Pionnier dès 2015 dans l’accueil de migrants évacués de Calais, ce centre de vacances CCAS de la Haute-Vienne a été relayé par la municipalité, qui continue de loger une cinquantaine d’Érythréens, de Soudanais ou d’Afghans dans son village de gîtes. Rencontre avec les acteurs de cette riche aventure solidaire.
Le train corail aux vitres couvertes de givre file à travers les paysages enneigés. Après quatre heures et quelques péripéties ferroviaires dues aux intempéries, nous arrivons à Limoges (Haute-Vienne). C’est là que nous retrouvons Patrick Stoop, le président de la CMCAS Limoges, qui va nous conduire à Peyrat-le-Château, un petit village de 1 000 habitants jouxtant le lac de Vassivière, dont le centre de vacances de la CCAS a été l’un des premiers à accueillir des migrants en provenance de Calais. Cette route, Patrick la connaît bien. En 2015 et 2016, il a avalé les 60 kilomètres qui séparent Limoges de Peyrat plusieurs fois par semaine durant les six mois qu’a duré l’hébergement d’une trentaine d’hommes en provenance du Soudan, d’Érythrée, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran ou du Gabon.
« Quand nous avons été sollicités par l’État et la CCAS, explique Patrick Stoop, nous avons tout de suite réagi positivement. Un état des lieux a été réalisé, nous avons réuni toutes les conditions pour que ces personnes qui avaient des parcours éprouvants puissent trouver dans notre centre de vacances le meilleur confort de vie possible, précise le jeune président de la CMCAS qui entame son deuxième mandat à Limoges. Mais nous ne voulions pas nous substituer à l’État qui, par l’intermédiaire de son prestataire Adoma, était chargé de la gestion de notre établissement, transformé pour l’occasion en centre d’accueil et d’orientation (CAO). »
Ça, c’est pour la théorie. Dans la pratique, Patrick a pris très à cœur le bien-être des exilés qui arrivaient en car de Calais, souvent tard dans la nuit et tout à fait déboussolés : « C’était parfois très dur, ils n’avaient pas renoncé à leur intention de se rendre en Grande-Bretagne et ne savaient pas où ils se trouvaient. Certains ne voulaient pas descendre du bus, d’autres sont repartis à pied dès le lendemain ou les jours suivants… On avait affiché une carte de France au mur pour qu’ils puissent se repérer. » Les premiers jours, alors que les services responsables de l’accueil étaient un peu dépassés, le président de la CMCAS a aussi veillé à ce que les personnes hébergées puissent manger chaud, il a fait le lien avec les associations qui les informaient sur leurs droits et a relayé des appels aux dons du Secours populaire français (Spf). Une fois les migrants arrivés, il en a informé les bénéficiaires via une communication dans le journal de la CMCAS. « Leurs réactions ont été positives à la quasi-unanimité », lâche-t-il dans un sourire.
Et si c’était à refaire ? « On en discuterait en conseil d’administration, mais pour ma part je serais bien sûr partant ! Le seul regret que j’ai finalement c’est de ne pas avoir fait suffisamment d’activités en commun avec eux. C’est un peu frustrant d’avoir pour seule mission de leur assurer un cadre de vie propice alors que nous avons tant de belles valeurs à leur transmettre… Ou à partager. »
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Vivre avec les « garçons du CAO »
Passé les premières semaines, semaines durant lesquelles il y a eu beaucoup de roulement, un groupe d’une trentaine d’hommes a commencé à prendre ses marques dans les locaux du centre de vacances. Jocelyne Fermigier, la responsable de l’antenne locale du Spf, se souvient : « Notre premier contact avec eux a été de leur fournir un kit d’hygiène et des vêtements chauds, mais ensuite nous avons appris à nous connaître. Nous avons organisé des randonnées dans les environs pour qu’ils découvrent la région. C’était l’occasion de se parler en toute liberté, de leur expliquer le mode de vie des gens d’ici, les règles de bienséance, etc. Et puis nous avons fêté Noël tous ensemble avec nos bénéficiaires au centre de vacances de la CCAS. »
Autant de moments partagés qui font des « garçons du CAO », comme les appellent les Peyratois.es, des habitants à part entière du village. « Ils ont toujours un sourire, un bonjour quand ils croisent quelqu’un, ils participent aux événements de la commune et sont toujours disponibles pour donner un coup de main. D’ailleurs, c’est bien dommage que leur statut ne nous permette pas de les embaucher… », souligne Dominique Baudemont, le premier adjoint au maire de Peyrat-le-Château. Fort des valeurs issues de son passage par l’École des métiers EDF-GDF de Saint-Étienne-de-Montluc, cet ancien gazier a permis aux réfugiés de rester sur place quand, au printemps, les locaux de la CCAS ont dû être libérés pour accueillir des colos.
