Il y a sept ans, alors tout juste retraité, Didier Bailliez quittait le Nord pour se lancer dans l’auto-construction d’une maison écologique à Sainte-Eulalie, dans le Cantal. Privilégiant le bois, la terre et la paille, le Ch’ti mène son projet au pied de la lettre en construisant sa maison seul et « à la main », à l’aide de techniques traditionnelles et de matériaux naturels.
À l’orée du petit chemin caillouteux qui grimpe vers l’étrange édifice, un panneau triangulaire rouge et blanc « Attention, travaux » d’un genre à part annonce :
Construction d’une maison en paille,
Chantier interdit au Grand Méchant Loup,
Bienvenue aux Petits Cochons et aux Petites Cochonnes.
En haut du talus s’élève la bâtisse, banale à première vue : surmontée d’un banal toit de bac-acier, flanquée d’une grange où s’empilent des ballots de paille et l’habituel fouillis, la maison fait paisiblement face au volcan du Cantal, qui la regarde en retour. Cependant si l’on scrute les abords de la grange, l’œil y distingue une facture singulière : les ballots de paille qui la jouxtent semblent bel et bien se fondre dans le mur, puis disparaître sous ce qu’on jurerait être une épaisse couche de terre, juste sous la fenêtre.
Dans ce qui n’était encore qu’un vaste pré il y a sept ans, trône ainsi l’imposante demeure de « l’étroit petit cochon », comme son propriétaire et auto-constructeur aime à parfois se présenter. Didier Bailliez, de son nom de naissance, vient tout juste d’y emménager, quittant son « petit nid » provisoire : une tente CCAS verte et blanche réformée, qui l’a logé sept ans, le temps du gros des travaux. À 62 ans, l’ancien agent EDF et retraité des Activités Sociales a toujours vécu en ville, dans le Nord. Durant dix ans, il y avait retapé une maison, s’occupant surtout de l’aménagement intérieur. Au printemps 2008, le jeune retraité quitte une autre location et s’installe à Sainte-Eulalie (202 habitants), pour se lancer dans un chantier autrement plus fou : construire une maison en matériaux entièrement biodégradables à l’aide d’outils manuels.
« La revanche de l’étroit petit cochon »
« J’avais envie de venir m’installer dans le pays, mais pas comme fonctionnaire retraité qui profite du paysage… je voulais apporter ma contribution à l’économie locale. » En 2002, Didier avait tenté de reprendre l’auberge du village, sans succès. Une nouvelle idée commence de germer l’année suivante, après la visite du chantier du château de Guédelon, dans l’Yonne, où plus de trois cents « oeuvriers » professionnels et bénévoles usent de techniques et de matériaux médiévaux : Didier en ressort fasciné par le fait qu’on puisse « construire quelque chose de ces dimensions sans utiliser des techniques assommantes et abrutissantes ». Couplée au désir d’occuper sa retraite approchante et de retrouver les montagnes du Cantal, l’idée se mue petit à petit en projet. Le permis de construire est déposé le 29 octobre 2007. Huit mois plus tard, le terrain reçoit le premier coup de pelleteuse, donné par une entreprise locale. « J’en aurais pleuré : j’avais l’impression qu’ils détruisaient mon petit paradis ! »
Le terrassement est la seule partie du gros œuvre pour laquelle Didier déroge à ses « principes ». Écologique et économique, le projet l’est dans ses fins comme dans ses moyens. Les matériaux sont biodégradables et sont, comme les outils, issus de l’économie locale, glanés via les petites annonces du journal, le bouche-à-oreilles, ou dans les brocantes. S’inspirant de diverses techniques employées dans l’éco-construction, Didier opte pour des fondations en pierre sèche, une charpente en troncs de jeunes châtaigniers écorcés, des murs en paille de seigle, et des enduits de terre, d’argile et de chaux.
Les techniques sont traditionnelles et les outils manuels : exit les machines-outils, mais exit aussi l’électroportatif, avec lequel Didier a « l’impression de passer plus de temps à préparer ou réparer les outils qu’à travailler vraiment la matière pour laquelle l’outil est fait. » Se passer volontairement d’électricité peut paraitre paradoxal pour un ancien agent EDF, mais, insiste Didier, « ça n’a rien à voir… C’est peut-être par défi, mais alors totalement inconscient ! » En sus de perceuse et de scie sauteuse, Didier manie donc le vilebrequin et la scie égoïne. Autant dire que si Didier ambitionne d’utiliser « le moins d’énergie possible », il ne ménage pas la sienne propre, avec un curieux sens du paradoxe.
