Reprendre en coopérative l’entreprise liquidée par son patron est un chemin périlleux. Grâce à une solide culture syndicale, les ex-Fralib (thés et infusions) et Pilpa (crèmes glacées), l’ont emprunté avec succès. Une aventure collective exemplaire.
Ce mois-ci, une nouvelle marque de thés et d’infusions arrive dans les rayons des supermarchés du sud-est de l’hexagone. Son nom : 1336. 1336, comme le nombre de jours durant lesquels les ex-salariés de Fralib, basés à Gémenos (Bouches-du-Rhône), ont dû lutter contre le géant Unilever, ancien propriétaire de l’usine, pour sauver leur site et lancer leur propre marque. Exit Fralib et les marques Lipton et Eléphant (1). Place à Scop.TI société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions, et à « 1336 ». Sur les 182 salariés que comptait l’entreprise en septembre 2010, à l’annonce de la fermeture de l’usine, seuls 29 ont à ce jour signé un contrat de travail dans la coopérative. Mais les coopérateurs espèrent à terme atteindre une centaine de salariés, voire bien davantage. Un optimisme qui prend racine dans un projet séduisant, à mille lieux des pratiques de la multinationale responsable de la fermeture de l’usine. « Nous voulons maintenir l’outil industriel et l’emploi agroalimentaire, car c’est l’intérêt de tous. Derrière, c’est toute une filière agricole que nous sommes en train de relancer » explique Cynthia Sanchez, secrétaire de l’Union locale CGT d’Aubagne, aux côtés des ex-Fralib depuis le début de leur lutte. Unilever avait abandonné le tilleul provençal… Scop TI relance la filière de Buis-Les-Baronies. Unilever utilisait des colorants et des arômes artificiels… Scop TI s’appuie sur le « pôle arôme » de Grasse. Unilever importait ses produits de Hambourg ? Scop TI veut redonner vie au Port de Marseille. Fini le dumping écologique et social visant à engraisser les actionnaires. Désormais, « 66% des bénéfices seront réinjectés dans l’entreprise » annonce Omar Dahmani, coopérateur de la Scop, l’un des piliers de la longue lutte syndicale des Fralib.
Reprendre en coopérative l’entreprise liquidée par son patron est un chemin semé d’embûches. L’expérience malheureuse des Atelières (ex-Lejaby) et de SeaFrance, deux coopératives mises en liquidation judiciaires en février et juillet dernier, en est la dure illustration. Il ne suffit pas d’avoir un projet bien ficelé, un personnel qualifié et le soutien de l’État et des collectivités locales. La dynamique syndicale ainsi que la solidarité suscitée par le projet restent incontournables, estiment les ex-Fralib. « À Fralib, lance Omar Dahmani, on a fait en sorte que les salariés se syndiquent. On a fait augmenter nos salaires et nos acquis sociaux grâce à la lutte syndicale. Et cette lutte a continué quand la fermeture du site a été annoncée. » Il y a aussi le soutien de tous ces anonymes qui s’est révélé décisif au plus fort de la tempête… Dominique Basset, également coopérateur de Scop TI, se souvient de ces quatre mois passés sans salaires. « Si on n’avait pas eu la solidarité de tous ces gens de la région qui venaient avec dix euros… Et toutes ces boîtes d’infusion vendues, ces chèques reçus de toute la France. C’est grâce à ça qu’on a pu tenir. »
La solidarité se joue également entre coopératives. C’est après avoir rencontré le directeur de la Scop drômoise Ceralep (2) que les ex-Fralib ont décidé de se lancer dans l’aventure coopérative. A Carcassonne, les salariés de La Fabrique du Sud (ex-Pilpa), fabricants de crèmes glacées, ont quant à eux fait appel au même avocat et au même cabinet d’expertise comptable que les Fralib. Puis ces derniers, au moment de rédiger leur protocole de fin de conflit avec Unilever, se sont à leur tour inspiré du document signé par leurs camarades de Carcassonne. Ex-Fralib et ex-Pilpa, même combat : qualité, respect des hommes et de l’environnement, économie locale. « Nous utilisons de bons produits, affirme Maxime Jarne, directeur de la Fabrique du Sud et ancien trésorier du syndicat CGT local : du lait entier, des fruits de la région aussi souvent que possible et des emballages en carton. »
Les Scop en chiffres* • 2600 entreprises • 12% créées à partir d’entreprises en difficulté • 51000 salariés • 4,4 milliards d’euros de chiffre d’affaire |
Cet été, les glaces La belle Aude (3) étaient distribuées dans tous les centres de vacances CCAS de l’Aude et des Pyrénées orientales. « On a vraiment joué la carte de la solidarité dans l’Aude. On a fait beaucoup d’animations auprès de la population et on a fait jouer les réseaux » poursuit Maxime Jarne. Une association d’éducation populaire, Les amis de la Fabrique du sud, a même été créée, afin de faire connaître la Scop et de sensibiliser le public aux vertus de l’économie sociale et solidaire. Son président, Michel Mas, agent EDF retraité, aimerait développer un réseau de vente directe entre coopératives et comités d’entreprises.
En attendant, un événement important se prépare pour Scop TI et La Fabrique du Sud : la Fête de l’humanité, en région parisienne. Du 11 au 13 septembre, leurs stands côtoieront celui de la CCAS. Plus qu’un symbole.
(1)↑ Elles sont toujours vendues en France par Unilever, mais leur production est désormais délocalisée en Belgique et en Pologne.
(2)↑ Voir notre dossier sur les coopératives le Journal de mars 2013.
(3)↑ Marque de crème glacée créée par La Fabrique du sud
Fralib : 1336 jours de lutte
– Septembre 210 : annonce de la fermeture de l’usine Fralib
– Juillet 2011 : l’expertise du CE démontre la viabilité et le potentiel de l’usine
– Novembre 2012 : création de Scop-TI
– Avril 2014 : Participation au cinquantième anniversaire des Activités Sociales, à la Géode, à Paris
– Mai 2014 : Fin du conflit avec Unilever après 1336 jours de lutte
– Mai 2015 : Création de la marque 1336
*Chiffres 2014 incluant Scop et Scic (sociétés coopératives d’intérêt collectif). Source : http://www.les-scop.coop
Bonjour
Ou acheter votre thé pour vous encourager?