À la croisée de la mondialisation du vin sur les chemins de l’Auxois (Côte d’Or), avec Dominique Delevoye qui révèle, à partir d’une étude sur ce terroir viticole trop méconnu, les méandres d’une nouvelle révolution culturelle de la vigne et du vin.
Qui pourrait croire qu’il existe encore, au cœur du vignoble de Bourgogne, une vigne et des vins méconnus ? Demandez à votre caviste de vous dénicher dans ses rayons une bouteille d’auxois. Devant son embarras, votre succès d’érudition œnologique sera assuré auprès du patron et de l’assemblée des amateurs. Vous en assurerez d’autant plus l’éclat après avoir achevé la lecture, aussi savante que gourmande, du livre que notre collègue Dominique Delevoye vient de consacrer à ce terroir de Côte d’Or : « L’Auxois : le terroir ignoré du roman régional bourguignon ».
À travers douze chapitres, Dominique refait les chemins des siècles viticoles de ce petit terroir : géologiques, archéologiques, historiques et agricoles. Un parcours strictement documenté, passionnément digressif, joliment dépaysant : le temps s’arrête ; on croirait entendre, derrière les mots du conteur, les sarments crépiter dans l’âtre et la flambée iriser les verres remplis du précieux breuvage.
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Vignerons bourguignons mais pas vins de Bourgogne
Le chapelet des noms de villages qui s’égrènent au fil du livre n’est pas pour rien dans l’impression littéralement poétique qui ressort de ces deux cents pages : Flavigny-sur-Ozerain, Alise-Sainte-Reine, Semur-en-Auxois, Villaines, Viserny, et tous les autres… Le ton emprunté aux ouvrages des sociétés savantes du début de l’autre siècle donne à la lecture son parfum attachant. Pour décrire une réalité viticole d’une actualité brûlante.
Près de 30 000 hectares de vigne couvrent les coteaux de Bourgogne sur quatre départements : l’Yonne, la Saône-et-Loire, le Rhône et la Côte d’Or. Parmi les grands vins : les pouilly, chablis, mercurey, santenay, côte-de-nuits, saint-amour, côte-de-beaune, pommard, meursault, chambertin… Objets de spéculation, les grands crus ne représentent toutefois que 1% des productions : « En 2007, écrit Dominique Delevoye, l’indice Wine Decider estimait à moins de 57 millions d’euros la valeur des cinq grands vins de la Romanée-Conti. En 2016, elle atteignait 138 millions d’euros ! » Au cœur de la région, le vin d’Auxois est présent depuis l’Antiquité. La vigne et les vignerons sont bourguignons, mais le vin lui, faute d’appellation, n’est toujours pas de Bourgogne ! L’Auxois bénéficie seulement d’une indication géographique protégée (IGP).
Prêter sa plume comme on tire son épée
Bourguignon d’adoption depuis une dizaine d’années, Dominique, qui fut agent des IEG détaché dans les Activités Sociales, s’est pris de passion pour la région de Semur-en-Auxois, au cœur du vignoble bourguignon, appuyée sur les contreforts du plateau où – malgré les controverses – on situe la bataille d’Alésia qui vit la défaite, en 52 avant J.-C., des armées gauloises emmenées par Vercingétorix, face aux légions romaines de Jules César. À feuilleter notre album photo, vous comprendrez les raisons qui ont poussé notre ami Dominique à fondre devant les beautés locales.
Adopté donc, Dominique s’estimait en débit d’amour et d’amitié. C’est donc sans hésiter qu’il a, comme on tire son épée, prêter sa plume à ses amis vignerons de l’Auxois. Titulaire du diplôme de « pratique de la dégustation par la connaissance des terroirs » de l’université de Bourgogne, Dominique s’attaque donc au montage du dossier d’obtention de l’appellation d’origine protégée que mérite multiséculaire vin d’Auxois, « produit en Bourgogne mais n’étant pas réputé être du bourgogne ». Tout est conforme. Le syndicat des vins de Bourgogne donne son aval et ses encouragements. Mais voilà, la reconnaissance de l’Auxois, qui semblait aller de soi, se heurte aux logiques invisibles à l’œil nu, les logiques de la mondialisation du vin et de la nouvelle donne qu’elle induit jusque sous la treille de ce petit pays.
Un marché libéralisé
« Nous assistons, explique Dominique Delevoye, à une révolution culturelle. La protection d’une appellation peut devenir un obstacle à l’extension des vignobles dont la culture a été libéralisée par la Commission européenne, conjointement avec la demande mondiale en vins dits « de table », « de terroir » ou « de pays », et le mouvement de concentration des propriétés. La donne a donc changé, poursuit-il. Depuis les années 1930, qui avaient vu la naissance de la protection des vignobles et des vignerons par la création des appellations protégées ou contrôlées. Puis, dans années 1950, avec une politique de réduction des surfaces plantées sans appellation et, enfin, dans les années 1980, la diminution des productions et la recherche de la qualité. Or, nous vivons aujourd’hui le début d’un cycle inverse : celui la libéralisation du marché viti-vinicole avec, comme décision majeure, et du droit de planter la vigne. Deux chiffres pour mieux comprendre : de 1991 à 2014, le prix foncier viticole en AOP a bondi de 222 % et de seulement 15 % pour celui des vins sans appellation ». Pour l’Auxois, il serait donc, aux yeux de certains, urgent… d’attendre.
« Le négoce est plus que favorable à la plantation de vignes, avec ou sans indication géographique, qui s’affranchissent des contraintes très strictes de l’AOC en termes d’aire et de cahier des charges de production, expliquait Didier Hugue dans un article des Echos.fr en 2015. Que les tenants de l’orthodoxie se rassurent. Les quelque 30 000 hectares de vignoble bourguignon plantés en 100 appellations d’origine contrôlée (AOC) pourront cohabiter sans heurt avec deux autres catégories : les vins de cépage, à identification géographique protégée (IGP), et les vins de France, sans identification géographique. Ce sera même une nécessité tant la Bourgogne manque de vin depuis des années. » Et de donner l’exemple d’un célèbre négociant exploitant 14 hectares en Auxois et en « espérant le double d’ici à quelques années ». L’AOP d’Auxois attendra…
Pour aller plus loin
« L’Auxois : le terroir ignoré du roman régional bourguignon », de Dominique Delevoye, préface de Jean-Pierre Garcia (professeur à l’université de Bourgogne), postface de Jean-François Bligny (président de la Société des sciences historiques et naturelles de Semur-en-Auxois), 17 €.
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