« Ils nous ont raconté des choses difficiles à entendre. C’est pourquoi nous avons été attentifs à leur apporter non seulement des soins médicaux mais aussi un soutien psychologique pour ceux qui en avaient besoin. »
« Certains étaient en cours de demande d’asile, d’autres, ‘dublinés’ [c’est-à-dire ceux qui, en vertu du règlement Dublin, ne peuvent demander l’asile en France, mais doivent le faire dans le premier pays européen où ils ont été contrôlés, ndlr], étaient en attente de solutions… Les renvoyer sur les routes aurait conduit à détruire le fragile équilibre de vie qu’ils étaient en train de tenter de reconstituer ici. C’est pourquoi, après en avoir discuté au conseil municipal et avoir organisé une réunion publique à ce sujet, nous avons mis à leur disposition le village de gîtes de la commune. »
Évidemment tout n’a pas été simple, car les réfugiés qui vivaient ensemble dans le grand espace collectif qu’est la colo de la CCAS ont eu un peu de mal à s’acclimater à leur nouveau cadre de vie : des gîtes de 4 à 5 personnes, où ils doivent s’organiser de manière plus autonome. La mairie a fait son possible pour leur apporter au plus vite une connexion à Internet, car c’est un lien vital avec leurs proches. « Ils nous ont raconté des choses difficiles à entendre, témoigne Dominique Baudemont. C’est pourquoi nous avons été attentifs à leur apporter non seulement des soins médicaux mais aussi un soutien psychologique pour ceux qui en avaient besoin. »
L’adjoint au maire a également tout mis en œuvre pour qu’ils puissent avoir accès aux transports, notamment pour se rendre à des rendez-vous administratifs. Et pour ce qui est des activités collectives, il y a bien sûr le sport et plus particulièrement le football qu’ils pratiquent presque tous avec virtuosité depuis que, grâce à une dotation de la fondation du PSG, le Secours populaire a acquis pour eux des équipements complets et même des licences pour jouer en club.
Se rencontrer autour des mots
« Ils sont aussi tous très assidus au cours de français », précise Anne Moncey, enseignante à la retraite, qui coordonne le bataillon de professeurs bénévoles qui se relaient pour apprendre le français aux arrivants. Dans une salle de la mairie, ils sont en effet une quinzaine, tous très concentrés, en train de découper des images correspondant aux mots et aux situations qu’ils doivent désigner en français. Une tâche qui nécessite confiance et méthode puisque non seulement les enseignants ne parlent pas leurs langues maternelles respectives, mais aussi parce que les élèves ont un niveau scolaire très hétérogène : certains sont analphabètes car ils n’ont jamais eu la possibilité d’aller à l’école dans leur pays, d’autres ont un niveau universitaire.
« Avec ceux qui n’ont jamais tenu un crayon de leur vie, on fait surtout de l’oral, avec les autres on effectue un travail plus poussé, certains élèves ont pu obtenir un niveau de français suffisant pour pouvoir s’inscrire à l’université et reprendre leurs études, poursuit Anne, fière du « travail de fourmi » accompli par ses équipes. On est parfois triste de les voir partir, mais quand c’est pour un meilleur avenir on se réjouit pour eux et on accueille les suivants… Grâce à nos élèves, on a pu voyager sans quitter notre village, on se sent plus riches. »
Un sentiment partagé par Jocelyne qui a elle-même aussi beaucoup voyagé et ne cache pas son admiration pour ces jeunes gens qui ont tous eu des parcours extrêmement traumatisants. « Je ne suis pas sûre que, dans leur situation, j’aurais eu leur courage et leur détermination », sourit celle que tous appellent « Mama ». Certains ont dû quitter leur épouse et leurs enfants. « Quand je vais leur rendre visite avec mes petits-enfants, ils s’en occupent et jouent beaucoup avec eux, je sens alors que leur vie de famille leur manque cruellement », poursuit Jocelyne. L’espoir de presque tous est de pouvoir un jour s’établir ici et de faire venir leur femme et leurs enfants, mais cela peut prendre plusieurs années…
Destins précaires
C’est ce qui transparaît de notre conversation avec Adam, 31 ans, qui a dû fuir la guerre au Soudan en 2006 en laissant derrière lui son épouse et son fils de 4 mois. Après un voyage de plusieurs années qui l’a conduit en Libye où il a connu de terribles épreuves, il a tenté la traversée de la Méditerranée dans une embarcation de fortune : quatre jours et quatre nuits d’horreur durant lesquels 25 passagers sont morts… avant que les survivants ne soient recueillis par un navire qui les a déposés en Italie. Adam raconte ensuite les longs jours de marche pour rejoindre le sud de la France, l’épuisement, la maladie qui le conduira à l’hôpital, puis enfin le train au départ de Nice pour Paris puis Calais, où faute d’avoir pu rejoindre l’Angleterre, il finit par monter dans un bus, en 2016, direction Peyrat-le-Château, alors que la « jungle » est en train d’être vidée de ses habitants par les forces de l’ordre.
