Dans l’avenir, seule la puissance publique peut assurer la mission d’organiser la distribution de l’énergie à l’échelle du territoire national.
Le tour d’horizon international des questions énergétiques que propose ce dossier montre que, partout dans le monde, se posent les mêmes questions. Comment garantir le droit à l’énergie ? Et comment engager une transition énergétique qui assurera les besoins des populations tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ? À ces deux questions s’en ajoute en France une troisième, issue de l’histoire très particulière de notre pays marquée par la loi de nationalisation de 1946 : quels doivent être les contours d’un service public de l’énergie, régi non par la recherche du profit mais par la satisfaction des besoins de la population ?
Réfléchir à cette question implique de prendre en compte une double évolution. La première est mondiale et technique. La diminution des coûts de production du solaire et de l’éolien rend de plus en plus présentes les énergies renouvelables produites de manière décentralisée. La feuille de route 2050 pour l’énergie de la Commission européenne relève ainsi que, quel que soit le scénario retenu, « la décentralisation du système électrique et de la production de chaleur augmentera du fait d’une production utilisant davantage les sources d’énergie renouvelable ». Déjà, des réseaux intelligents (smart grids) organisent la distribution électrique à l’échelle de villes comme Nice, Marseille, Lyon ou Grenoble.
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Pour un pôle nationalisé
La seconde évolution est française et juridique. Les lois Maptam (modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) en 2014 puis Notre (nouvelle organisation territoriale de la République) en 2015 ont donné aux intercommunalités, départements et régions de nouveaux pouvoirs en matière d’organisation des réseaux énergétiques. L’État, naguère tout-puissant, doit à présent composer avec les collectivités locales. Ces deux évolutions viennent percuter l’idée d’un service public visant à fournir, à l’échelle du pays, l’énergie nécessaire à chacun au même prix quel que soit l’endroit où il habite.
Le réseau national de distribution de l’électricité était un des instruments de cette ambition. Mais la libéralisation du secteur de l’énergie a divisé le réseau de distribution en deux entités : Enedis et RTE. À l’heure où se multiplient les interconnexions européennes, son utilité est chaque jour plus évidente. Les énergies renouvelables ont en effet un talon d’Achille bien connu : leur intermittence. Le réseau national, adossé à des moyens de production ne dépendant pas des aléas climatiques comme le nucléaire, permet de suppléer à l’absence de vent ou d’ensoleillement sur un territoire donné. Seule la puissance publique peut assurer cette tâche d’organiser la distribution de l’énergie à l’échelle du territoire national. C’est là un argument fort en faveur de la défense d’un service public, passant par un pôle nationalisé regroupant l’ensemble des quelque 150 entreprises de la branche des Industries Électrique et Gazière (IEG).
Péréquation tarifaire vertueuse
D’autres arguments peuvent aussi être portés au débat. Le développement des énergies renouvelables permet, en théorie, de se passer du raccordement au réseau national. Les partisans de l’autonomie énergétique individuelle y voient une avancée. Mais que penser de la solidarité au sein d’une société où chacun aurait son panneau solaire ou son éolienne ? Et, plus encore, de l’inégalité qu’elle induirait entre les habitants des zones venteuses ou ensoleillées et ceux des zones moins dotées par la nature en ressources énergétiques possibles ?
C’est précisément pour répondre à ces questions que la péréquation tarifaire a été créée. Alors que la feuille de route de la Commission européenne prévoit « une augmentation des prix de l’électricité jusqu’en 2030 », et avec elle la part de l’énergie dans le budget des ménages, la défense du principe de péréquation tarifaire que permet le service public est plus que jamais d’actualité. De plus, l’évolution technique du secteur de l’énergie, on l’a vu avec l’exemple des réseaux intelligents, donne un poids croissant aux spécialistes de la gestion des big data et des systèmes d’information complexes. Les grandes entreprises du numérique pourraient ainsi devenir les maîtres d’oeuvre de la gestion des réseaux, déléguant les indispensables interventions
techniques à des sous-traitants, avec des conséquences inquiétantes pour les conditions de travail. Donner libre cours aux spécialistes du numérique dans la gestion des réseaux énergétiques reviendrait à attaquer un peu plus le statut des salariés des IEG.