Ancien ministre et longtemps sénateur-maire d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, Jack Ralite, homme de culture s’il en est, a toujours accompagné les activités de la CCAS. Dans cet entretien, il revient sur l’originalité de ce modèle, son apport incomparable pour les salariés et sur la nécessité de le défendre.
La CCAS est un modèle unique en France et dans le monde. En ce double anniversaire des 70 ans du statut des personnels des Industries Electrique et Gazière et des 80 ans de la promulgation des congés payés, que peut-on dire de ce modèle, aujourd’hui ?
C’est un modèle qui a connu d’énormes résultats, fruit d’un extraordinaire militantisme dont on ne mesure pas suffisamment l’ampleur, le travail quotidien que représente la politique culturelle de la CCAS. Le metteur en scène Roger Planchon disait toujours que « certains savaient théoriquement ce qu’est le théâtre mais ne savaient pas construire une chaise ! » Il ajoutait : « Les deux attitudes sont importantes, mais moi, je fais des chaises. » Planchon fait le modeste. Il savait beaucoup aussi. Mais qu’il s’agisse des connaissances et/ou des fabricants de chaises, il reste qu’il faut que quelqu’un puisse s’asseoir sur la chaise. Et dans ce travail, s’adressant plus particulièrement au monde des ouvriers et des salariés, la CCAS a été un acteur social splendide qui, depuis soixante-dix ans, sans discontinuité, s’est attachée au savoir et à la fabrication des chaises en milieu populaire. Ses auteurs sont les gaziers-électriciens d’EDF-GDF. La CCAS, c’est comme leur comité d’entreprise. EDF nous éclaire la nuit, la CCAS nous éclaire la vie ! Elle répond à une appétence, pas toujours ressentie, d’émancipation des êtres humains.
Cela a toujours été une responsabilité difficile. Avec ses équipes de vacances, avec ses interventions culturelles, ses partenariats artistiques, pluridisciplinaires et pluralistes ; son accompagnement des artistes et sa présence dans tous les grands « événements culture » de France comme Visions sociales au Festival de Cannes et Contre Courant au Festival d’Avignon, c’est un travail mené au jour le jour, inlassablement, sans orgueil mais avec fierté. Partout où la culture, sa création et son partage se posaient et se partageaient, la CCAS était active. Je l’ai vécu très concrètement au centre de vacances CCAS de l’île de Ré, aux Etats généraux de la culture en 1987, au cours d’une initiative en Corse, appelée Diagonales, à la Fête de l’Humanité tous les ans, à Cannes, à Avignon, au Printemps de Bourges, aux Francofolies de La Rochelle.
Est-ce que la CCAS reste un acteur majeur en France dans le secteur culturel et un moteur de l’éducation populaire ?
A la CCAS, il y a toujours eu des mots tabous : impossible, renoncement, achevé, immobile. Dans le monde ouvrier, nombreux sont ceux qui ont découvert ou exprimé ainsi leur dignité. Et cela perdure malgré les conditions de plus en plus difficiles. Les politiques du ministère de la Culture n’illuminent plus. (…) Les crédits culturels se raréfient. Dans la foulée du rapport Jouyet-Lévy de 2006, il y avait ce conseil inquisitorial : « traiter économiquement le capital humain ».
Nous sommes contemporains d’une révolution-mutation, notamment dans les technologies. Sous l’influence d’une politique managériale guerrière, le travail, de l’ouvrier spécialisé au cadre, est aujourd’hui mutilé. Et à un travail mutilé correspond un travailleur mutilé auquel les œuvres d’art ne parlent plus. L’organisation du travail par l’entreprise reste un domaine sans liberté. L’expert du quotidien qu’est le salarié en est exclu. C’est une blessure à la vie humaine encore trop ignorée.
Est-il encore nécessaire de s’engager, de se mobiliser pour faire vivre et évoluer ce modèle unique au service de tous ?
Malgré cette situation, malgré des attaques contre la CCAS, elle tient bon. Elle ne veut pas d’un monde avec « censures et castration mentale », comme le dit Bernard Noël. Elle ne veut pas d’un monde sans chaises. Elle veut un monde où elle continuera de travailler dans le sens qu’exprime si bien, précisément, un électricien-gazier du nom d’Alain que j’avais rencontré. Il disait: « J’ai compris que la culture est un droit et un bonheur. La culture c’est, pour moi, ce qui t’élève au-dessus de toi. Au-dessus du lieu où tu es né. Au-dessus de l’époque où tu vis. Tu te sens partie prenante du monde entier et de toute l’humanité. »
C’est comme cela que se construit peu à peu un travailleur singulier, collectif. C’est-à-dire un homme qui est dans la situation suivante : il faut du collectif en chacun pour que chacun puisse faire, avec ce collectif, quelque chose que personne d’autre que lui ne peut faire. C’est une mission d’avenir et, sur le chemin qui y mène, la CCAS a joué un grand rôle que beaucoup devraient avoir envie d’imiter. Pour préserver ce modèle, il faut continuer à se battre. C’est un travail immense qui passe par la culture.
Pour aller plus loin
« La pensée, la poésie et le politique, Dialogue avec Jack Ralite », de Karelle Ménine, Les solitaires intempestifs, 2015, 224 p., 14,50€.
Les anciens avaient nationnalisés beaucoup d’entreprises,qui étaient la fierté de la France, dans le monde.
Aujourdhui,c’est la finance qui dirige,et qui dévors le gateau géant,de tout nos éfforts.
Il est temps d’inverser la courbe.
Il ne faut pas oublier que ce sont les forces de la Résistance (notamment dans le Vercors) qui sont à l’origine du mouvement de décentralisation théâtrale en France à la Libération. Gabriel Monnet et Jean Dasté, entre autres, en ont été acteurs.