Le 15 octobre dernier, le quartet tunisien (UGTT, Utica, LTDH et l’Ordre des avocats), lauréat du prix Nobel de la paix, était invité à l’Institut du Monde arabe. Un hommage a été rendu à cette structure hétéroclite issue de la société civile. Parmi elle, l’UGTT, une centrale syndicale, pierre angulaire du dialogue national.
Tous le disent : le chemin du dialogue national en Tunisie a été long et sinueux. Et aujourd’hui encore, « la démocratie est tellement fragile et la pauvre et persiste », rappelle Abdessatar Ben Moussa, le président de la Ligue Tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH). Reste aussi à relever les manches pour « créer plus d’emplois, la condition d’une démocratie durable », fait remarquer Wided Boucha-maou, la présidente de l’Utica, Union de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (le patronat).
Il n’empêche, insiste Jack Lang, le président de l’Institut du monde arabe, que ce prix Nobel inattendu va devenir le symbole d’une région en crise… et va peut-être redorer un printemps arabe mis en difficulté en Égypte et en Syrie. Les jurés du prix Nobel ont surtout célébré un quatuor issu de la société civile, fer de lance de la réconciliation « qui a évité le chaos à la Tunisie ». Quatre alliés aux intérêts parfois divergents venus au secours du Printemps arabe en Tunisie.
Parmi ce quatuor, l’UGTT, l’Union générale tunisienne du travail. Un syndicat hors norme, présent d’ailleurs au Forum social mondial (Tunis) en mars dernier et dont les Activités Sociales sont un partenaire historique. Proche de la société tunisienne et fort de plus de 500 000 adhérents, le syndicat incarne même une certaine indépendance au regard de ses homologues arabes. « Dès sa naissance en 1946, il ne s’est pas cantonné aux problèmes sociaux mais s’est saisi des questions nationales du pays », résume Houcine Abbassi, son secrétaire général. L’homme, ferme et peu loquace, évite de parler d’organisation politique. La politique, le syndicat en connaît pourtant les rouages depuis la décolonisation à laquelle il est associé jusqu’à devenir aujourd’hui ce fameux médiateur réunissant autour d’une même table Ennahda (parti islamiste au pouvoir) et partis d’opposition. Objectif : trouver une issue à la situation de 2013 dont les facteurs annoncent l’implosion.
« Crise politique, terrorisme, assassinats d’opposants, une Constitution à l’arrêt, sans parler de la situation en Égypte, en Libye et en Syrie. Toute cette confusion nous a poussés à réunir les forces vives autour de la table pour sauver la Tunisie », explique Samir Cheffi, le secrétaire général adjoint de l’UGTT. Quitte à retrouver au sein du quatuor l’Utica, considérée jusque-là par le syndicat comme « la filiale de la dictature de Ben Ali ». À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. L’UGTT met de coté ses divergences idéologiques. « En temps normal, chacun doit jouer son rôle mais lorsque la Tunisie est en grand danger, c’est un examen de conscience pour tous les Tunisiens que de s’unir, d’autant que l’Utica a fait peau neuve pendant la Révolution », concède Samir Cheffi.
Le syndicat retire également sa casquette vindicative pour endosser celle du gendarme rééquilibrant le dialogue entre islamistes et progressistes. Après sa participation à la révolte populaire, aux grèves et aux rassemblements qui ont provoqué la chute de Ben Ali en 2011, voilà l’UGTT garant d’un consensus politique invitant les islamistes et toute une coalition d’opposition à dialoguer. Ils doivent signer une feuille de route qui dicte, entre autres, la formation d’un nouveau gouvernement et l’élaboration de la Constitution. « Des jours et des nuits de négociations et certains partis qui refusent toujours de la signer sous prétexte que c’est une proposition médiane », rapporte Houcine Abbassi. Les négociations se cristallisent, « surtout après l’assassinat du député de l’opposition, Mohammed Brahmi », ajoute le secrétaire général. Pour autant, l’UGTT ne cède pas. Finalement, les islamistes d’Ennahda se retirent du gouvernement en janvier 2014.
Souvent attaqué, notamment pour les accointances de certains de ses dirigeants avec le pouvoir, l’UGTT a trouvé une grande écoute lors de la crise, même chez ses détracteurs. Et un rôle politique de premier plan, ce qui lui a valu d’être présenté une première fois l’an dernier au jury d’Oslo, mais en vain. La réussite du dialogue social et la formation d’un quartet « a peut-être rassuré », suppose Samir Cheffi. Houcine Abbasi, lui, y voit un hommage au syndicalisme international.
L’UGTT une passion tunisienne – Enquête sur les syndicalistes en révolution, Hèla Yousfi, IRMC et Med Ali Edition.
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