Le statut national des électriciens et gaziers fête cette année son 75e anniversaire. Le président de l’Institut d’histoire sociale des mines et de l’énergie (IHSME), François Duteil, pointe la modernité de ses principes édictés en 1946.
Pourquoi célébrer le soixante-quinzième anniversaire du statut ?
François Duteil – Le statut national des électriciens et gaziers est à la fois un héritage et un projet. Un héritage, parce qu’il est le produit et l’aboutissement de décennies de luttes sociales, entamées par les gaziers de la ville de Paris au début des années 1900, ensuite étendues aux électriciens, et fortement portées par le Conseil national de la Résistance dont étaient membres les deux confédérations syndicales qui existaient alors, la CFTC et la CGT. Un projet, parce que le statut est un outil au service d’une conception des Industries électriques et gazières comme service public, et de l’énergie comme bien commun universel.
Quelles étaient les dispositions les plus importantes du statut ?
F. D. – J’en citerais quatre, parmi d’autres : la sécurité de l’emploi, la grille de salaire unique, la retraite versée par l’employeur et les Activités Sociales financées par le 1 % du chiffre d’affaires des entreprises. Ce sont quatre éléments indissociables, qui sont pensés pour que les électriciens et les gaziers soient bien dans leurs entreprises, pour y être au service du public.
Le statut dans ses principes de 1946 prévoyait un bon équilibre entre droits et devoirs des énergéticiens, en particulier en termes de sujétion de service. L’idée que les retraités sont des agents en inactivité de service, rémunérés par l’employeur, était d’une très grande modernité puisqu’elle préfigurait les débats actuels sur le revenu universel.
Comment le statut a-t-il évolué depuis soixante-quinze ans ?
F. D. – Pas en bien, même si l’ossature a été sauvegardée. Il y a eu deux grandes attaques. La première date du début des années 1950. Le patronat, qui n’avait jamais accepté la nationalisation des industries du gaz et de l’électricité, et le statut de ses salariés, profite du retour au pouvoir de certaines forces politiques qui avaient manœuvré au Parlement en 1946 contre l’action de Marcel Paul et de la division syndicale liée notamment au contexte de la guerre froide, pour remettre en cause le statut.
La seconde date de la vague libérale des années 1980-1990, marquées par la transposition dans le droit français de directives européennes organisant la concurrence sur les marchés de l’énergie, ce qui a abouti à la privatisation de fait de GDF et à l’éclatement d’EDF, que le projet Hercule menace d’encore aggraver.
Cet anniversaire est l’occasion d’un bilan. Il y a eu grosso modo cinquante ans durant lesquels le gaz et l’électricité ont été gérés par un service public qui les considérait comme des biens communs et vingt-cinq ans durant lesquels ils ont été tenus pour des marchandises comme les autres. Il est grand temps d’en dresser l’inventaire. Quelle période a été la plus favorable pour les salariés et pour les usagers ? Au vu de la hausse sans fin des prix de l’énergie, alors même que l’ouverture à la concurrence était supposée les faire diminuer, la réponse va de soi.
Que faudrait-il gagner aujourd’hui au sujet du statut ?
F. D. – Il faut en revenir aux principes de 1946, qui étaient, encore une fois, d’une grande modernité. La nationalisation, et le statut qui en est indissociable, avaient une triple ambition industrielle, démocratique et sociale. C’est l’ambition démocratique d’association des salariés à la gestion des entreprises, que portaient les Comités mixtes à la production de la loi de 1946 – aux pouvoirs bien plus étendus que les actuels Comités social et économique – qu’il faudrait aujourd’hui reprendre, en allant vers plus de démocratie directe et de nouveaux droits d’intervention des salariés, notamment celui de veto sur certains choix.
Une autre revendication primordiale est l’application du statut à tous les énergéticiens, et notamment aux sous-traitants d’EDF qui participent de fait au service public de l’électricité, mais ne bénéficient pas des protections garanties par le statut. L’existence de très nombreux personnels hors statut contribue à dégrader la qualité du service public de l’énergie.
Y a-t-il des dispositions du statut qui sont aujourd’hui dépassées ?
F. D. – Quasiment pas. On peut certes citer le jour de congé pour la première communion d’un enfant – ce qui n’est plus guère appliqué. On peut aussi constater que le statut est mal adapté aux familles recomposées, de plus en plus nombreuses, en particulier dans la définition de leur accès aux Activités Sociales. Mais ce ne sont là que des détails.
Plus important, il y a aussi la nécessité d’une véritable égalité professionnelle entre hommes et femmes. La logique du texte de 1946, et sa cohérence avec le projet d’une nationalisation pour construire un service public de l’énergie, n’ont pas pris une ride. Il faut le renforcer en termes de démocratie et de droit syndical en particulier pour la gestion des Activités Sociales.
Pourquoi un statut est-il préférable à une convention collective ?
F. D. – Une convention collective peut à tout moment être dénoncée par l’un ou l’autre des signataires. Un statut procède d’une loi. Pour changer la loi, il faut un vote au Parlement, ce qui ne s’improvise pas. Aux syndicalistes de conjuguer lutte sociale, rassemblement et initiative politique. Ainsi le statut garantit aux salariés une certaine stabilité de leurs conditions de travail, ce qui va une fois encore avec l’idée d’un service public fournissant l’énergie pensée comme un bien commun. En fait, l’investissement social est économiquement « rentable ».
Vers de nouvelles nationalisations ?
La loi Nome (Nouvelle organisation du marché de l’énergie) de 2010 stipule que le statut national des personnels des Industries électriques et gazières s’applique aux entreprises de production, de transport, de distribution, de commercialisation et de fourniture aux clients finals, sous réserve qu’une convention collective nationale du secteur de l’énergie ne s’applique pas au sein de l’entreprise.
Certaines entreprises ont profité de cette disposition pour appliquer des conventions collectives bien moins favorables aux salariés. Des employeurs ont aussi sorti les salariés des services informatiques et autres fonctions support, du statut au motif qu’ils travaillent pour l’ensemble d’un groupe dont les activités ne se limitent pas au secteur de l’énergie. D’où l’importance, souligne François Duteil, de revendiquer des nationalisations nouvelles permettant à tous les énergéticiens de bénéficier du statut.
Tous contre Hercule !!