En dépit des difficultés récurrentes que rencontre le chantier de Flamanville, des décisions seront bientôt prises pour renouveler le parc électronucléaire français en construisant des centrales de troisième génération, de type EPR. Des investissements à long terme, seule échelle viable pour une telle puissance industrielle.
La filière nucléaire française, forte de 220 000 salariés et de quelque 5 000 entreprises, s’apprête à vivre des années décisives, marquées par la fermeture de la centrale de Fessenheim et l’entrée en service, fin 2022, de celle de Flamanville, symbole du passage d’une génération de centrales à l’autre. Surtout, Emmanuel Macron a demandé à EDF de travailler à « l’élaboration d’un programme de nouveau nucléaire » qui devra être prêt pour 2021. L’avenir du nucléaire sera ainsi un des enjeux de la prochaine élection présidentielle.
« Une phase de réapprentissage »
De prime abord, les retards à répétition et l’explosion du coût du chantier de l’EPR (European Pressurized Reactor) à Flamanville, dont la mise en service est à présent annoncée pour la fin 2022, pèsent lourdement sur l’avenir de la filière nucléaire française. Un audit extérieur est en cours pour expliquer les difficultés récurrentes du projet. « On est clairement dans une phase de réapprentissage. On a recommencé à construire des centrales nucléaires il y a une dizaine d’années après s’être arrêté pendant quinze ans », a reconnu le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy (cité dans « le Figaro » du 19 juin 2019).
Tous les observateurs de la filière en conviennent : un savoir-faire industriel a été perdu, faute de transmission, à tous les niveaux, ouvriers, techniciens et ingénieurs. EDF a ainsi dû ouvrir son propre centre de formation des soudeurs à Flamanville, renouant avec la tradition des écoles de métiers de l’entreprise. Et les métiers du nucléaire peinent à attirer : en quelques années, EDF a constaté une diminution de 30 % du nombre de candidatures reçues pour les offres d’emplois dans les centrales, tant au niveau de la maîtrise que de l’exécution.
Une organisation du travail faisant une place croissante à la sous-traitance est aussi responsable des difficultés de Flamanville. Dans les chantiers des années 1970 et 1980, les agents EDF certifiant, étape après étape, les travaux, les avaient souvent menés eux-mêmes quelques années auparavant, ce qui leur donnait une expertise sans pareille. C’est beaucoup plus rarement le cas aujourd’hui.
Parfois, le contrôle qualité est même sous-traité à des prestataires extérieurs. Ce recours massif à la sous-traitance (450 salariés EDF sur les 3 000 salariés du site de Flamanville, relevant de plusieurs conventions collectives) aggrave aussi les conditions de travail, en particulier en matière d’hygiène et de sécurité.
Une technologie attractive
Pourtant, la technologie EPR est au point, et pleine d’avenir. Ses garanties de sécurité, déjà améliorées par rapport aux centrales de seconde génération, ont été renforcées suite à l’accident de Fukushima (ce qui constitue une autre cause du retard du chantier de Flamanville, les plans de construction ayant été revus après l’accident).
En Chine, le réacteur EPR Taishan 1, d’une puissance de 1 750 MW (soit 100 de plus que celui de Flamanville, coconstruit par EDF), est en service depuis un an. En Finlande, un autre EPR va entrer en service d’ici à la fin de l’année. Au Royaume-Uni, deux autres sont en construction, et des projets sont en discussion en Inde, preuve que la technologie de l’EPR est attractive.
Tout l’enjeu est donc de décider du calendrier du remplacement de l’actuel parc électronucléaire français, dans un contexte législatif de diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique français ramenée à 50 %. Pour la Société française d’énergie nucléaire, la décision de lancer la construction de nouveaux réacteurs doit impérativement être prise en 2021, pour avoir les premiers EPR 2, intégrant le retour d’expérience des chantiers en Chine et en Finlande, « en fonctionnement autour de 2035 afin de pouvoir prendre le relais du parc actuel ».
EDF s’y prépare en toute discrétion, travaillant à la demande du gouvernement sur l’étude de six futurs réacteurs EPR. Cet été, un appel d’offres a d’ailleurs été publié pour la construction des bâtiments ayant vocation à accueillir deux EPR 2 sur le site de la centrale de Penly, en Normandie.
Une puissance à long terme
On le voit, le nucléaire est une industrie qui se réfléchit à l’échelle de plusieurs décennies. De fait, le capitalisme financiarisé, obsédé par la rentabilité à court terme, est incapable d’appréhender ce temps long. Seule la puissance publique est capable de planifier une politique industrielle et les investissements nécessaires sur une telle temporalité. Le projet Hercule visant à démanteler EDF pour des raisons purement financières ne sera pas de nature à renforcer cette nécessaire vision stratégique que porte un service public de l’énergie.
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Vers des mini-réacteurs nucléaires ?
La Russie vient de mettre en service, en Sibérie orientale, la première centrale nucléaire flottante, installée sur une barge. D’une puissance de 35 MW, elle repose sur la technologie des « small modular reactors » (SMR), que nombre d’experts considèrent comme un des avenirs possibles de la filière nucléaire.
Conçus pour être produits en série et faciles à assembler, les SMR sont adaptés à la production d’électricité dans des régions éloignées des réseaux, mais aussi au chauffage urbain, à la désalinisation de l’eau de mer, au raffinage d’hydrocarbures ou encore à la production d’hydrogène. L’Agence internationale de l’énergie recense aujourd’hui dans le monde plus de 50 projets de SMR.
En France, le CEA, EDF, Naval Group et TechnicAtome travaillent à la conception d’un SMR de 170 MW baptisé Nuward. Mais aucune date n’est encore fixée pour la construction d’un prototype.
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Par Patrick Durand, président de l’Institut Énergie Développement
« La décision d’abandonner le projet Astrid (Advanced sodium technological reactor for industrial demonstration) de construction d’un prototype de réacteur à neutrons rapides a été prise au niveau ministériel. C’est un très mauvais signal envoyé à la filière nucléaire.
En effet, le projet Astrid, lancé en 2006, visait à garantir l’indépendance technologique française dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides qui permettront un jour de boucler le cycle du combustible en le recyclant sans fin. Les travaux du projet Astrid avaient permis, au sein du CEA, d’EDF et de Framatome, de reconstituer des compétences reposant sur de jeunes ingénieurs en lien avec ceux de la génération Phénix-Superphénix et de commencer à restaurer un tissu industriel spécialisé.
L’abandon d’Astrid est un nouveau symptôme de l’organisation de la désindustrialisation de la France, comme on l’a déjà vu dans la métallurgie autour d’Alstom et du Creusot. »
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Dispositifs n’existant ni sur les réacteurs à eau bouillante japonais ni sur les réacteurs français actuels, dits de 2e génération.
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