Ici, très heureux de pouvoir aller à l’école et d’apprendre le français qu’il commence à maîtriser, il a souhaité déposer une demande d’asile en France. Après un premier rejet, il est en attente de la décision de la cour d’appel. Son rêve : intégrer une école de cuisine et travailler ensuite dans un restaurant, pourquoi pas dans la région, où il a commencé à tisser des liens d’amitié. Et bien sûr faire venir sa femme et son fils qu’il n’aura pas vu grandir…
Demandeur d’asile soudanais, Adam vit avec trois compatriotes dans un logement mis à disposition dans le village de vacances communal, où il prépare le thé à ses visiteurs.
Pour Razakhan et Samivlhaq, deux jeunes Afghans de 23 et 24 ans arrivés il y a un an en France, même s’ils n’ont pas d’enfants, la situation n’en est pas moins compliquée. Ils sont « dublinés », car ils ont malheureusement été contraints de laisser leurs empreintes à la police en Hongrie, pays qu’ils ont traversé pour se rendre à Paris où ils ont vécu dans la rue durant plusieurs semaines. Ils risquent donc d’être renvoyés dans ce premier pays de l’Union européenne qu’ils ont traversé. Aujourd’hui à Peyrat, dans l’attente d’un hypothétique recours, ils suivent assidûment les cours de français, mais ont un peu de mal à envisager leur avenir… « Si c’était possible, j’aimerais apprendre à conduire des engins de chantier », confie Razakhan avec un grand sourire.
Quelle politique d’accueil ?
« De toute façon, il n’est pas question de les mettre dehors tant qu’il n’y a pas de solution pour eux », commente Dominique Baudemont. L’élu se dit d’ailleurs « assez fier d’avoir été un des pionniers à mener ce type d’action et surtout que les Peyratoises et les Peyratois participent de belle manière à cet accueil ».
Nous terminons cette journée autour d’un verre de thé préparé avec soin par Adam, dans le bungalow qu’il partage avec trois compatriotes. Le jeune homme regarde la neige qui a recouvert les toits, les arbres et même son vélo garé sur la terrasse : « C’est beau, je vais prendre des photos, je voudrais que ma famille puisse voir ça »… Sur l’écran de la télévision branchée sur une chaîne d’information en continu, mais dont le son est coupé, le visage du Manu apparaît. Au-dessous de l’image, sur le bandeau qui affiche les dernières dépêches, on peut lire : « Le Parlement va adopter une proposition de loi, souhaitée par le gouvernement et durcie au Sénat, pour faciliter le placement en rétention des demandeurs d’asile « dublinés« … »
Face à cette politique du rejet, l’existence de villes et villages « refuges » comme Briançon, Grande-Synthe ou Peyrat-le-Château, et la mobilisation de citoyens solidaires de la vallée de la Roya ou du Calaisis, en passant par la Bretagne et Paris, font honneur aux valeurs humanistes que nombre d’exilés espéraient trouver en France.
Pour aller plus loin
« Lutter contre les préjugés sur les migrants », Petit Guide de la Cimade, 2016, 24 p.
Ce petit guide passe en revue les idées préconçues sur les migrations et les personnes migrantes, et apporte des réponses fondées sur des données provenant des Nations unies, d’Eurostat ou de l’Insee. Spécialement accessible aux enfants. Une version interactive disponible gratuitement en ligne.
« Comprendre les migrations internationales », Petit Guide de la Cimade, 2016, 24 p.
Ludique et informé, ce petit Guide fournit des éléments précis et concrets, pour réfléchir sans approximations. Spécialement accessible aux enfants. Une version interactive disponible gratuitement en ligne.
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