Redonner sens au travail, en reprenant la parole. C’est l’ambition du festival Filmer le travail, qui s’est clos le week-end dernier à Poitiers (Vienne). Une semaine durant, spécialistes du travail et professionnels de l’image du monde entier ont mis en commun leurs réflexions sur et avec « les travailleurs eux-mêmes qui travaillent ». Avec la CCAS et la CMCAS de Poitiers, les électriciens et gaziers ont apporté leur contribution.
Faire du travail un objet de réflexion, de création et d’expression libre : c’est l’ambition du festival Filmer le travail, qui jouait sa 8e édition à Poitiers du 10 au 19 février derniers. Créé en 2009 par un sociologue, Jean-Paul Géhin, avec l’appui de l’Université de Poitiers et de l’Association régionale de l’amélioration des conditions de travail (Aract), le festival Filmer le travail est aussi une association promouvant l’action culturelle et l’éducation populaire aux images. Il est ainsi unique en son genre à plus d’un titre.
D’abord parce qu’il entend fournir un terrain commun à la création artistique, à la recherche universitaire et aux mondes du travail. Tables rondes, projections-débats, conférences gesticulées, restitutions d’ateliers d’éducation à l’image : les espaces d’expression étaient nombreux. Ensuite, parce que sa compétition internationale confronte les cinéastes et travailleurs du monde entier : Liban, Estonie, Allemagne, Inde, Royaume-Uni, Italie, Niger, Suisse, Israël, Grèce, Brésil, Iran, Russie… Rien que ça.
Travailleuses sociales auprès de migrants en Israël, travailleuses domestiques étrangères au Liban, travailleurs saisonniers des îles russes Solovki, anciens mineurs nigériens, cheffe de gare sibérienne, médecin oncologue française… Aux côtés de sociologues, mais aussi de détenus (jury d’un prix spécial) ou d’apprentis chaudronniers (également jury d’un jour et créateurs du trophée du grand prix), les scénaristes, réalisateurs et auteurs ont fabriqué du sens, réveillé des émotions, partagé leurs visions personnelles, mis le travail au centre des réflexions. Certains de leurs films ont été primés (voir le palmarès de la 8e édition). Certains autres ont pris le large, et sont allés s’exposer plus loin, sur les murs de la ville. Ces films, ce sont les vôtres.
« Rassurez-vous, on n’écrit pas vraiment sur les murs… »
Partenaires de Filmer le travail depuis 2014, la CCAS et la CMCAS de Poitiers ont contribué à porter l’expression des électriciens et gaziers au cœur du festival, et jusque sur les murs de la ville. En amont du festival, en décembre dernier, le réalisateur Benoît Labourdette a encapsulé de petits récits sur le travail, à partir de dessins et sur le principe de l’association d’idées. Réalisés sur le vif avec des bouts de ficelle – une petite caméra, des feutres de couleur et un peu d’inspiration – les films étonnent par sa simplicité et la profondeur des propos. « Je ne sais pas dessiner », « je n’ai rien à dire » entonnaient certains participants. Mais une fois pris au jeu, chacun se retrouve « doué » de parole.
