Le pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, approuvé en décembre lors d’une conférence intergouvernementale organisée à Marrakech par l’ONU, alimente bien des fantasmes. En réalité, ce document non contraignant n’a aucune chance de contrer les politiques de rejet des migrants en Europe.
Des leaders populistes, tel Donald Trump, tout comme certains groupes de « gilets jaunes » ont multiplié les diatribes contre ce texte, qui ferait venir des centaines de milliers, voire des « dizaines de millions » de migrants. Or, dès son préambule, ce document de quarante et une pages précise qu’il établit « un cadre de coopération juridiquement non contraignant, qui repose sur les engagements convenus par les États membres » et qu’il « respecte la souveraineté des États ». Chaque pays pourra donc continuer à mener une politique qui y est contraire sans encourir de sanction.
Pavé de bonnes intentions, ce document dont l’approbation par 159 pays, le 10 décembre, coïncidait symboliquement avec le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, met en avant certains thèmes comme l’étude des phénomènes migratoires afin de mieux les comprendre, les changements climatiques et les catastrophes naturelles, vues comme un facteur négatif de départ… Pour la première fois, les États s’engagent « à identifier les personnes décédées ou disparues et à faciliter les échanges avec leurs familles ».
Le non-droit des personnes migrantes entériné
Ce dernier point est salué par la Cimade, association spécialisée dans l’accès aux droits des migrants, qui alerte cependant sur le fait que « le principe de non-refoulement des personnes demandant l’asile et des réfugié·es, c’est-à-dire l’interdiction de les renvoyer vers des pays où elles seraient menacées, a été retiré de la dernière mouture du pacte migration, ce qui nie les enjeux de respect des droits des personnes aux frontières ».
De plus, précise l’association « l’interdiction de l’enfermement des enfants et des demandeurs d’asile a disparu du texte soumis au vote. Or les politiques et les pratiques des États, notamment européens, vont dans le mauvais sens depuis plus de dix ans : multiplication des lieux d’enfermement en vue de l’expulsion, augmentation de la durée de rétention, etc. »
Enfin, derrière l’objectif affiché d’ »améliorer la coopération en matière de migrations internationales », on peut lire une réponse aux attentes des pays « qui souhaitent externaliser leurs contrôles frontaliers aux États tiers voisins, afin à la fois d’empêcher les arrivées aux frontières européennes et d’expulser celles et ceux dénué·es d’autorisation de séjour sur le territoire européen. Cette coopération est souvent déséquilibrée entre des États européens qui peuvent financer, des États coopérants qui font monter les enchères et d’autres qui n’ont pas les moyens de dire réellement non. Au milieu de ce marchandage, les personnes en migration sont les premières touchées », pointe la Cimade.
Enfin, s’il évoque la nécessité de « sauver des vies », de lutter contre « le trafic de migrants » et la « traite » des êtres humains, le pacte légitime la rétention administrative et le fichage généralisé des candidats à l’exil… Pas de quoi infléchir les politiques de non-accueil, bien au contraire !
Les défenseurs des droits humains toujours criminalisés
En septembre dernier, le refus de la France d’accueillir l’Aquarius, bateau de SOS Méditerranée sur lequel se trouvait une cinquantaine de migrants, a inscrit notre pays dans la droite ligne des politiques de non-accueil prônées par certains pays européens, l’Italie en tête. Un cap que confirme la criminalisation de citoyens solidaires, comme ceux de Briançon, condamnés pour certains à de la prison ferme par le tribunal de Gap le 13 décembre 2018. Ils étaient poursuivis pour avoir participé, en avril dernier, à une marche solidaire pour dénoncer les violences commises par un groupuscule identitaire à l’encontre des personnes exilées dans la région de Briançon et pour protester contre la militarisation de la frontière franco-italienne.
L’État leur reproche d’avoir à cette occasion « facilité l’entrée de personnes illégales sur le territoire français » et de l’avoir fait « en bande organisée ». « Ce jugement va à l’encontre de l’obligation légale qu’a chacun·e de porter secours à une personne en danger. C’est un signal alarmant pour les défenseurs des droits humains en France qui font l’objet de pressions de plus en plus fortes de la part des forces de l’ordre et des autorités judiciaires », dénoncent deux associations de solidarité, l’Anafé et le Gisti.
Les solidarités citoyennes continuent de s’organiser
D’ailleurs, bien que le représentant de la France ait approuvé ce texte, Emmanuel Macron a décommandé sa visite à Marrakech… Et, lors de son allocution télévisée la veille, le président a même rompu avec l’ouverture affichée durant sa campagne, quand il se présentait en rempart progressiste contre la montée des populismes en Europe, pour évoquer un débat sur l’immigration, rappelant les grandes heures du sarkozysme. Il faut que « nous abordions la question de l’immigration. Il nous faut l’affronter », a glissé le chef de l’État à la fin de son allocution…
Faute de solidarité de la part de l’État, associations, syndicats, comités d’entreprise et citoyens, à l’image des bénéficiaires des Activités Sociales qui ont prouvé leur engagement réitéré pour l’accueil de demandeurs d’asile dans les centres de vacances, pallient à leur niveau ces manquements au devoir d’humanité.
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