Pour Roland Nivet, porte parole du Mouvement de la paix, celle-ci ne peut pas être construite si les rapports sociaux et internationaux entre les Etats ne sont pas transformés durablement.
On peut d’abord s’étonner de l’existence, en France, d’un Mouvement de la paix. La France est-elle en guerre ? Quelle est la nécessité d’un tel mouvement aujourd’hui ?
Effectivement, la France n’est pas officiellement en guerre. Pourtant, elle est présente sur de nombreux terrains au niveau international : en Afrique, au Moyen-Orient avec des politiques guerrières, agressives. La France est une des principales puissances militaires de la planète, la quatrième puissance nucléaire du monde. Elle a un budget militaire conséquent, de l’ordre de 32 milliards d’euros – 40 milliards si on y inclut les retraites ! Au début du mois de juin il y a d’ailleurs eu, à Penmarc’h, un essai tir de missile apte à porter des charges nucléaires. Ce tir du missile M51-2 constitue une grave violation du droit international et plus particulièrement du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. D’autre part, après les deux attentats qui ont endeuillé la France en 2015, l’état d’urgence, l’assassinat d’un couple de policiers tout récemment, il faut bien se poser des questions sur la situation internationale et les raisons de cette situation. On peut dire que la France ne se positionne pas sur une politique de paix mais sur une politique de guerre. Nous avons tendance à penser que cette politique, loin d’amener de la sécurité pour les Français, aurait plutôt tendance à créer de l’insécurité. En tout état de cause, il faut s’interroger sur les conditions de la paix et comment la construire.
Comment est né le Mouvement de la paix ?
Le Mouvement de la paix existe depuis longtemps. Il a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des mouvements de résistance qui voulaient dire plus jamais le nazisme, plus jamais la Shoah, plus jamais Hiroshima et Nagasaki. Nous avons toujours été confrontés à des politiques de puissance qui se sont exprimées en particulier par des guerres coloniales. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les peuples se sont plus ou moins émancipés du colonialisme. Plus ou moins, car ils ont été rattrapés par un néocolonialisme qui s’exprime par une logique financière, spéculative, qui caractérise la mondialisation libérale des économies aujourd’hui : l’argent qui domine tout, la recherche du profit, les volontés de puissance, d’accaparement des richesses de la planète. Voilà qui entretient un climat conflictuel dans lequel la France ne joue pas vraiment un rôle positif.
Notre rôle en tant que Mouvement de la paix, avec d’autres, est de faire prendre conscience des causes – économiques, politiques… – qui engendrent guerres et violences. La paix ne peut pas être construite si on ne transforme pas durablement et les rapports sociaux et les rapports internationaux entre les Etats.
Concrètement, que fait le Mouvement de la paix ?
Il y a d’abord un travail d’éducation populaire. En organisant des conférences, des débats dans la centaine de villes où nous sommes implantés. Il s’agit donc d’alerter, de faire prendre conscience, de débattre sur les causes mais aussi de faire pression sur le pouvoir pour une autre politique que celle existant aujourd’hui. Il faut également mentionner l’éducation à la paix et à la non-violence. Tout cela en travaillant à des convergences. Si l’on voulait définir la logique du Mouvement de la paix, c’est rassembler des gens qui partagent l’idée assez simple que la sécurité du monde ne se construit pas par l’augmentation de dépenses d’armements de plus en plus sophistiqués. On est arrivé à 1800 milliards de dollars de dépense dans ce domaine en 2015, sur l’ensemble de la planète, soit un doublement en quinze ans, alors que le budget de l’Onu pour la paix n’est que 8,7 milliards de dollars. Il y a tout un travail d’alerte, de compréhension à effectuer.
Il faut montrer, parce que c’est la réalité, que les guerres sont toujours des échecs. Regardons ce qui s’est passé en Afghanistan, en Irak, en Libye. Il y a un débat de fond sur « A quoi aboutissons-nous par la guerre et le surarmement ? » Cela n’apporte aucune solution. L’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin disait que la situation au Moyen-Orient aujourd’hui est l’échec de l’Occident à trouver une solution politique. C’est à dire qu’on fait une guerre pour éliminer les conséquences de la première et une troisième pour éliminer les conséquences de la seconde. C’est un cercle infernal. Il faut donc poser les questions : qui mène les guerres ? Quel est le rôle de l’Otan, cette alliance militaire agressive qui aurait dû disparaître en même temps que le pacte de Varsovie ? Mais qui joue pourtant un rôle de plus en plus important. Ces guerres conduisent au chaos.
Votre rôle est donc juste de dénonciation ?
Non, pas seulement. Si nous existons, c’est aussi pour convaincre. Donc, quand on dénonce des causes, il faut également proposer des solutions alternatives. Ce n’est pas le plus simple car il y a une forte implication du lobby militaro-industriel. En France, par exemple, près de 90% de la presse est sous le contrôle de ce lobby. Lagardère, Dassault… Ils contribuent à contrôler, à façonner l’opinion publique. Il n’empêche, il faut être présent pour formuler d’autres propositions. Il faut le respect du droit international, la résorption politique et non pas militaire des crises internationales.
Entre cette adhésion majoritaire chez les Français pour la paix et leur engagement, il semble néanmoins y avoir un fossé. Comment le combler ?
C’est une problématique que nous travaillons. Effectivement, lorsqu’on parle de paix, la plupart des gens adhèrent. Même sur le désarmement nucléaire, il y a une adhésion. Notre Mouvement, même s’il doit être plus en pointe que d’autre sur ces questions, n’a pas la prétention de pouvoir tout résoudre tout seul. D’où la nécessité de travailler avec d’autres organisations, des syndicats, des associations, des comités d’entreprise. Lors d’un sondage que nous avions commandé à la Sofres, 80% des Français se prononçaient pour que la France s’engage dans le désarmement nucléaire. 78% d’entre eux pensaient qu’il fallait diminuer les dépenses d’armement au profit des besoins sociaux. Ce qui veut dire que l’aspiration à la paix se retrouve partout. Il y a donc une contradiction fondamentale entre l’aspiration des peuples et la représentation politique.
On fait croire aux gens qu’ils ne sont rien, qu’ils ne peuvent rien. Que ce sont des choses trop compliquées pour eux. C’est la question du « pouvoir d’agir ». Il faut valoriser les succès obtenus. Les peuples, par des voies différentes, ont obtenu des résultats comme, par exemple, les traités de non-prolifération ou d’interdiction de certaines armes. En réalité, nos idées sont majoritaires au sein de l’opinion publique, mais on veut faire croire que c’est l’inverse. La Charte des Nations unies reflète notre état d’esprit. Un de ses articles fait obligation de régler les problèmes de sécurité du monde en dépensant le moins d’argent possible pour l’armement. Enfin, il y a eu deux résolutions de l’Onu en 2000 concernant la culture de la paix et la non-violence, résolutions fondées sur un travail de dix ans concernant les causes des guerres.
Le Mouvement de la paix pense qu’il faut aujourd’hui écrire un livre blanc pour la paix proposant des alternatives politiques à la militarisation actuelle. Ce projet est en cours avec une vingtaine d’associations. Enfin, le 24 septembre, nous organisons, en France, une journée de marches pour la paix.