Le musée de l’Homme à Paris, dans sa première exposition temporaire depuis sa rénovation, s’attaque aux sources du racisme et donne des clefs pour comprendre ce processus à l’œuvre.
« Tous les hommes sont égaux en droits », dit la loi. « Les races humaines n’ont pas de légitimité scientifique », dit la génétique. Et pourtant, les comportements racistes persistent, les préjugés résistent. Comment devient-on raciste ? Exposition engagée et citoyenne, « Nous et les autres. Des préjugés au racisme » montre par un double éclairage scientifique et historique comment le processus du racisme est le résultat d’une construction sociale.
Déconstruire les idées reçues
Le racisme est le résultat d’un processus collectif qui se développe en plusieurs étapes : la catégorisation, la hiérarchisation et l’essentialisation. Après avoir traversé le cylindre des catégories où sont projetées des scènes de la vie quotidienne, le visiteur range les inconnus de la rame de métro, de la terrasse d’un café, dans des catégories : homme, femme, Noir, Blanc, employé, cadre, jeune de banlieue, bobo…
« Le cerveau a besoin d’ordonner le monde en faisant des catégories », explique l’historienne Carole Reynaud-Paligot, co-commissaire de l’exposition. « La catégorisation est un processus cognitif universel qui consiste à réunir dans des catégories des éléments que l’on considère de même nature », précise Évelyne Heyer, anthropologue généticienne et également commissaire de l’exposition. Si on hiérarchise ce mécanisme, il peut glisser alors dans des images figées et se réduire à des stéréotypes.
Dans le hall de l’aéroport reconstitué, les dispositifs multimédia invitent à explorer ses propres idées reçues et interroger la construction des stéréotypes. Comment à partir de clichés se développent des comportements de rejet de l’autre ?
Des préjugés au racisme, il n’y a parfois qu’un pas. Les catégories deviennent inégales quand, comme l’affirme l’historienne, « on attribue à ces différentes catégories des traits non seulement physiques mais aussi des caractéristiques intellectuelles et morales, qu’on les fige, qu’on les essentialise, qu’elles deviennent immuables », là des comportements racistes peuvent apparaître.
Au passage des portiques, des voix provenant de haut-parleurs affirment : « T’es un voleur, toi. C’est évident ! » « Et toi, tu es riche, non ? » Comment faire pour que l’éventuel préjugé ne débouche pas sur une pensée raciste ? Le visiteur prend la mesure des processus de catégorisation, de hiérarchisation et d’essentialisation à l’œuvre dans la fabrique du racisme « ordinaire ».
Hier et aujourd’hui
Une rotonde, trois cubes, quatre espaces explorent la construction scientifique de la notion de « race ». À travers objets, vidéos et images d’archives, ils abordent la dimension historique avec l’institutionnalisation par l’État du racisme : colonialisme, esclavagisme, ségrégation raciale, nationalisme… La perspective historique permet de voir que les populations visées par le racisme ne sont pas toujours les mêmes.
Dans le couloir aux 24 questions, le visiteur transite entre passé et présent. Toutes ces interrogations trouvent des tentatives de réponses comme autant de pistes d’exploration, de compléments d’informations, dans les quatre dernières salles de l’exposition. Au croisement de l’anthropologie, de la biologie, de la sociologie et de l’histoire, l’exposition s’appuie sur des études menées par les chercheurs en sciences sociales et du vivant.
« Nous appartenons tous à la même espèce ‘Homo sapiens’, biologiquement homogène », déclare l’anthropologue. Fin de ce parcours immersif, le visiteur traverse le mot « Égalité » écrit en 3D. « Nous et les autres » est une exposition incontournable pour aller vers l’autre au-delà des apparences, mieux vivre ensemble en dépassant les préjugés.
À lire « Nous et les autres. Des préjugés au racisme », catalogue de l’exposition, collectif sous la direction d’Évelyne Heyer, professeur en anthropologie génétique au Muséum national d’histoire naturelle, et de Carole Reynaud-Paligot, historienne à l’université Paris-I et à la MSH-Paris Nord, commissaires scientifiques de l’exposition. Coédition : Muséum national d’histoire naturelle / Éditions la Découverte.19,90 €. « Ta race ! Moi et les autres », livre jeunesse, textes de Marie Desplechin, avec la collaboration d’Évelyne Heyer et Carole Reynaud-Paligot, illustrations de Betty Bone, enrichies d’œuvres d’art, archives et photographies documentaires. Coédition : Muséum national d’histoire naturelle / Éditions Courtes et longues. 19,50 €. |
Informations pratiques
« Nous et les autres », jusqu’au 8 janvier 2018.
Musée de l’Homme, 17, place du Trocadéro, Paris 16e.
Tél. : 01 44 05 72 72.
Ouvert tous les jours (sauf le mardi), de 10 à 18 heures.
Billet disponible dans l’espace Culture et loisirs 5,50 € au lieu de 10,00 €