Apprendre et jouer une pièce de théâtre, en quelques heures, devant sa famille : c’est la mission de l’association Les scènes appartagées, qui officie d’habitude à domicile, et dont l’atelier a enthousiasmé plusieurs jeunes enfants, les 4 et 5 mars au village vacances de Matemale (Pyrénées-Orientales).
« Je n’avais jamais fait de théâtre, mais comme papa et maman disent tout le temps que je suis bonne actrice, ils m’ont inscrite ! » Camille, 7 ans, venue de Marseille, participe en effet à un atelier lecture lors de ses vacances à Matemale (Pyrénées-Orientales). Accompagnée de Léonie, 7 ans elle aussi, elle choisit une pièce de théâtre parmi celles proposées par l’autrice jeunesse Bernadette Pourquié, que les deux bambines vont ensuite s’approprier et répéter, avant de les présenter à leurs parents.
« Ce n’est pas exactement ce que nous proposons d’habitude, mais il a fallu nous adapter, explique Bernadette Pourquié, intervenante de l’association Les scènes appartagées. Je suis contente, car les enfants se sont impliquées malgré le peu de temps à passer ensemble. »
D’habitude, justement, l’association passe plusieurs week-ends avec une famille, chez elle, pour lui faire découvrir et lire des textes de théâtre contemporain pour jeune public. Une fois maîtrisés par les membres de la famille, les textes sont lus devant des amis, des voisins, d’autres familles.
À Matemale, conditions sanitaires et vacances obligent, ce dispositif a été condensé durant les vacances, et ouvert aux seuls enfants. Les parents découvriront les textes dans la bouche des petits le jour même.
« La tête haute, les pieds campés dans le sol. Parle fort, mais sans crier. Baisse un peu la feuille, que l’on voit ton visage… Allez, on la refait ! » Dans ce cours accéléré, Bernadette Pourquié conseille, donne le tempo, propose sans rien imposer. La nuit est tombée, Camille et Léonie présentent « Mamamé », de Fabien Arca, ou l’histoire de cette grand-mère qui insiste, mais pas trop, pour que sa petite-fille prenne son bain afin de ne pas sentir « comme le chien ».
Le dialogue est dominé par les fillettes ; le ton y est, la gestuelle aussi. « Whouaf ! Whouaf ! » concluent-elles malicieusement avant de saluer parents, frères et sœurs.
« Une prof particulière durant deux jours »
Bernadette Pourquié prend aussi le temps d’échanger avec les adultes, puis enchaîne avec un autre atelier. Ils sont maintenant cinq, et ont entre 10 et 15 ans. Quatre ont déjà fait du théâtre. Posture, pieds au sol, fil de marionnette qui sort de la tête, voix forte et claire : les conseils techniques ressemblent à ceux que l’on donnerait à des pros… Les scènes appartagées se muent en actor studio.
Les pré-ados ont choisi leur texte, le découvrent et s’emparent de leur personnage ; ils et elles jouent, répètent, sont transportés dans un univers différent. Tous et toutes sont prêt·es pour le présenter durant la déambulation du lendemain. Il est 22 heures, on se souhaite bonne nuit.
Le lendemain, les jeunes ne sont plus que deux quand Bernadette rouvre la salle : Camille, évidemment, et Jasmine, 14 ans. Les autres sont excusés. Alors il faut revoir les plans, trouver un autre texte, choisir son personnage, stabiloter les passages du dialogue, lire, jouer, répéter, re-répéter.
Cette fois, l’histoire se passe sur un balcon et, par magie, dans la forêt amazonienne. Hubert, un philodendron qui parle, alerte sur la déforestation. Les filles sont habitées par leur rôle. Jasmine est vraiment à l’aise. « Elle écrit et joue des pièces à la maison » nous apprend, pas peu fière, sa maman qui vient d’arriver pour la représentation. « Je fais aussi de la musique, ça m’apporte beaucoup » assure la jeune fille qui s’estime « privilégiée d’avoir eu une prof particulière » durant ces deux jours.
« Une écriture et un univers artistique différents »
Midi. Il fait 5 degrés, le temps a viré au gris. Qu’importe, la petite troupe déambule autour du centre. À 1700 mètres, l’air est pur. Comme leurs voix qui s’envolent au-dessus des sapins. Après la cour extérieure et l’espace jeux, le dernier volet du spectacle s’achève au bord du lac.
Juliette Amariat, médiatrice culturelle à la CCAS, applaudit avec les parents. « J’avais hâte de voir cet atelier, mise en place un peu ‘au débotté’ pour ces vacances d’hiver particulières ; je suis assez agréablement surprise de sa réussite, confie-t-elle. En moins de deux heures, les enfants sont immergés dans l’histoire et nous la font vivre. Je trouve très bien de séduire les jeunes publics par la découverte de textes contemporains. Ça les sort, et ça nous sort de nos mondes. On entre dans une écriture et dans un univers artistique différents. »
Cette belle collaboration avec Les scènes appartagées amènera sans doute les vacanciers à réfléchir à cet échange culturel, et donc à ce qu’ils peuvent donner en retour. Pour Camille, ce sera une inscription dans une école de théâtre à la rentrée.
« Tous les enfants ont pris du plaisir »
Bernadette Pourquié, autrice jeunesse et intervenante pour l’association Scènes Appartagées, raconte comment se sont déroulés les ateliers à Matemale.
Le pari de mener un atelier de quelques heures avec uniquement des enfants est-il gagné ?
Bernadette Pourquié – Je le pense, oui ! Il me semble que tous les enfants y ont pris du plaisir. Proposer quelque chose qui pouvait paraître « aride » de prime abord, n’était pas simple, surtout en si peu de temps. J’ai essayé de travailler avec eux leur posture, les mouvements, la lecture à haute voix, l’apprentissage de petits bouts de textes.
Et je dois dire que je suis agréablement surprise ! Même ceux qui avaient des difficultés de lecture se sont dépassés. J’ai senti qu’ils étaient tous rentrés dans leur personnage. Ce n’était pas gagné d’avance, avec un temps limité et l’incertitude du nombre de participants.
Comment vous y êtes-vous prise pour ces deux journées ?
B. Pourquié – J’ai proposé aux enfants plusieurs textes, en leur résumant chaque pièce en quelques phrases. J’ai tenté de leur transmettre l’univers de chaque histoire. J’avais plein de pièces chouettes présélectionnées par l’association, et j’ai pu affiner mes choix puisque je n’avais pas affaire à des familles entières. J’ai dû improviser aussi, avec le jeu des inscriptions et des annulations de dernière minute. J’ai d’ailleurs dû changer tous mes plans le vendredi matin pour la déambulation, car seulement deux enfants au lieu de cinq étaient présents !
Que vous inspire l’enthousiasme de ces enfants ?
B. Pourquié – Ils ont manifesté une motivation qui faisait plaisir à voir. Ça m’a rappelé des souvenirs, je me suis revue à leur âge, même si je n’ai pas eu la chance ni l’occasion d’être sensibilisée au théâtre. C’est bon de savoir qu’il est encore possible d’intéresser les enfants à la culture, malgré des discours alarmistes sur leur désintérêt. Je le ressens lors de mes interventions au sein de groupes scolaires autour du livre.
Alors oui, c’est vrai que l’approche peut être parfois laborieuse, tous les enfants ne sont pas d’emblée intéressés par la lecture. Mais c’était vrai autrefois aussi ! Et on voit qu’il est toujours possible ‘d’accrocher’ à la lecture par le biais de l’imaginaire.
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