Faute de véritables politiques publiques, soumises au diktat de la Banque mondiale et du FMI et menées par des gouvernements souvent corrompus, les populations africaines vivent dans le noir.
Les chiffres sont parfois froids. Toujours impitoyables. Si le continent africain représente 13 % de la population de la planète, il ne compte que pour 4 % de la demande mondiale en énergie, même si cette consommation a fortement augmenté depuis le début des années 2000. Plus précisément, sur les 915 millions d’habitants d’Afrique recensés en 2013, seuls 290 millions avaient accès à l’électricité.
Un manque d’accès qui reflète les inégalités existantes, ici comme ailleurs, qu’on soit femme ou homme (on imagine bien dans quel sens), qu’on soit d’un village ou de la ville et, bien sûr, qu’on soit pauvre ou riche. La consommation électrique de toute l’Afrique est inférieure à celle de l’Espagne avec une population 25 fois supérieure ! Dans certaines régions du nord du Nigeria, le coût du kilowattheure est 60 à 80 fois plus important qu’à Londres ou à New York.
De programmes internationaux en néocolonialismes
À l’heure où les pays riches parlent d’écologie et de préservation de la planète, 80 % des Africains dépendent de l’usage de ce que l’on appelle le bois de chauffage, qui engendre inévitablement la déforestation et la pollution au monoxyde de carbone : 600 000 personnes en meurent chaque année sur ce continent, estime le think tank international Africa Progress Panel.
Bien sûr, la bonne conscience est là. Depuis quelques années, la fée électricité se pencherait avec attention sur ce berceau, le continent africain. Les initiatives se multiplient, toutes aussi belles les unes que les autres. Les riches parlent d’aider les pauvres. L’histoire, avec un grand H, en est témoin. Peut-être pour faire oublier les responsabilités premières. À commencer par la colonisation d’un continent dont la population assiste, depuis des décennies, au pillage de ses richesses. En guise de collier, la guerre. En guise de gouvernements respectueux des populations : trop souvent des roitelets accrochés à la rente minérale ou pétrolière, adoubés par les États dominant la planète.
Des initiatives, donc. Celle de l’Organisation des Nations unies (ONU) qui, en 2012, a mis en place un dispositif appelé « Énergie durable pour tous » dont le but affiché n’était autre que de fournir un accès, à tous les habitants de la planète, aux sources d’électricité, avec une priorité, l’Afrique. Preuve de l’impuissance de l’Onu, les États-Unis, sous Barack Obama, ont lancé le programme « Power Africa », vaste plan d’électrification de l’Afrique dont le but était en fait d’ouvrir un marché pour les entreprises étatsuniennes.
Il faut croire que rien n’a abouti puisqu’en 2015, le G20, qui réunit les pays les plus riches et les plus influents du monde, a cru bon de lancer un plan dans le même sens en direction de l’Afrique subsaharienne. Les chiffres, encore, sont implacables : dans la partie subsaharienne seulement 30 % de la population est connectée au réseau électrique alors que la quasi-totalité de celle du Maghreb l’est.
Des richesses inexploitées
L’Afrique possède pourtant des richesses énergétiques qu’on pourrait presque juger inépuisables, qu’elles soient fossiles ou renouvelables. Par exemple, l’Afrique subsaharienne produit 82,9 térawattheures d’électricité hydraulique, soit seulement 2,6 % de la production mondiale, mais elle n’exploite que 3 % de son potentiel en ce domaine. Ce qui montre que les possibilités, au regard des besoins réels des populations, ne sont pas exploitées. L’hydraulique, pourtant, défie toute concurrence pour la production d’électricité, avec un coût de quelques francs CFA le kilowattheure.
Paradoxe ou réalité politique ? Malgré ces potentialités, l’Afrique dépend du pétrole pour sa production d’électricité. 46 % des centrales africaines fonctionnent au fuel contre 6 % dans le reste du monde. On touche mieux du doigt le problème lorsqu’on sait que la question se pose également pour les pays producteurs de pétrole. Pourquoi ? Ils ne possèdent pas de raffineries ! Résultat, quand le prix du baril augmente, celui de l’électricité explose en Afrique.
Le spectre des privatisations
Dans une tribune publiée dans l’hebdomadaire « le Point » en juin 2017, Roland Portella, notamment président de la Coordination pour l’Afrique de demain (Cade), écrit : « Le décollage pérenne de l’Afrique, sa véritable industrialisation, son développement agricole et rural ne se feront qu’avec des solutions innovantes de production énergétique, permettant un accès plus large et une meilleure disponibilité de l’électricité, pour le tissu économique et les populations, de manière durable. » Ce qui nécessite évidemment une harmonisation des politiques publiques énergétiques. On touche là au type de gouvernance, à l’heure où la panacée serait l’entrepreneuriat privé, en omettant bien sûr que celui-ci n’investit qu’en fonction des profits financiers possibles, pas pour le bien des populations.
À cet égard, Christine Heuraux relève, dans « L’électricité en Afrique ou le continent des paradoxes » (publication de l’Ifri), qu’il est « avéré que les pays qui connaissent les taux d’électrification les plus élevés aujourd’hui sont ceux où l’État a fait de cette électrification une volonté nationale forte et en a confié la charge à une compagnie nationale, tout en donnant à celle-ci les moyens d’une telle politique ». On aurait tendance à penser que tout est dit dans cette observation.
Pourtant, via ce qu’on appelle les institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), on assiste exactement à l’inverse, dans le même mouvement que nous connaissons en France avec la privatisation ou le démembrement des grandes entreprises nationales. Et donc, en Afrique, on tourne le dos à de grandes politiques d’État ou interétatiques de l’énergie, au profit de ce qui est appelé sans pudeur « favoriser l’investissement étranger », pour le plus grand plaisir des compagnies transnationales (aux capitaux et actionnaires multiples) qui dépècent déjà le continent.
Se posent donc, pour les pays d’Afrique, la question de la maîtrise de leurs richesses et, pour les gouvernements, leur volonté de contrôler les politiques au service des populations. L’enjeu est de taille, et les pressions terribles. L’Afrique du Sud, celle de Nelson Mandela, l’une des principales puissances économiques du continent, tente aujourd’hui de préserver son service public de l’électricité, Eskom, ébranlé par des affaires de corruption, mais, surtout, soumis à des campagnes pour la privatisation de cet outil indispensable pour la souveraineté du pays, via les lobbies financiers existants. Une « option » combattue par les salariés regroupés au sein de la puissante confédération syndicale Cosatu qui a contribué, en son temps, à la chute de l’apartheid. Ailleurs, sur le continent, le combat est plus rude. L’électrification totale reste, en Afrique, toujours, une idée neuve.
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Une très bonne analyse sur la situation énergétique en Afrique. Il faudrait enfin que les pouvoirs politiques du continent africain fassent de la question de l’énergie une priorité nationale. L’Afrique, de part se démographie galopante, à de nombreux défis à relever. Il faudrait pour cela régler cette problématique de l’énergie afin de créer des industries pour garantir des emploies à ces millions de jeunes Femmes et Hommes que veulent partir. l’Afrique doit absolument sortir de l’utilisation des hydrocarbures pour sa production d’électricité. Elle doit profiter de ses atouts: l’hydroélectricité et le Solaire.Il faudrait absolument que les pays riches accompagnent l’Afrique techniquement et financièrement.