Rencontre avec Jean-Christophe Sarrot, membre d’ATD Quart Monde et coauteur du livre « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté » paru aux Editions de l’Atelier.
En octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, ATD Quart Monde a appelé à l’utilisation du terme « pauvrophobie ». Que désigne ce terme et pourquoi cette action ?
Ce terme désigne la peur des personnes qui vivent dans la pauvreté et la précarité. Nous souhaitons mettre un mot sur cette peur, non pour accuser ou culpabiliser les auteurs de ces comportements discriminants car nous le sommes tous à des degrés différents, mais pour faire émerger une prise de conscience, nous amener à prendre du recul, et notamment à élever nos enfants différemment.
Cette pauvrophobie n’a-t-elle pas toujours existé ?
Effectivement, c’est un sentiment totalement humain. C’est la peur de l’inconnu, de ce qui est totalement différent de soi. Elle a existé de tout temps : c’est l’ampleur que cela peut prendre à certains moments qui est nouvelle. Nous sommes la 6e puissance mondiale, mais les inégalités continuent de s’accroître et la pauvreté aussi. En 2016, en France, on bat des records de pauvreté.
Cette pauvrophobie est-elle corrélée à l’augmentation de la pauvreté ?
Ce qui est croissant, c’est notre sentiment d’impuissance. On a l’impression de plus avoir la main sur rien. Une solution facile, pour les politiques notamment, c’est d’accuser les autres. Face à la dégradation économique, chacun de nous, particulier ou professionnel, se sent tellement impuissant que c’est beaucoup plus facile de rejeter la faute sur un système. Cela peut être aussi rassurant de se dire que les gens qui sont dans la misère sont différents de nous, peut-être en partie responsables ou incapables. On a de plus en plus peur de tomber dans la pauvreté et en même temps on croit de plus en plus que les pauvres sont des gens différents. C’est très contradictoire. À ATD Quart Monde, nous sommes convaincus que la vie pourrait vraiment être différente mais ce discours-là remporte moins de voix aux élections.
Quelles sont les principales idées fausses sur la pauvreté ?
Les plus nocives visent à rendre les personnes responsables de leur précarité. Penser qu’il est facile d’obtenir des aides et des minimas sociaux et qu’avec ces aides on peut s’en sortir aussi bien qu’en travaillant : ça, par exemple, c’est faux. Autre exemple : « Quand on veut, on peut. » Si on veut trouver un bon travail, un meilleur logement, eh bien non, il ne suffit pas de le vouloir. Ce type de propos, vraiment mortifère, peut conduire au découragement des personnes confrontées à la précarité qui, pour la grande majorité d’entre elles, font tout pour s’en sortir. Et pendant ce temps-là, on ne parle pas des vraies solutions ! Récemment encore, le département du Haut-Rhin est revenu à la charge en demandant aux bénéficiaires du RSA de travailler bénévolement 7 heures par semaine sous peine d’être radiés. C’est illégal, illogique et contre-productif. Derrière cela, il y a l’idée que les bénéficiaires du RSA touchent de l’argent sans travailler, qu’ils profitent du système. Alors que leur rêve serait plutôt d’avoir un vrai travail.
Comment naissent ces idées fausses ?
Le Collectif des associations unies dont nous faisons partie prépare une campagne pour déconstruire tous ces stéréotypes. Ils sonnent juste, ils ont l’air plein de bon sens, mais la réalité est plus complexe. On peut très tranquillement trouver normal que quelqu’un qui touche le RSA donne quelques heures à la collectivité et penser qu’en plus ça l’aiderait à se réinsérer. Cela semble tomber sous le sens mais c’est faux ! Car c’est en réalité contre-productif. D’abord, parce qu’au moins un tiers des personnes confrontées à la pauvreté travaillent déjà. Ensuite, parce qu’elles demandent un vrai emploi décent qui leur permette de cotiser aux assurances maladie, retraite, etc.
Les statistiques montrent qu’un tiers des personnes potentiellement éligibles au RSA n’y ont pas recours.
C’est important de rappeler ce chiffre car il bat en brèche l’idée reçue du bénéficiaire « profiteur » : Et ces personnes-là, l’État ne vient pas les chercher ! Il pourrait organiser des campagnes d’information sur les minimas sociaux. Certaines ne sont simplement pas informées des aides auxquelles elles ont droit notamment en zones rurales ; pour d’autres, c’est trop compliqué. Enfin, d’autres ne veulent pas demander le RSA de peur que cela se sache dans leur voisinage…
Que devrait faire l’État pour combattre ces discriminations ?
Nous pensons que l’État n’agit que lorsqu’il est interpellé par les citoyens. Ces dix-huit derniers mois, au moins trois ou quatre lois ont été poussées par ATD Quart Monde et des partenaires. Je prendrai pour exemple la loi territoires zéro chômage de longue durée qui va expérimenter la création d’emplois sur plusieurs territoires. C’est la preuve qu’un travail émanant du terrain peut faire changer la loi.
Et dans notre quotidien ?
Sur le site d’ATD Quart Monde, nous avons répertorié 50 idées pour agir. Il faut se convaincre que l’on n’a rien à perdre à ce que les autres aient accès aux mêmes choses que nous. Nous sommes appelés à vivre ensemble. Bien organisée, la mixité sociale fait du bien à tous. C’est ce que démontrent les auteurs de « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous ». Dans les sociétés les plus inégalitaires, l’espérance de vie en bonne santé est réduite même pour les personnes les plus riches. Alors que moins d’inégalités va de pair avec une meilleure santé, du fait de la diminution des tensions sociales et d’une meilleure cohésion. Aux États-Unis, l’espérance de vie est moins importante qu’en France alors que les dépenses de santé sont plus élevées.
Le moment est venu de dépasser nos préjugés et de se mettre ensemble à discuter, de donner la parole à des gens qui ne l’ont jamais. Jusqu’ici les experts n’ont pas apporté de réponses aux questions de chômage de masse. Il est peut-être temps de réfléchir autrement.
Pour en savoir plus
« En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté« , Les Éditions de l’Atelier, 2014, 160 p., 5 euros. |
« Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous« , de Richard Wilkinson et Kate Pickett, Les Petits Matins-Institut Veblen, 2013, 500 p., 20 euros. |
Ce qui me plait avec tout ces donneurs de leçon est qu’ils se gardent bien de donner l’exemple. Il doit être plus facile d’être humaniste avec l’argent et le concours des autres.
Le jour où ces saints laïcs accueillons à leur domicile toute la misère du monde je commencerais à revoir mon jugement sur l’humanité souffrante.
Mais quelle bonne idée de rester sur son quant à soi, de rentrer chez soi en fermant les yeux sur les pauvres, sur les malheureux qui vont dormir dans la rue, dans des bidonvilles à l’air et à l’humidité. Je vous plains : ce doit être dur de vivre en marge de la communauté humaine.