Montée des eaux, sécheresse, cyclones… Nous serons bientôt des dizaines de millions à devoir quitter notre pays d’origine pour échapper aux conséquences du réchauffement climatique. Oui, mais pour aller où ?
Quel rapport entre les habitants des îles Halligen, au nord de l’Allemagne, et ceux du sud du Vietnam, de l’Alaska ou du Tchad ? Tous risquent fort – et certains ont déjà commencé à le faire – de devoir dans les prochaines décennies émigrer pour fuir les conséquences du réchauffement de la planète : élévation du niveau de la mer, intensification des tempêtes tropicales, fonte du permafrost et désertification.
Les agences de l’ONU estiment que plusieurs dizaines de millions de personnes sont déjà contraintes à la fuite chaque année du fait des conséquences du réchauffement, avec un record de 40 millions en 2017. Un chiffre qui devrait être multiplié par dix d’ici à 2050.
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Tous les continents sont vulnérables
Selon l’ONG norvégienne Internal Displacement Monitoring Centre, les quatre cinquièmes des personnes fuyant chaque année les conséquences du réchauffement climatique vivent aujourd’hui en Asie. La Chine, l’Inde, le Bangladesh et les Philippines sont les pays les plus concernés par la montée des eaux entraînant la salinisation des terres agricoles, et les crues et glissements de terrain résultant de la fonte des neiges de l’Himalaya. La vulnérabilité de l’Asie résulte aussi de la concentration de sa population dans les régions littorales, les plus exposées à l’élévation du niveau de la mer. Mais l’Europe subira certainement aussi au cours du XXIe siècle ces conséquences. Sont particulièrement exposés les Pays-Bas, dont plus de deux tiers de la surface sont situés en dessous du niveau de la mer.
Que deviendront ces réfugiés climatiques ? La question est au cœur de négociations internationales encore balbutiantes, mais amenées à monter en puissance. La convention dite de Genève, signée en 1951, constitue le texte fondateur en matière de droit international des réfugiés. Une de ses dispositions centrales est de qualifier de « réfugiée » toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques [qui] se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ». Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU est chargé de mettre en œuvre cette disposition du droit international, fondatrice du droit d’asile. Mais, ainsi que le souligne Christel Cournil, juriste à l’université Paris XIII, « cette formulation juridique, pensée dans le contexte de la guerre froide principalement pour donner un statut juridique aux personnes ayant fui les régimes communistes de l’est de l’Europe, ne peut que très difficilement s’appliquer aux actuels et futurs réfugiés climatiques du XXIe siècle ».
Une pluralité de facteurs
La formulation juridiquement acceptée à l’échelle internationale du réfugié est ainsi incapable de rendre compte de la pluralité des raisons qui conduisent à fuir son domicile à l’heure du dérèglement climatique global. Il y a des cas simples, par exemple les habitants de l’Alaska qui quittent leur village à cause de la fonte du permafrost ou ceux de Vanuatu qui fuient leur île menacée de submersion. Mais, dans leur immense majorité, les réfugiés climatiques fuient à cause d’une pluralité de facteurs, dont le réchauffement n’est qu’un élément.
Il arrive même, comme souvent avec les migrants originaires du Bangladesh (deuxième pays d’origine des migrants traversant la Méditerranée), qu’ils ne l’évoquent pas quand on les interroge sur les raisons de leur migration. Ils parlent de surpâturage, d’urbanisation incontrôlée, d’inondations dévastatrices, mais pas de climat. « Le concept de réfugié climatique est typiquement une idée du Nord, qui est moins exposé aux conséquences actuelles du réchauffement que le Sud », souligne Christel Cournil. Elle poursuit : « Au sens juridique, un réfugié est quelqu’un qui, comme le définit la convention de Genève de 1951, a franchi une frontière pour fuir une persécution politique. Par conséquent, le terme même de ‘réfugié climatique’ est peu pertinent, car on sait que l’immense majorité des gens qui fuient les conséquences du réchauffement climatique le font au sein des frontières de leur État, par exemple en quittant les campagnes pour les villes. »
Autre facteur compliquant l’application de l’actuelle définition du réfugié : il est fréquent que des personnes menacées dans leur mode de vie par les conséquences du réchauffement quittent leur logement de manière préventive, avant même d’en avoir été victimes. Dès lors, elles n’entrent plus dans la définition juridique du réfugié, car il ne s’agit plus d’une migration relevant de la catégorie des migrations forcées.
Une diplomatie internationale limitée
Quelles sont les pistes pour avancer dans cette question qui, nul n’en doute, sera incontournable au XXIe siècle ? L’initiative Nansen (du nom du diplomate norvégien qui imagina dans les années 1920 une solution diplomatique originale pour doter de passeports les ressortissants d’États disparus, comme l’Autriche-Hongrie, ou ceux d’États ne souhaitant plus les reconnaître, comme l’URSS avec les Russes blancs) regroupe neuf pays plaidant pour que des négociations soient entamées pour l’adoption d’une convention internationale définissant les obligations des États à l’égard des réfugiés climatiques.
En sont notamment membres la Suisse, la Norvège, l’Allemagne, le Bangladesh et les Philippines ; soit des États connus pour leur engagement philanthropique dans la diplomatie internationale ou particulièrement exposés aux conséquences du réchauffement. À l’échelle des négociations internationales, l’initiative Nansen, appuyée par nombre d’ONG, semble bien isolée. Une approche, portée par les pays anglo-saxons, préconise de ne pas adopter de texte juridique international contraignant, mais de procéder au cas par cas. Une autre argumente au contraire en faveur d’un texte spécifique dédié aux réfugiés climatiques. Les débats ne font que commencer, mais l’urgence est là.
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