L’art de la « simplicité volontaire »
« Au plus on fait simple, au plus c’est facile » répète ainsi souvent celui qui a pourtant coupé ses châtaigniers à la scie, avant de les écorcer à la plane. Chez Didier, « simple » n’est pas synonyme de « rapide et pratique », mais de « naturel, essentiel et qui se suffit à soi ». Là où les outils mécaniques visent un gain de temps pour un meilleur rendement, les techniques manuelles préservent le travail du matériau. « C’est là que, sans vouloir faire de syndicalisme primaire, on s’aperçoit de ce qu’est la force de travail. Le bois ne vaut rien : ça pousse tout seul. Ce qui coûte, c’est l’énergie humaine ou mécanique qu’on dépense pour le transformer. »
La charpente de la maison est constituée de troncs de jeunes châtaigniers écorcés, que Didier a lui-même coupés début 2009, à Saint-Symphorien-sur-Couze, dans le Limousin. Durant trois mois, à raison de « trois ou quatre arbres par jour, là où un bûcheron forestier aurait fini la parcelle en une journée », Didier abat « l’équivalent d’un terrain de football » : « Je n’ai rien de mystique, mais quand je coupais un arbre, je lui disais à quoi il allait servir : pour ne pas le gâcher pour rien ! ».
En plus du bois rond de la charpente, les châtaigniers devaient initialement fournir les bardeaux dont Didier voulait recouvrir le toit. Sortes de tuiles de bois débitées à la main à partir des gros troncs, fendues et biseautées en leur extrémité, elles devaient assurer un ruissellement efficace. Or, se rappelle ce doux-dingue, « si j’en faisais 100 par jour, c’est que j’avais bien travaillé. Il en fallait 100/m²… soit 25 000. » Pragmatique, Didier se résout à installer le toit actuel, en bac-acier, « parce qu’il fallait bien mettre la maison hors d’eau ». Les bardeaux de châtaignier recouvrent tout de même le toit de la salle de bain provisoire, établie dès le début du chantier à l’extérieur de la maison.
Cette passion pour le bois, l’ancien agent technique postes et soutes d’EDF la tient de ses trente années chez les éclaireurs, d’EEDF cette fois : les Éclaireuses et Éclaireurs de France, l’une des plus vieilles associations laïque de scoutisme français, que Didier rejoint à l’âge de 13 ans. Scout « sans être ni un adjudant de carrière, ni un curé de campagne », l’ancien responsable d’un groupe à Lomme (Nord) reste doublement marqué par ses années d’éclaireur. De là, son attachement à la simplicité et l’adaptation à son environnement, dont la technique du « froissartage », un assemblage « sans clous ni vis » que Didier utilise pour construire la plupart de la charpente et jusqu’à l’échafaudage qui borde la maison, est peut-être le symbole le plus parlant.
De là aussi, son amour de Sainte-Eulalie, « lieu magique » qui a maintes fois accueilli les camps d’été. Perché sur la charpente en cours de montage à l’été 2009, Didier avoue passer « autant de temps à regarder les montagnes et les oiseaux voler qu’à travailler » : face à lui s’élève le majestueux volcan du Cantal, où il va se balader lorsque les travaux sont trop durs, ou ennuyeux. Pourtant, assure Didier, « je n’ai jamais eu l’impression de faire un travail harassant. Je suis toujours resté dans mes limites, car personne ne me pousse ni ne me tire. » Le déroulé des travaux ne suit donc nul plan de bataille : « quand on se donne un calendrier et qu’on ne le respecte pas, on est désespéré… ». En cause, donc, une certaine philosophie de vie, appliquée à un projet « intemporel » de « slow construction » : « Mon projet ne s’inscrit pas dans le temps … Ceci dit, le temps que j’y passe, j’ai la chance de l’avoir ! » En cause, aussi, le financement difficile de ce modeste, mais titanesque projet.
