Escape game : « Résoudre une énigme est quelque chose d’un peu primaire ! »

Escape game : "Résoudre une énigme est quelque chose d’un peu primaire !" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 42272 Escape room

D’abord apparus sous forme de jeu vidéo, les escape games s’installent depuis plusieurs années au coeur des villes, dans des salles dédiées. ©Shutterstock

Nouvelles stars des lieux de loisir pour adultes, plébiscités par les commissions jeunes de CMCAS mais aussi par les entreprises, les « live escape games » (jeux d’évasion grandeur nature) ont le vent en poupe. L’éclairage de David Peyron, auteur de « Culture geek » et chercheur en sciences de l’information.

Résoudre un crime, désamorcer une bombe, retrouver un manuscrit… Futuriste ou historique, l’intrigue varie autant que l’imagination des concepteurs. Le tout est d’enquêter en collaborant avec d’autres joueurs, enfermés dans une salle, pour résoudre une énigme en un temps limité, avec une seule mission : s’échapper ! D’abord apparus sous forme de jeu vidéo (le premier du genre, Crimson Room, créé par Toshimitsu Takagi, a vu le jour en 2004), les escape games rejoignent aujourd’hui les jeux de rôle grandeur nature. Avec plus de 1 000 salles ouvertes en France depuis 2013 (sur plus de 8 000 dans le monde), le « live escape game », ou jeu d’évasion grandeur nature, a rapidement gagné un public en quête de divertissement. Pour une vingtaine d’euros en moyenne, les « missions escape » promettent une heure de « fun », clés en main.

L’idée séduit de plus en plus de commissions jeunes. En témoignent les « sorties escape » prévues ou organisées par le passé dans les CMCAS Paris, Valence, Nice, Tours-Blois, Languedoc ou encore Pays de Savoie… Mais séduit aussi les entreprises et leur logique managériale, permettant de renforcer ou de tester la cohésion, l’esprit de synthèse, la force de proposition, la rigueur et ou organisation. Extension du domaine du jeu ou piège du divertissement prêt à consommer ? On se met à la recherche des indices avec David Peyron, auteur de « Culture geek » et maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université d’Aix-Marseille.

Comment l’escape game s’insère-t-il dans la culture ludique ?

David Peyron @DR

Depuis une dizaine d’années, la culture ludique dépasse le jeu vidéo et amorce un retour à la matérialité. On peut lier ce phénomène à la mode du « do it yourself » (« fais-le toi-même »), qui suppose de remettre la main dans et sur l’objet. Les « escape rooms » s’inscrivent aussi dans la résurgence de jeux moins contraignants que le jeu de rôle traditionnel, même s’ils restent « sérieux ». Mais on retrouve un des fondamentaux de la logique vidéoludique : l’énigme, qui a des sources anthropologiques profondes, ce que Carlo Ginzburg appelle le paradigme indiciaire. En gros, à l’origine, les humains devait sa survie à l’interprétation des signes laissés dans la nature, les traces d’animaux par exemple. C’est un rapport premier à l’environnement. Cette quête dont nous n’avons plus besoin pour vivre est transférée dans le jeu. Mais c’est toujours quelque chose d’un peu primaire ! Le couple « indice-énigme à résoudre » est aussi un bon moteur de fiction, qui n’est pas sans rappeler le succès de l’esprit « complotiste »…

À l’inverse, qu’y a-t-il d’original dans ce nouveau concept ?

Ce n’est pas si nouveau : l’escape room, c’est Fort Boyard depuis trente ans ! À noter, 90 % du marché vient des pays de l’Est, où existe une culture ludique très forte (Allemagne ou Pologne, qui ont par exemple lancé le retour du jeu de société…). Les escape rooms, c’est du loisir clés en main, c’est une bulle ou une parenthèse, à expérimenter entre midi et deux avec des collègues… Contrairement au jeu de rôle, qu’il est assez long de maîtriser.

Tu dis que dans ce genre de jeux « le coût d’accès à l’univers est facilité ».

