d’avoir les mains libres pour tenter de [le] découper, avec les intentions qu’on lui connaît depuis deux ans. » Et de constater : « Nous sommes à des années-lumière [de la] conception du service public qui a guidé les audacieux et modernes choix de 1946. »

Les élus du Comité social et économique central d’EDF avaient prévenu au mois de juin : « Un EDF 100 % public ne serait viable qu’avec l’abandon du système concurrentiel et une sortie de l’électricité des marchés financiers afin de garantir des prix maîtrisés et redonner du pouvoir d’achat aux citoyens. » Sommé de bloquer l’augmentation du prix de son kilowattheure (KWh) à hauteur de 4 % pour cause de « bouclier tarifaire », le groupe public se voit aujourd’hui contraint de livrer à ses concurrents une rallonge de 20 térawattheures (TWh) d’Arenh (Accès régulé à l’énergie nucléaire historique) aux 100 TWh qu’il leur octroie depuis 2010.



Le tarif de ce supplément d’Arenh, passé de 42 à 49 euros le mégawattheure (MWh) grâce à un vote des députés contre l’avis du gouvernement, demeure une manne pour les fournisseurs privés, dans un contexte d’envolée des prix du kilowattheure produit par les centrales au gaz, disséminées en Europe, notamment en Allemagne, et sur lequel sont construits les prix des marchés (selon le principe du « merit order »).

Cette envolée est d’abord due à une hausse mondiale de la demande de gaz post-Covid, que la guerre en Ukraine et les « incidents » autour du gazoduc Nord Stream 2, qui achemine le gaz russe vers l’Europe, ont aggravée. Pour honorer ses obligations envers ses concurrents, le groupe public, confronté à des tensions sur son parc de production, conséquences de travaux de sécurité sur le parc nucléaire et de « stress hydrique » sur ses installations hydrauliques, se voit contraint d’acheter des kilowatts dix fois plus cher qu’il ne leur revend. Sans réelle garantie, hormis des contrôles renforcés de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) pour s’assurer que l’effort consenti par EDF bénéficie aux clients des fournisseurs privés dont les factures flambent.

Résultats : une perte semestrielle « historique » de 5,7 milliards d’euros pour le groupe public, et, pour finir, une addition de plus de 8 milliards d’euros de manque à gagner au titre de l’Arenh, que la direction de l’entreprise a présentées le mois dernier à l’État. « Pire, la ministre de la Transition énergétique [Agnès Pannier-Runacher, ndlr] n’a pas hésité à annoncer, lors du débat parlementaire, sa volonté de porter le volume d’Arenh à 135 TWh en 2024 et 2025 », dénonce l’interfédérale des salariés des Industries électriques et gazières, dans un communiqué du 16 août. L’interfédérale fustige le refus du gouvernement de taxer des superprofits réalisés par les compagnies d’énergies fossiles (pétrole et gaz), lesquelles, en revanche, « n’hésitent pas, avec l’Arenh, à taxer les profits d’EDF avant même qu’ils ne soient réalisés », souligne-t-elle.

Les exemples de l’Espagne et du Portugal

Le 5 juillet dernier, la Cour des comptes pointait un marché qui n’est plus « ni lisible, ni pilotable », et qu’elle incite à revisiter « au plus tard fin 2023 ». La nouvelle présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), Emmanuelle Wargon, rappelait quant à elle devant la Commission des affaires économiques les défis auxquels est confrontée la France : un doublement de la production électrique et une baisse des émissions de CO2 de 40 % à l’horizon 2050, pour assurer une production électrique qui passerait de 450 à 650 TWh, voire à 700 TWh en 2050. La nouvelle présidente s’est aussi déclarée favorable à une réforme du calcul des prix sur les marchés spot et de celui des tarifs régulés de vente (TRV).

La situation n’est en tout cas pas figée. L’Espagne et le Portugal ont ainsi obtenu l’autorisation de la Commission européenne de « décrocher » du marché continental pour une durée d’un an, avec, à la clé, une baisse des tarifs de 25 à 30 %… Aujourd’hui, une urgence frappe à la porte : sortir des tractations de couloir et faire du destin du service public de l’énergie un grand débat national et citoyen.

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