Spécialiste de la sociologie des comportements politiques et notamment de la participation et de l’abstention électorale, Jessica Sainty est maîtresse de conférences en science politique et directrice du Département Sciences politiques, économiques et sociales à l’université d’Avignon.
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Un tiers des personnes inscrites sur les listes ont voté pour les dernières élections départementales et régionales. Quel sens donnez-vous à l’abstention ?
Les travaux développés depuis 2002 montrent que l’abstention est devenue intermittente : la plupart des électeurs sont des abstentionnistes d’un jour, d’une élection. Cela traduit une déconnexion assez profonde, une cassure qui s’amplifie entre la classe politique et les électeurs. Ces derniers ne se retrouvent plus dans le discours politique et considèrent qu’il s’adresse avant tout aux élites politiques tout en les excluant.
Les propositions électorales ne correspondent pas à ce que le gens vivent ou à ce qu’ils attendent. D’autant moins lorsque les configurations ne laissent pas à l’électeur le choix de voter pour le candidat qu’il avait choisi… Les électeurs ont le sentiment de ne pas être pris au sérieux.
À quelles conditions redonne-t-on l’intérêt à la vie démocratique ?
Ce n’est pas parce que les gens ne votent plus qu’ils sont amorphes politiquement. Des mouvements comme celui des Gilets jaunes, la mobilisation contre la réforme des retraites, ou récemment contre le pass sanitaire sont de fortes mobilisations citoyennes. On est face à ce qui a été identifié il y a déjà une trentaine d’années et que l’on nomme « crise de la représentation ». Beaucoup de gens veulent un changement des représentants et du fonctionnement du jeu politique dans son ensemble, un changement des modes de représentation, qui sont beaucoup axés sur le majoritaire.
Avez-vous constaté que cette crise affecte aussi la démocratie dans les entreprises ?
La défiance vis-à-vis de la classe politique se retrouve dans le monde de l’entreprise à l’égard des syndicats, dans le public comme le privé. Les syndicats parviennent à maintenir leur position dans les branches les plus organisées comme l’énergie, la chimie, l’automobile, mais c’est plus compliqué de faire participer les salariés des TPE, PME, etc. Il y a là encore ce sentiment du « à quoi bon voter pour un monde déconnecté des difficultés que je rencontre sur mon lieu de travail ».
Il y a toutefois des sursauts de mobilisation çà et là dans certaines entreprises, par exemple lors d’un conflit lié à une fermeture, à une renégociation des conditions de travail, qui occasionnent alors un regain de confiance envers les syndicats. Rien n’est perdu, la rupture n’est pas définitive entre les syndicats et les salariés, entre les citoyens et leurs représentants, mais il va falloir donner un peu plus de gage et d’intérêt pour les problèmes quotidiens des gens.
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