La pièce « On n’est pas que des valises », programmée par les CMCAS de Toulouse et Aude-Pyrénées Orientales, raconte à un public conquis l’épopée des ouvrières de Samsonite – en chair et en os sur les planches – contre le fonds d’investissement qui en était propriétaire. Un régal !
Il ne restait plus une seule place libre dans la salle de théâtre de l’Espace Job à Toulouse, pour assister à « On n’est pas que des valises », pièce qui retrace le combat des ouvrières de l’usine Samsonite d’Hénin-Beaumont contre le fonds de pension américain Bain Capital depuis 2007, après que 205 ouvrières sont licenciées sans indemnités. Ce sera la 74e fois que sept ouvrières montent sur les planches dans la Ville rose avec la compagnie Atmosphère Théâtre.
« Cette pièce a tenu l’affiche pendant vingt-cinq jours au Festival d’Avignon en 2018 », explique Séverine Dougnac, responsable études et développement à la CCAS en Occitanie à l’origine de la programmation de la pièce. C’est elle qui s’est démenée pour que ce spectacle « XXL », la programmation la plus importante jamais envisagée à ce jour avec une troupe de 16 personnes, vienne à Toulouse le 19 juillet, puis au Palais des congrès de Gruissan, dans l’Aude, deux jours plus tard.
« C’est notre histoire, notre vécu. On a la rage ! »
« On a eu de beaux retours d’Avignon », se souvient Renée Marlière, opératrice de fabrication chez Samsonite pendant dix-neuf ans. Pas facile pour ces femmes de franchir le pas et de monter sur scène. « On avait la boule au ventre, continue Annie Vandesavel, chef d’équipe pendant vingt-trois ans. On ne savait pas si ça marcherait dans une autre région que la nôtre. »
La journaliste et réalisatrice Hélène Desplanques ne s’est pas trompée quand elle a décidé de confier les rôles principaux aux « Samsonites » elles-mêmes. Personne mieux qu’elles pouvaient jouer ce rôle. « C’est notre histoire, c’est notre vécu, affirme Renée. On a la rage ! »
Sur scène, elles rejouent leur combat, leurs illusions, leurs craintes aussi, le tout avec une bonne dose d’humour et une incroyable présence scénique. Tout y est, jusqu’à Mitt Romney, l’un des cofondateurs de Bain Capital, la holding qui détenait Samsonite au moment du licenciement, alors en campagne contre Barack Obama, campé par un formidable comédien.
Le scénario semblait parfait : Bain Capital cédait Samsonite à un repreneur factice, qui la liquidait au bout d’un an, évitant ainsi le plan de reclassement et une mauvaise image. Sauf que les ouvrières vont se battre. En 2008, elles remporteront leur procès aux prud’hommes en France, et obtiendront entre 15 000 euros et 60 000 euros chacune selon l’ancienneté, mais perdront pour cause de prescription leur procès outre-Atlantique, où elles voulaient faire reconnaître la responsabilité de Bain Capital par la justice américaine.
Une belle opportunité de montrer, selon leur avocat Fiodor Rilov, que « la mondialisation, c’est aussi la mondialisation de la résistance des salariés », et qu’il faut porter le combat « là où se trouvent les financiers ». Elles y retournent en 2014 pour manifester avec des ouvriers américains victimes du même fonds d’investissement. « Des ouvrières qui n’avaient jamais pris l’avion sont allées deux fois aux États-Unis », souligne Hélène Desplanques.
De retour en France, une autre douche froide les attend. Steeve Briois, candidat Front national, remporte les élections municipales. « Lorsque l’extrême droite s’installe à la mairie d’Hénin-Beaumont, ajoute la metteuse en scène, on s’est demandé : qu’allons-nous faire de toute cette belle énergie accumulée durant ces années ? » Il s’était passé tellement de choses extraordinaires, confie-t-elle, que « je leur ai proposé d’écrire cette pièce de théâtre, dont la mise en scène a été assurée par Marie Liagre ».