Comme le disait le théoricien de la littérature Thomas Pavel, le fait d’utiliser un genre bien connu et d’en reprendre tels quels les codes abaisse le coût d’accès à l’univers. Initier un jeu de rôle ou un jeu vidéo suppose deux étapes d’apprentissage : d’abord se familiariser avec l’univers lui-même, et ensuite en apprendre les règles. Abaisser le coût d’accès, c’est utiliser des éléments de fiction déjà connus, pour permettre d’entrer directement dans le jeu. C’est ce qu’on observe dans la vente de produits dérivés : on rentabilise des franchises et des univers qui marchent.

C’est donc un moyen d’étendre les jeux de rôle, qui sont des jeux « de niche », au grand public ?

Il y a un large mouvement de démocratisation de la culture ludique. Mais comme pour la culture geek, certaines parties de cette culture resteront « subculturelles », car elles demandent un investissement plus important (psychologique, de temps et d’argent).


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Le jeu de rôle grandeur nature pose la question du « faire semblant », de « s’y croire ».

C’est tout l’enjeu du jeu ! Il faut un minimum y croire, tout en sachant que ce n’est pas vrai. C’est l’image du tigre en cage : il faut que le tigre soit vrai, mais en cage, comme le dit Jane McGonigal [conceptrice de jeux américaine et auteure, ndlr]. Ça rappelle toutes les paniques sociales autour des ados qui confondent la réalité et la fiction. Ce qui est recherché dans le jeu de rôle grandeur nature est une certaine déconnexion : une bulle à côté du monde réel, un monde très dense et rempli.

Le principe des escape rooms : aucune compétence physique ou connaissance particulière n’est sollicitée. C’est ça qui plaît ?

Comme l’univers ludique s’acquiert facilement, comme je l’ai dit plus haut, on peut tout miser sur la compétence. La seule compétence requise est de se parler. Les espaces sont créés pour que les joueurs et les joueuses soient obligé.es de communiquer entre eux-elles. Ce jeu valorise aussi la répartition des rôles : « Ce que je suis va être utile. » Tout le monde peut participer, mais il ne faut pas oublier qu’il existe une véritable aptitude ludique : celles et ceux qui battent des records et sont souvent assez pointu.es dans leur domaine ludique. Compétence qui s’acquiert d’ailleurs en jouant et en créant !

Quel genre de relation ça suppose et ça noue entre les joueurs ?

Un travail d’équipe : réussir à créer du lien est une très forte récompense chez l’animal social que nous sommes ! Être enfermé et chronométré produit une pression et demande une force psychologique. On gagne ensemble et on perd ensemble : on se fabrique un destin commun.

Mille salles ouvertes en France depuis 2013 : n’est-ce pas aussi l’industrie du divertissement qui est en marche ?

Il y a un effet start-up, très lié à la théorie des tiers lieux (très à la mode et éculée dans le management), qui ne sont ni le travail ni la maison, mais qui reconstruisent de la sociabilité dans un lieu dédié. Ces tiers lieux s’invitent paradoxalement parfois dans l’entreprise, où des espaces de jeu dans les bureaux permettent que les employé.es restent tard le soir…

Mais que dire de l’usage de ces lieux comme espaces de « team building », ou renforcement d’équipe ?

Le « team building » est en contradiction avec le but du jeu, qui est censé « ne servir à rien ». On est dans un management par l’efficacité. Par là, on déplace des logiques de loisir dans une visée managériale, qui peut aussi devenir un outil de plus vers l’asservissement. C’est ce qu’on appelle le nouvel esprit du capitalisme [d’après l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello, ndlr], en l’occurrence : la récupération par le capitalisme du jeu vidéo et de la culture ludique. Or c’est l’appropriation qui fait tout : le jeu sera ce que tu en fais. On ne gagne pas à formater l’univers ludique : quand tu lis un livre dans le cadre de l’école, il y a de fortes chances que tu le trouves chiant !

Pour aller plus loin

« Culture geek », de David Peyron, Fyp éditions, 2013, 192 p., 19,50 euros.
« Énigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes », de Luc Boltanski, Gallimard, 2012, 480 p., 23,90 € (format numérique : 16,99 €).
À lire aussi : les chroniques de David Peyron sur la culture geek, à retrouver sur son blog.

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