À travers l’exposition « Chroniques interdites », le musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne* (94) revient sur les formes d’expression artistiques déployées par les artistes, les intellectuels et les « amateurs » durant l’Occupation. A voir jusqu’au 31 août 2016.
Ce sont peut-être les aspects de la Résistance les plus méconnus mais ils ont été essentiels. Pour en attester, Guy Krivopisko, le conservateur du musée, cite volontiers le général de Gaulle qui, dès 1943, rend hommage à ce front de la Résistance intellectuelle : « Lorsque l’historien, loin des tumultes où nous sommes plongés, considérera les tragiques événements qui faillirent faire rouler la France dans l’abîme d’où l’on ne revient pas, il constatera que la Résistance, c’est-à-dire l’espérance nationale, s’est accrochée, sur la pente, à deux môles qui ne cédèrent point. L’un était un tronçon d’épée, l’autre, la pensée française. »(1)
L’exposition est conçue dans le cadre du concours national de la Résistance et de la déportation, organisé par les ministères de l’Education nationale et de la Défense. Depuis 1959, celui-ci propose aux élèves des classes de troisième et de lycée de partir à la découverte de cette période de l’histoire. Une pédagogie différente qui les amène notamment, sur la base du volontariat, à aller à la rencontre d’anciens résistants et déportés.
Propagande et pillage
Dès le début de l’Occupation allemande et italienne, les occupants et l’Etat français font de la culture un enjeu essentiel. Répression très forte à l’encontre des artistes et intellectuels mais aussi de tout citoyen qui continue à vouloir penser librement. Dès septembre 1940, la liste Otto désigne plus de 1060 auteurs et ouvrages devant être retirés des librairies et des bibliothèques. On y trouve des œuvres de Stefan Zweig, Romain Rolland, Freud ou encore Les Cloches de Bâle de Louis Aragon…
Dans le même temps, des milliers d’œuvres sont volées des musées, voire détruites lorsqu’elles entrent dans la catégorie « art dégénéré » : notamment le cubisme, l’impressionnisme, mais aussi toute expression de l’art classique qui propage des idées de liberté. Au Louvre, sous la responsabilité de conservateurs résistants, des milliers d’œuvres sont exfiltrées et cachées chez l’habitant notamment dans le Lot. C’est le cas de la Joconde. Elle changera dix fois de lieu et transitera notamment par le château de Chambord, l’abbaye de Loc-Dieu, Montauban, puis de nouveau à Chambord, pour finir la guerre dans le Lot, à Montal.
Réponse par l’humour
A Radio Londres, Maurice Van Moppès, Pierre Dac et bien d’autres reprennent l’ensemble du répertoire français pour le tourner en dérision. « Prospère yop la boum » devient « Hitler yop la boum ». « Il court il court le furet » devient « Il court il court le Laval ». Etc. Les chansons sont diffusées par la BBC et les livrets parachutés en France par l’aviation anglaise à partir de 1941. Très populaires, elles sont reprises par la presse clandestine. Cette inventivité poétique et musicale ne peut s’exprimer qu’à l’intérieur de petits cercles privés. Chanter La Marseillaise en public conduit à la prison, voire au poteau d’exécution.
Littérature, poésie, musique, tapisserie
Durant l’été 1941, Paul Éluard compose Une seule pensée, poème qui devait pour conclure révéler le nom de la femme qu’il aimait. Il est publié en juin 1942 dans la revue poétique Fontaine de Max-Pol Fouchet. Au printemps 1942, le poète Noël Arnaud, fondateur de la maison d’édition La Main à Plume, propose à Paul Éluard la réalisation d’un recueil de ses créations récentes. Le poète choisit neuf de ses poèmes dont Une seule pensée.
Mais, en un an, le cours de la guerre a changé, la Libération semble plus proche. Aussi Éluard, sur le marbre de l’imprimeur Cario à Paris, biffe le titre originel pour lui substituer celui devenu définitif de Liberté : un mot sublimant alors, pour l’auteur, l’amour porté à sa compagne, et portant son espérance et celle de millions de Français. Très vite, le poème devient le symbole de l’esprit de résistance. Depuis Londres, une nouvelle édition de Liberté paraît en français et est parachutée par les avions de la Royal Air Force en même temps que des munitions, des explosifs, des médicaments. En 1943, Francis Poulenc le met en musique dans sa cantate, « Figure humaine ». Le tapissier Jean Lurçat utilise des éléments du poème qu’il fait tisser clandestinement à Aubusson.
Dès 1942, les écrivains Pierre de Lescure et Jean Bruller (futur Vercors) décident de créer une maison d’édition clandestine qu’ils baptisent éditions de Minuit. Le premier ouvrage est celui de Jean Bruller Le Silence de la mer. Il paraît clandestinement en février 1942, imprimé à 300 exemplaires. Vingt-quatre autres titres seront édités, à environ 500 exemplaires chacun, jusqu’à la Libération. Certains, parvenus en Angleterre, sont réédités par les services d’information et de propagande de la France Libre puis parachutés en masse au-dessus de la France par les avions anglais.
(1)↑ Extraits de Charles de Gaulle, Discours et messages, volume 1, Plon, 1970, pages 301-303.
L’exposition en images :
Informations pratiques :
Pour plus d’infos : www.musee-resistance.com |
*Ce musée est soutenu notamment par les Conseils départementaux du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis, plusieurs villes limitrophes, le CRE-RATP, le CCE-SNCF et la CCAS.
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