Une nouvelle audience en septembre
Douze ans après, alors que seul un tiers des ouvrières a retrouvé un CDI – les autres galèrent de CDD en mission d’interim, voire sont au RSA –, l’histoire continue de vivre sur les planches. Les ouvrières ont constitué l’association AC Samsonite pour représenter les salarié·es – il y avait quelques hommes au sein de l’entreprise – mais aussi pour leur apporter un soutien moral et financier. Elles organisent notamment des lotos pour récolter des fonds et venir en aide aux licencié·es en difficulté.
De son côté la justice suit toujours son cours. Une nouvelle audience aura lieu en septembre devant le tribunal de grande instance de Paris, qui pourrait déboucher sur de nouvelles indemnités. La pièce, quant à elle, s’arrêtera définitivement de tourner en 2020.
En attendant, partout où elle est jouée, le public applaudit à tout rompre et, le temps de la représentation, fait sien le combat de ces femmes. Durant le débat qui suit la représentation, une femme prend le micro. Elle est d’Hénin-Beaumont, a reçu la même éducation que ces ouvrières, et remercie l’ascenseur social qui lui a permis de s’en sortir : « Je mesure à quel point cela a dû être dur pour vous de prendre la parole en public, de monter sur scène. Et vous, vous avez fait tout ça. C’est énorme ! » Sur scène et dans la salle l’émotion est là, palpable. « J’avais honte de dire que j’étais d’Hénin-Beaumont, aujourd’hui vous m’avez rendu ma fierté. »
Un partenariat qui a du sens
En jouant à l’Espace Job de Toulouse, la pièce croise les destins des Samsonites avec celui des salariés de l’usine papetière Job, qui se sont âprement battus, d’abord contre les restructurations de Bolloré qui avait racheté leur usine papetière en 1986, puis contre les malversations et les abus de biens sociaux des repreneurs successifs. S’ils ont perdu ce bras de fer, ils ont réussi à sauver une partie de l’usine des mains des promoteurs, un bâtiment Art déco des années 1930, qui est devenu un centre culturel, l’un des plus actifs de Toulouse.
« Aujourd’hui, nous avons une convention d’occupation gratuite, explique Anne Péré, présidente du collectif Job qui réunit des anciens salariés et des habitants du quartier et gère l’Espace. Il y a une salle de théâtre, un cinéma, une piscine et une école de musique. « La question de l’éducation populaire est très importante pour nous, c’est pourquoi nous aimerions continuer notre partenariat avec la CMCAS sur des spectacles engagés. »
La Ligue de l’enseignement 31, le comité d’établissement régional (CER) cheminots Midi-Pyrénées, la mairie de Gruissan pour la mise à disposition gratuite du lieu, Campéole et Cévéo, qui ont hébergé et nourri la troupe à Gruissan, sont également partenaires de cet événement.
Vous y étiez, vous racontez
Propos de bénéficiaires de la CMCAS Aude Pyrénées-Orientales recueillis à l’issue de la représentation à Gruissan.
« Extraordinaire, cette mise en scène qui t’embarque dans l’univers des Samsonites. On sourit beaucoup, il y a des moments qui te tirent les larmes et d’autres où tu ris. » Isabelle Caffenne, 43 ans, agent Engie et technicienne séjour activité à la CCAS d’Occitanie.
« C’est émouvant et sincère. Ces ouvrières nous entraînent dans leur quotidien, avec humilité, elles n’ont pas fait de théâtre. Elles nous bouleversent, tout en restant très dignes. » Séverine Péguillet, 50 ans, sa conjointe, sans emploi.
« Je n’ai pas l’habitude de voir ce type de spectacle. On craignait un peu que ce soit rébarbatif, mais c’est bien tourné. C’est vraiment une pièce marquante. » Olivier Cordesse, 56 ans, agent EDF et assistant séjour activité à la CCAS d’Occitanie.
« Elles ont beaucoup de courage et de mérite. On ressent bien leur émotion et leur combat, j’aurais aimé en apprendre davantage sur la réalité de leur quotidien. » Annie Cordesse, sa conjointe, sans emploi.
Pour aller plus loin
Hélène Desplanques a réalisé deux films sur les ouvrières de Samsonite : « Liquidation totale » qui retrace leur combat jusqu’en 2014 et « Cour d’honneur » qui raconte leur séjour à Avignon et pose la question de l’accès à la culture pour tous.
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