Force du collectif, rôle du politique et influence de l’intime, la journaliste, romancière et essayiste Titiou Lecoq revient sur les grands combats féministes qui irriguent son engagement, à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes.
La Médiathèque célèbre le 8 mars
Jusqu’au 14 mars, retrouver sur la Médiathèque des films et des livres qui documentent les combats féministes et les femmes puissantes.
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Bio express
Journaliste, blogueuse, essayiste et romancière, spécialiste de la culture web, Titiou Lecoq est féministe jusqu’au bout du clavier et de la langue. Autrice de plusieurs romans et essais féministes, elle aborde un large panel d’inégalités, qu’elles soient économiques (« Le Couple et l’argent »), historiographiques (« Les Grandes Oubliées », « Les Femmes aussi ont fait l’histoire ») ou domestiques (« Libérées ! »).
Suivre Titiou Lecoq sur X (ex Twitter) : @titiou
Vous avez écrit des essais et des romans. Que vous apporte la forme de l’essai ?
J’ai toujours voulu écrire, et j’ai toujours été féministe. À mes débuts en tant que romancière, je le faisais parallèlement dans la presse, comme job alimentaire. Mes recherches approfondies, inutilisées, ont fini par constituer un bagage intellectuel conséquent… De là est née l’idée d’en faire un essai… à la première personne !
« Libérées ! » est venu de ce que j’étais en train de vivre en tant que femme, en couple hétérosexuel, avec un enfant en bas âge : ce livre est le fruit de cette intuition que j’étais traversée par quelque chose dont nous pouvions tirer des outils politiques.
Finalement, j’ai fait de mon expérience un biais d’expression pour ma pensée féministe.
Par le passé, vous avez déclaré avoir eu l’impression d’être arrivée « après la bataille » du féminisme. Pourtant de nombreux domaines tels que l’entreprise et le monde du travail demeurent un terreau fertile pour les inégalités de genre…
Personnellement, j’ai vécu dans l’illusion très générationnelle d’une égalité acquise. À la maison comme à l’école, j’entendais que tout était gagné. Je voyais le sexisme, mais je ne me ressentais pas victime de sexisme.
Ça a changé en 2011, année qui pour moi marque le début du mouvement « MeToo ». Avec l’affaire DSK, la question des violences faites aux femmes a commencé à redevenir centrale dans le débat public, et le point de vue des féministes avec.
L’autre déclic, ça a été quand j’ai eu des enfants. J’ai alors commencé à questionner des impensés : l’argent dans le couple, la charge mentale… Mes trois ouvrages, « Libérées ! », « Les grandes oubliées » et « Le couple et l’argent » s’articulent d’ailleurs comme une trilogie.
Pour revenir à la question, il y a effectivement une inégalité persistante dans le choix des métiers, aggravée avec la réforme du lycée en 2018. Et puis, l’école se voulant apolitique, les actions mises en place par l’État le sont toujours un peu à moitié.
« Souvent en interview, on me demande pourquoi je suis féministe. Mais n’est-ce pas la question inverse qui devrait être posée ? Pourquoi, vous, n’êtes-vous pas féministe ?! »
Vous avez défendu l’idée que le féminisme n’est pas une opinion, mais une expertise. Ne serait-il pas du devoir des institutions de défendre ce principe, et de combattre l’antiféminisme ?
Dans un monde idéal, évidemment ! L’antiféminisme est une violence qui continue de me stupéfier. Mais nos institutions sont comme entravées d’un soupçon permanent et n’adhèrent pas au propos féministe… C’est un fait : le féminisme ne fait pas consensus.
D’ailleurs, souvent en interview, on me demande pourquoi je suis féministe. Mais n’est-ce pas la question inverse qui devrait être posée ? Pourquoi, vous, n’êtes-vous pas féministe ?!
On a aussi été desservies par un effet paradoxal et assez pervers lié à la surmédiatisation perçue de ces questions : le fait de libérer la parole des femmes a donné l’illusion que beaucoup de choses avaient été dites, faites. Mais il y a un vrai décalage avec le réel, qui lui, demeure très inégalitaire.
Une femme qui est en danger dans la rue l’est aussi sur Internet ; la moindre prise de parole féministe se solde par une violence sans nom ; on le sait, on s’adapte. Personnellement, même si les masculinistes se sont un peu calmés avec moi, il y a des formats vidéo que je ne fais plus. S’il y a une absence de modération des commentaires, c’est non.
« Un jour, j’ai compris que je ne verrai pas l’égalité de mon vivant. […] Je fais ma part et les générations suivantes feront de même. On avance comme ça. »
Ce serait donc aux victimes de trouver des solutions pour se soustraire à une violence structurelle… Dans ce genre de situation, pensez-vous que le collectif peut réussir là où l’individu échoue ?
Je le crois. Un jour, j’ai compris que je ne verrai pas l’égalité de mon vivant. C’est comme ça. Mais je trouve ça très beau de mener un combat en sachant que tu n’en bénéficieras pas toi-même. C’est comme un passage de relais : je fais ma part et les générations suivantes feront de même. On avance comme ça.
Il y a une vision marxiste de l’histoire à laquelle j’ai adhéré un temps. En étudiant le féminisme, j’en ai adopté une tout autre. Ce qui peut faire changer le cours de l’histoire, ce sont les individus qui s’allient et s’organisent. Typiquement, pour l’inscription récente de l’IVG dans la Constitution.
Il y a un moment où si Mélanie Vogel [sénatrice écologiste ayant porté l’inscription de l’IVG dans la constitution] ne se jette pas dans le combat et nous fédère, ça ne se serait jamais fait. On a quand même un vrai pouvoir politique quand on est ensemble, on est plus fortes et on peut y arriver. Et ça, c’est quand même hyper réjouissant !
« Les concepts pour penser l’articulation de plusieurs formes de domination démontrent une convergence entre écologie et féminisme, comme, historiquement, entre les luttes antiracistes et féministes : c’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité. »
Quel rapport le féminisme entretient pour vous avec d’autres formes de lutte, comme l’antiracisme ou l’écologie ?
Intellectuellement déjà, c’est très stimulant ! Tout s’articule : on en avait l’intuition, on en a la preuve. Les concepts pour penser l’articulation de plusieurs formes de domination démontrent une convergence entre écologie et féminisme, comme, historiquement, entre les luttes antiracistes et féministes : c’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité.
Simone De Beauvoir écrit « Le Deuxième sexe » parce qu’elle a des ami·es qui lui relatent l’oppression vécue par les personnes racisées. Elle réalise qu’il y a quelque chose de cet ordre-là dans ce que subissent les femmes, et s’inspire beaucoup des penseurs et penseuses afroaméricain·es.
Un petit conseil de lecture pour terminer ?
« La chair est triste hélas » d’Ovidie. Un nouveau classique, sur les rapports sexuels dans l’hétérosexualité, à la fois drôle, jouissif, et une véritable claque !
Pour aller plus loin
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« Les Femmes aussi ont fait l’histoire »
Les Arènes, 2023
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« Les Grandes oubliées. Pourquoi l’histoire a effacé les femmes »
Iconoclaste, 2021
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« Le Couple et l’argent. Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes »
L’iconoclaste, 2022
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« Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale »
Fayard, 2017
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Tags: Article phare Droits des femmes