Suite de notre chronique sur le fondateur d’EDF-GDF et du CCOS, ancêtre de la CCAS : dans le prolongement des discussions au sein de la CGTU, à laquelle Marcel Paul adhère en 1923, le jeune syndicaliste crée le premier centre des œuvres sociales du personnel ouvrier, employé et cadres des services publics de la région parisienne, situé rue de Bondy.
Marcel Paul, une vie
Découvrez en dix épisodes l’itinéraire d’un homme qui a durablement marqué la mémoire des électriciens et gaziers.
En 1923, Marcel Paul, qui vient d’entrer à Compagnie parisienne de distribution d’électricité, adhère à la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), fondée deux ans plus tôt par une scission de la CGT à l’initiative des communistes.
Les deux centrales font alors à peu près jeu égal : 524 000 militants à la CGT (dont 13 500 électriciens et gaziers) et 431 000 à la CGTU (dont 10 000 électriciens et gaziers, implantés principalement en région parisienne). Elles pratiquent un type de syndicalisme très différent : tourné vers l’influence et la négociation pour la première, vers les luttes et les confrontations pour la seconde.
Sanctionné pour son activité syndicale
L’activité syndicale de Marcel Paul lui vaut de sérieux soucis. Le 11 mai 1925, il reçoit un avertissement de la CPDE pour avoir abandonné volontairement son service afin de participer à la manifestation du 1er Mai. La sanction est renouvelée l’année suivante. En 1927, il est mis à pied cinq jours. Le 21 juillet 1929, il est arrêté, avec 95 autres militants communistes réunis à Villeneuve-Saint-Georges, et « inculpé dans le complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État ». Incarcéré à la prison de la Santé, il est remis en liberté provisoire le 2 août 1929. Les poursuites seront ensuite abandonnées.
Ce rude apprentissage de la lutte syndicale n’empêche pas le jeune électricien de développer une vision originale du syndicalisme. Lors de son congrès de Bordeaux en septembre 1927, la CGTU discute longuement la théorie du « syndicalisme à bases multiples », à savoir la réflexion sur les avantages que peut trouver un travailleur à se syndiquer (accès à une aide juridique, à des caisses de secours, des coopératives d’achat, des centres de soins, des activités sociales, etc.).
En pratique, ces discussions ne sont guère suivies d’effet, mais marquent profondément Marcel Paul. Comme le note l’historien Michel Dreyfus dans son « Histoire de la CGT », ce n’est qu’à partir de 1932-1933 que « cette orientation commence à être mise en œuvre par quelques syndicalistes communistes (Marcel Paul en est l’exemple le plus typique) dans la Fédération des services publics. Elle reste cependant marginale jusqu’au Front populaire ».
Des œuvres sociales gérées par les ouvriers
Dans les années 1930, Marcel Paul participe ainsi à la création, sous la houlette de la Fédération des services publics CGTU dont il est secrétaire, du centre des œuvres sociales du personnel ouvrier, employé et cadres des services publics de la région parisienne. Ce bâtiment situé 22 rue de Bondy (aujourd’hui rue René-Boulanger), proche de la Bourse du travail, comprend un dispensaire, un service d’aide juridique « renseignant gratuitement sur toutes questions intéressant prud’hommes, retraites, réformes, congés de maladie, etc. », et une coopérative d’achat qualifiée de « comité économique de lutte contre le mercantilisme ».
Marcel Paul a aussi versé en 1935 les 34 000 francs qu’il venait de toucher d’un héritage (sans doute celui de sa mère) pour l’édification de la clinique des œuvres sociales, coopératives et médicales de la CGTU, avenue Richerand dans le 10e arrondissement.
À ces œuvres sociales sous direction ouvrière s’opposent celles initiées par le patronat des entreprises énergétiques. La CPDE se montre particulièrement en pointe sur cette question. Elle loue par exemple un château dans la Sarthe qui accueille les colonies de vacances pour les enfants du personnel. L’entreprise dispose également d’un service médical, d’un sanatorium, et met à disposition du personnel cantines d’entreprise, terrains de jardinage ou bibliothèque.
Marcel Paul est particulièrement sensible à l’enjeu que représente pour les électriciens et gaziers la gestion ouvrière de leurs activités sociales. Comme il le dira à René Gaudy (« les Porteurs d’énergie », tome 1) : « Il fallait dans tous les domaines forger pour les travailleurs un moyen de se défendre. Il fallait disposer de médecins liés aux syndicats pour faire face aux médecins patronaux qui brimaient le personnel en cas de maladie ou d’accident du travail. Il fallait un groupement d’achat en commun pour mettre fin aux manœuvres des patrons qui tentaient d’entraîner les ouvriers et employés dans de pseudo-coopératives dont le but était de désagréger les sections syndicales. »
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1939-1941 : Un pionnier de la Résistance
Pour aller plus loin
« Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France », de Michel Dreyfus
Éditions Complexe, 1995, 416 p., 8,99 euros en version numérique.
« Les Porteurs d’énergie », tome 1, de René Gaudy
Le Temps des cerises, 2006, 362 p., 20 euros.
« Marcel Paul, un ouvrier au Conseil des ministres », de Nicolas Chevassus-au-Louis et Alexandre Courban
L’Atelier, 224 p., 18 euros.
Commander le livre : chez un libraire ou auprès de l’Institut d’histoire sociale Mines-Énergie : ishme@fnme-cgt.fr
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