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Les films dont vous êtes les auteurs
Après leur projection officielle en préambule du concours Filme ton travail! auquel la CCAS participe en tant que jury, une sélection de ces très courts films a ensuite brisé le cadre cérémoniel de la salle obscure. En clôture du festival, les voix des électriciens et gaziers ont résonné au cœur du centre-ville de Poitiers et habillé ses murs, grâce au dispositif de projection itinérante imaginé par Benoît Labourdette : munis d’un picoprojecteur (vidéo-projecteur qui tient dans la paume d’une main) et d’une enceinte portable autonome, les projectionnistes ambulants ont embarqué les badauds dans la nuit…
Monuments historiques, porches obscurs ou banales façades, les vieilles pierres se sont muées en surface de projection pour les représentations multiples, et souvent tues, des travailleurs de l’énergie. Et pourtant : si certains courts métrages confinent au haïku (tels Ce marteau et cette faucille à l’attaque d’une banque) et que d’autres sont sans parole (« la Muselière« ), les messages sont forts, qu’ils soient sombres (« Génération Kleenex« , « Recul social« ) ou optimistes (« Emancipations« , « Avenir« ). « Rassurez-vous, tempère Benoît Labourdette, on n’écrit pas vraiment sur les murs… »
Sur place, à l’Espace Mendès France de Poitiers habituellement dédié à la médiation scientifique, des photographies éparpillées sur une table accueillaient les visiteurs. Elles montrent les gestes et les personnages de situations quotidiennes de travail, du fleuriste et de l’épicier à l’apprenti soudeur. Pour les faire vivre, le dispositif de l’atelier « Ecrits sur images » est là encore très simple : choisir une photo et griffonner un commentaire, qui lui est ensuite apposé comme un cartel. Ainsi commentées, les images montrent alors bien autre chose.
Saisies à l’ordinateur, les créations instantanées vont rejoindre la cohorte qui défile déjà sur un écran. Elles composent alors un chœur d’expressions presque anonymes, car signées d’un prénom. Une sorte de magie s’opère ; le résultat est puissant en terme d’évocation. C’est ainsi que les mots d’Antoine, agent de maintenance, sont venus rejoindre ceux d’Hamid, réalisateur iranien doublement primé au festival pour son film « The Rock« , qui rejoignent ceux de Jean-Paul, fondateur du festival et fils d’agent EDF, qui rejoignent les miens et ceux de dizaines d’anonymes… Depuis, nos mots dansent ensemble, quelque part.
Remettre ce prix est une fierté, cela a du sens. Les métiers de la métallurgie disparaissent… Je dis bravo à ces gamins, ils sont l’avenir, ils sont courageux. Et leur trophée est magnifique. Ce partenariat avec le festival Filmer le travail a du sens, il est « pile-poil » dans nos valeurs.
Thierry Seigneur, vice-président délégué de la CMCAS de Poitiers, a remis le prix du public du concours Filme ton travail ! aux apprentis chaudronniers et usineurs du lycée professionnel des métiers de l’industrie de Poitiers, pour leur making of amateur de la fabrication du trophée du grand prix du concours international.
J’ai dessiné des pylônes – on dirait aussi des signes chinois, il paraît – car depuis que je bosse avec, j’en vois partout ! Mon dessin montre l’avenir. Deux semaines après l’atelier, j’intégrais mon nouveau boulot à RTE, agent de maintenance. Ou « technicien contremaître », selon l’organigramme, même si certains intitulés sont absurdes et ne correspondent pas à ce qu’on fait. Si j’avais dû dessiner mon ancien poste chez Enedis, j’aurais dessiné un pendu…
Antoine Deshayes, 25 ans, agent de maintenance postes source à l’antenne RTE de Bonneau, à Poitiers, créateur du film Avenir positif
Ces créations sont intrinsèquement collectives et partagées, même si elles sont conçues à partir d’une expression individuelle. Le dispositif permet de contourner les filtres culturels : bien faire, donner une bonne image de soi… Autant de freins à l’expression individuelle. L’expression et la langue sont de puissants facteurs de discrimination. Pourtant, il s’agit d’une condition fondamentale du fonctionnement démocratique.
Benoît Labourdette, réalisateur complice de la CCAS et de la CMCAS de Poitiers. Voir son site : benoitlabourdette.com
Tags: CMCAS Poitiers Pratiques amateurs Travail
Aujourd’hui, il est important d’aller vers un horizon positif dans les batailles autour du travail, et pas uniquement (même si on y est malheureusement conduit) d’investir l’aspect défensif. Il faut promouvoir des propositions pour être offensif. Pour vivifier le combat social autour du travail !
Hélène Stevens, maître de conférences en sociologie du travail à l’université de Poitiers et présidente de l’association Filmer le travail. Lire notre entretien : “Il faut vivifier le combat social autour du travail”