Face à une crise sanitaire sans précédent, des centres de santé solidaires tentent depuis 2011 de répondre aux besoins les plus urgents de la population.
Visible à travers les baies vitrées, le logo de l’affiche arbore deux mains réunies formant un coeur. Le dispensaire social de Nea Philadelphia occupe le rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel du nord-ouest d’Athènes. Sa particularité ? Il a été créé de toutes pièces (local d’accueil, cabinet dentaire et cabinet médical), en septembre 2014, par des citoyens bénévoles, qui le gèrent collectivement. Une trentaine de médecins (généraliste, psychiatre, dentiste…) et une quarantaine de citoyens lambda se relaient ici chaque jour. Leur rôle : accueillir et renseigner les patients, collecter des médicaments, les trier et les ranger, etc. Soins et médicaments sont gratuits.
Ecoutez notre reportage dans le nord-ouest d’Athènes :
Depuis son ouverture, ce centre a reçu quelque 5000 visites. Soit environ 1200 personnes, dont 57% étaient sans emploi, 24% avaient un travail, 8% étaient retraitées. 54% d’entre elles étaient grecques, 46 % émigrées. Le dispensaire de Nea Philadelphia se débrouille comme une cinquantaine d’autres. Ils n’acceptent généralement pas de subventions publiques ni de dons d’entreprises privées, fonctionnent grâce aux dons locaux et internationaux, très rarement avec l’aide d’un parti ou d’un syndicat. Toutes les décisions sont prises en assemblée générale auxquelles participent aussi des patients – qui parfois deviennent des bénévoles. Il n’y a pas de hiérarchie.
Depuis 2011, ces initiatives citoyennes autogérées ont fleuri comme antidote à l’effondrement « programmé » du système de santé hellène. Des dizaines de milliers de personnes ne reçoivent aucun autre soin que ceux dispensés par ce type de structure. Car plus du tiers de la population résidant en Grèce n’a plus de couverture sociale ou les moyens d’accéder aux traitements. Soit environ 3 millions de personnes. Le taux de chômage est le plus haut d’Europe (26%), soit 1,2 million de personnes dans un pays qui compte une dizaine de millions d’habitants. Au bout d’un an, un chômeur n’a plus de couverture sociale.
Une austérité qui tue
Sept années de politiques d’austérité dictées par la Troïka ont imposé des restrictions draconiennes des budgets publics. Celui alloué par l’État aux hôpitaux publics est passé de 2 milliards en 2012 à moins de 1,15 milliard en 2016. Et pour les malades qui accèdent à l’hôpital, c’est l’attente.
« Pour commencer une radiothérapie contre le cancer, il faut compter six à huit mois (sauf pour les moins de 26 ans) », témoigne Emmy Koutsopoulou, psychiatre bénévole au Nea Philadelphia. À tel point que le 1er janvier dernier, ‘The Guardian’ titrait : « Dans les hôpitaux grecs, des patients qui devraient vivre meurent. »
Des médecins y décrivent leur lieu de travail comme « des zones de danger ». Avec la baisse du taux vaccinal, les maladies infectieuses (paludisme, rage, tuberculose…) refont surface. L’espérance de vie diminue (moins trois ans depuis six ans) et la mortalité infantile est passée de 2,7% en 2012 à 4% en 2015. Le taux de suicide a augmenté de 20%.
Lorsqu’elle n’est pas bénévole, Emmy Koutsopoulou travaille à plein temps pour l’Okana, organisation grecque contre la drogue. Elle est bien placée pour observer que « vivre dans une situation de crise détruit non seulement le corps mais aussi le moral et la dignité des gens ». Elle fait partie de ceux qui militent pour un système de santé de qualité dans le respect des droits des patients qui serait libéré de la férule de l’austérité. Face aux revendications de la rue, une loi est passée en 2016 pour faciliter l’accès aux soins de première intention et aux hôpitaux. Mais, outre l’attente, nombreux sont ceux qui n’ont pas l’argent pour acheter les médicaments.
Transformer un hôtel désaffecté en un lieu de vie où l’on entend jouer les enfants. C’est ce qu’ont fait le 22 avril 2016 des militants en occupant l’hôtel City Plaza dans le quartier de Victoria au centre d’Athènes. Le City Plaza accueille 400 personnes réfugiées, venues de Syrie, d’Afghanistan, du Kurdistan, du Pakistan.
À leurs côtés, des dizaines de bénévoles grecs et d’autres venus d’Italie, d’Allemagne, de Finlande… participent au quotidien collectivement autogéré avec les réfugiés. « Nous voulions montrer qu’il est possible d’offrir un autre traitement que celui des camps et des barbelés », expliquent en substance les porte-parole du lieu. 62 000 migrants seraient toujours bloqués en Grèce, d’après les chiffres du gouvernement.
De vraies cellules de résistance
Dans ce contexte, les dispensaires ou pharmacies sociaux s’érigent en véritables centres de lutte et d’information, des micro-cellules de résistance dans le quartier où ils se sont créés. En les rejoignant, beaucoup de bénévoles réapprennent le dialogue et l’échange. « Ceux qui étaient exclus du travail depuis plusieurs années prennent des responsabilités et regagnent ainsi leur dignité. En luttant contre la pauvreté et la maladie, nous luttons aussi contre le racisme et le fascisme », témoigne Emmy Koutsopoulou. Sans que cela ait été leur but, ces soignants ont le sentiment d’élaborer un modèle différent : « Nous utilisons moins de médicaments et d’examens, notre approche est plus globale, plus proche de l’humain. Mais ce n’est pas toujours un problème, c’est aussi une chance », avance-t-elle.
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