« Écologique » et « économique » ?
En 2008, le jeune retraité n’a pour capital que son indemnité de départ. Le sachant auto-constructeur, le crédit coopératif lui refuse un prêt de 40 000 €, prêtant plus volontiers aux constructeurs faisant appel à des entreprises labellisées. L’écoconstruction solidaire associative ne l’enchante pas non plus : un temps adhérent d’une association d’aide aux auto-constructeurs qui propose des stages pratiques payants, Didier la quitte avec un goût amer : « c’est comme si demain, je lançais un cabinet de conseil sur l’enduit en terre ! On perd la notion d’aide, d’assistance et de bénévolat. Ça casse le charme. »
Didier contracte alors des emprunts à des amis, sans intérêts, quelques milliers d’euros au coup par coup pour l’achat de matériaux et d’outils. Avec ce financement bénévole comme seule ressource, Didier avance bon an mal an dans les travaux, étendant son chantier au-delà des trois ans initialement prévus. C’est ainsi qu’au mois de juillet 2012, date à laquelle le ch’ti avait donné rendez-vous à ses amis du nord, tout ce petit monde a pendu la crémaillère : « il n’y avait pas encore de cloisons, ni de portes, ni de fenêtres … juste les murs et le toit ! »
À présent élu local à Sainte-Eulalie, on a aussi pu le voir déambuler dans les allées de l’Étrange Noël de Monsieur Marcel de la CMCAS Nord-Pas-de-Calais, ou plus récemment lors du Par Pour Festival, où il était bâtisseur bénévole. « D’où je suis ? Je vais faire une réponse bateau : je suis de la terre. Qu’est-ce que ça peut faire d’où on est ? À partir du moment où mes deux pieds posent bien par terre, je me sens chez moi. »
Didier s’apprête à passer son premier hiver dans sa maison, qu’il habite depuis cet été. Au final, la maison n’est pas parfaite, mais lui va bien : « Comme on dit din ch’nord, un baudet qui fait à s’mode, c’est l’mitin de s’nourriture ! » (c’est-à-dire : quand l’âne peut faire ce qu’il veut, il s’assure déjà la moitié de sa nourriture.)
Tags: Engagement Environnement Logement
« Mon expérience m’a au moins appris ceci: si nous avançons avec confiance vers la poursuite de nos rêves et si nous nous efforçons de vivre la vie que nous imaginons, nous pouvons nous attendre à une réussite exceptionnelle. »Théoreau Walden
Cette citation correspond tout à fait à ce que tu nous a appris.Cette aventure en est encore la preuve.
J’espère à très vite.
bravo didier je suis bluffe quand je suis venu te voir il a 3 ans je me suis dit dans quelle galere il c est mis mais comme je te connaissais dans le travail je savais que tu y réussirais je viendrai te voir avec jacques maintenant tu dois apprecier le confort a bientôt felicitation pierre
Vous êtes formidable et quel courage!..
Félicitations
Salut ma poule,
Heureux d’avoir eu de tes nouvelles. Aucune surprise pour moi de te voir dans une telle aventure et je suis sur qu’un jour on boira un coup ensemble pour se remémorer nos péripéties de jeunesse.
Bon courage à toi et porte toi bien.
Bravo didier, que de volonté pour y arriver… Mais tu as fait le bon choix (je pense, et il est très difficile de faire connaitre le bonne façon de faire… nous avons des amis qui qui font la même chose à st bonnet l’enfantier.. Heureux mais très dur; peut être serait-il heureux de correspondre avec vous… c Erouane et Sophie, à coté de st bonnet… sans connaître leur nom de famille.. bon courage et encore bravo
Salut l’artiste un petit coucou et surtout bon courage à un gars du Nord que j’apprécie et que j’ai vu maintes fois dans les manifs, je suis allé dans l’auberge du village qu’il tenait à ce moment là et me rappelle de très bons souvenirs, me souviens qu’il devait aller chercher sa viande à Aurillac mais à vélo et ça faisait une trotte pour préparer le repas du midi aux ouvriers de passage le plus souvent des fois payer en échange de produits du terroir. C’était vraiment bien je te souhaite bon courage Didier et de Bonnes Fêtes de fin d’année. Un camarade du pas de Calais