C’est un aspect méconnu des grandes grèves du printemps 1936. Elles ont, on le sait, conduit à des avancées sociales majeures. Mais elles ont aussi bouleversé en profondeur le paysage syndical français, pour lui donner une forme qu’il va conserver pendant des décennies. C’est le sixième volet de notre chronique sur l’année 1936.
On l’a déjà raconté dans le premier volet de cette chronique : les avancées sociales majeures du Front populaire n’auraient pu être obtenues sans la réunification syndicale de mars 1936. Mais le grand mouvement de grève du printemps 1936 va à son tour impulser une nouvelle réorganisation du syndicalisme. Plus de la moitié des syndiqués à la CGT avant les grandes grèves sont des travailleurs à statut, dont les électriciens et gaziers. Ils vont, de fait, peu participer aux grandes luttes, car ils ont déjà gagné les congés payés.
L’implantation de la CGT reste très sectorisée : on compte, au début de 1936, 22 % de syndiqués CGT chez les cheminots, 44 % chez les postiers et 36 % dans les services publics, contre moins de 5 % dans la métallurgie ou le textile. Or, c’est dans ces secteurs industriels, en proie à la plus dure répression antisyndicale, que la CGT va s’implanter après le printemps 1936. Entre 1935 et 1937, son nombre de syndicats passe de 4 000 à 16 000 et son nombre d’adhérents de 785 278 à 3 858 825.
Le visage de la CGT en est changé. Par son implantation géographique, tout d’abord. Aux vieux bastions de la banlieue parisienne et du Nord-Pas-de-Calais viennent s’agréger de nouveaux syndicats dans les anciens déserts syndicaux de Bretagne, de Normandie ou d’Alsace, pour donner une implantation nationale à la confédération. Surtout, cette dernière étend son implantation professionnelle. Si la fédération des fonctionnaires voit, après les grèves du printemps 1936, ses effectifs augmenter de 23 %, ceux de la chimie ou du papier-carton progressent de 4 600 % ! Si l’on y ajoute rajeunissement et féminisation, le constat s’impose : la CGT, renforcée, n’est plus la même après les grandes grèves de 1936.
Le constat vaut aussi pour l’autre confédération syndicale, la CFTC. Très liée à l’Eglise catholique, elle voit l’implantation des courants du christianisme social, emmenés par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), gagner en influence. Très prudente vis-à-vis du Front populaire, comme à l’égard des grèves qu’elle n’a en rien animé, la CFTC évolue sous la pression de sa base, jusqu’à approuver, lors de son congrès qui se tient entre le 30 mai et le 1er juin 1956, les revendications des grévistes.
Bien qu’alors non reconnue comme représentative (elle n’est pas signataire de l’accord de Matignon), la CFTC se développe, quoique bien moins vite que la CGT. De 321 syndicats en 1935, elle passe à 2 048 deux ans plus tard, tandis que ses effectifs atteignent 380 000 salariés, soit 150 000 de plus qu’en 1935. Là encore, ce mouvement de syndicalisation massive change la composition de l’organisation : des sections d’entreprise apparaissent, les « syndicats féminins » qui étaient jusque-là la marque de fabrique de l’organisation disparaissent, et des non-catholiques accèdent à des responsabilités syndicales.
Sept ans plus tard, les deux grandes confédérations syndicales participeront à la création, sous l’Occupation, du Conseil national de la Résistance. Une participation qui n’aurait pas été possible sans la puissante vague de syndicalisation née des grèves de 1936, qui a fait des organisations syndicales les représentantes incontournables du monde du travail.
Chronique de l’année 1936Quatre-vingts ans après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, le Journal en ligne entame une chronique de cette période qui a marqué l’histoire, et se révèle aujourd’hui pleine d’enseignements. |