Béatrice Barbusse est sociologue et sportive de haut niveau. Elle est la première femme à avoir dirigé un club sportif masculin. Dans son ouvrage « Du sexisme dans le sport », elle mêle témoignages et analyse universitaire pour nous faire découvrir un milieu sexiste et violent.
Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
J’ai commencé le handball à 11 ans. Je l’ai pratiqué à un haut niveau. De 2008 à 2012, j’ai été présidente du club masculin de handball d’Ivry-sur-Seine. Dans le cadre de mon travail de sociologue, j’ai commencé à prendre des notes sur mon expérience. J’ai voulu comprendre pourquoi le sexisme touchait autant le milieu du sport. Ce sujet est toujours traité de manière désincarnée. En mélangeant témoignages et approche sociologique, je voulais convaincre les hommes et femmes qui refusent de croire au sexisme.
Qu’est-ce qui a provoqué un déclic en vous ?
Le déclic s’est produit quand je suis devenue présidente du club masculin de handball d’Ivry. C’était la première fois que je souffrais vraiment du sexisme. J’avais un sentiment de mal-être quasiment tous les jours. Pourtant, même avant, quand j’étais joueuse, je ressentais les inégalités. Les femmes étaient moins payées, ne bénéficiaient pas des mêmes conditions matérielles. Elles devaient se battre pour exister. Ça ne fait que cinq ou six ans que l’on parle vraiment de cette question. Dans les années 1990, le sexisme dans le sport ne figurait pas dans l’agenda politique.
« Le sport se rattache à une culture de la soumission, de la violence. Si je reste dans ce milieu, c’est parce que je pense que les choses avancent plus efficacement de l’intérieur. »
Quels retours avez-vous eus sur votre livre ?
Je n’ai eu aucun retour négatif. On me remercie souvent. Les hommes à qui j’en ai parlé disent avoir pris conscience du phénomène. Ils ont découvert que le sexisme n’était pas une abstraction et pouvait provoquer des souffrances chez les victimes.
Vous posez cette question au début du livre : « Pourquoi ce qui devrait être n’est pas ? » Avez-vous trouvé une réponse ?
Le sport prône les valeurs de respect, de générosité, de justice et de partage. Il est fondé sur une logique méritocratique. Pourtant, tous ces principes ne collent pas avec le traitement réservé aux femmes. Alors pourquoi ce décalage ? L’explication est liée à l’histoire du sport, à la manière dont il s’est construit, à son objet… En réalité, le sport se rattache à une culture de la soumission, de la violence. Racisme, homophobie, violences sexuelles sont les autres fléaux qui ne sont pas abordés… Si je reste dans ce milieu, c’est parce que je pense que les choses avancent plus efficacement de l’intérieur.
« Dans les situations de sexisme, le plus terrible, c’est que personne ne réagit. Il y a une espèce de cécité ou de solidarité inconsciente masculine. »
Vous enseignez à l’université. Avez-vous été victime de sexisme dans ce cadre ?
Personnellement, non. L’université de Créteil où je travaille a été dirigée par une femme dans le passé, c’est peut-être lié à cela. Je sais que le sexisme existe dans ce milieu. Mais par rapport au sport, cela n’a rien à voir ! Mon métier, c’est mon repos, je m’y ressource. Les rapports humains sont moins brutaux, plus policés. Même quand on s’engueule, on fait attention aux formules. Dans le monde du sport, c’est trash, c’est des insultes ou des bousculades physiques tout de suite. Même au niveau de l’intonation, on n’est pas du tout dans le même registre.
Dans votre livre, vous prenez l’exemple de Charlotte Girard. Elle est arbitre lors des jeux Olympiques à Sotchi. L’un des joueurs lui met la main aux fesses et personne ne réagit. Ce genre de choses arrive-t-il fréquemment ?
Ça arrive très fréquemment, j’aurais pu évoquer des dizaines et dizaines d’autres exemples. Quand j’étais présidente, j’ai dû intervenir lors d’une rencontre arbitrée par une femme. Les supporteurs criaient : « Retourne dans ta cuisine ! » Le public est parfois violent. Pourtant, ce sont des hommes, des femmes, des pères, des mères… Dans les situations de sexisme, le plus terrible, c’est que personne ne réagit. Il y a une espèce de cécité ou de solidarité inconsciente masculine. Les femmes n’osent rien dire, de peur d’être traitées de « mal baisées » ou de « méchantes féministes ». C’est cette solitude qui est insupportable. Nous sommes attaquées, blessées et personne ne s’en rend compte. Tout le monde est mort de rire.
« Comme les hommes, les femmes doivent comprendre les stéréotypes de genre et éviter de les reproduire. Les femmes ne doivent pas hésiter à se mettre en avant, à oser. »
Vous expliquez que le sexisme peut se retourner contre les hommes, pourquoi ?
Dans certaines pratiques sportives, il y a des barrières à l’entrée. Par exemple, un homme va devoir se battre pour faire de la natation synchronisée. Il y a aussi une forte pression du groupe. L’homme qui a l’habitude d’exprimer ses sentiments peut avoir un choc quand il arrive dans le milieu sportif. Il faut taire sa souffrance dans le sport. Celui qui a eu une éducation moins virile peut être traité d’homosexuel, on va remettre en cause sa masculinité.
Que peuvent faire les hommes ?
Prendre conscience du sexisme et s’engager dans un processus de « disempowerment », c’est-à-dire, accepter de perdre volontairement un peu de leur pouvoir pour en laisser aux femmes. Il faudrait qu’ils réfléchissent à la manière dont les tâches sont partagées, tant au niveau personnel que professionnel. Par exemple, dans les réunions, laisser la parole à leurs collègues féminines, ne pas leur couper la parole ou ne pas faire de réflexions lourdes.
Et les femmes, que peuvent-elles faire ?
Comme les hommes, les femmes doivent comprendre les stéréotypes de genre et éviter de les reproduire. Les femmes ne doivent pas hésiter à se mettre en avant, à oser. Elles doivent s’engager, se présenter à des élections, demander des augmentations de salaire. Quand elles se trouvent confrontées à une situation sexiste, il n’y a pas de règles. Parfois il vaut mieux ne pas réagir dans l’immédiat, il faut faire preuve d’intelligence. Dans tous les cas, il ne faut pas rester sans rien faire, il faut en parler autour de soi.
« Du sexisme dans le sport », de Béatrice Barbusse, éd. Anamosa, 2016, 304 p., 17,90 euros.
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